09/07/06 (B358-A) Enlèvement d’un imam en Italie – Deux fonctionnaires des services secréts italiens emprisonnés… (AFP / Le Figaro – Info lecteur)

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ROME (AFP) – Italie : une enquête sur l’enlèvement d’un imam provoque un séisme dans le pays

Une enquête des magistrats de Milan sur l’enlèvement d’un imam égyptien en Italie en 2003 provoque un séisme dans le pays car elle menace les services de renseignements militaires, envenime les relations avec Washington et a dévoilé l’implication d’un journaliste de droite dans cette affaire.

Le 17 février 2003, l’ancien imam d’une mosquée de Milan (nord de l’Italie), Osama Mustafa Hassan, un Egyptien connu également sous le nom d’Abou Omar et soupçonné de terrorisme, est enlevé dans la capitale économique italienne par un commando de la CIA (agence centrale de renseignement américaine) puis transféré en Egypte.

Le parquet de Milan, qui surveillait l’homme, entame alors une longue enquête dont les résultats se présentent aujourd’hui comme explosifs.

Deux responsables des services secrets militaires (Sismi), Marco Mancini, chef de la 1ère division et numéro deux du service, et son prédécesseur Gustavo Pignero, ont été arrêtés mercredi.

Des aveux de plusieurs fonctionnaires du Sismi, cités vendredi par la presse italienne, confirment la collaboration du service avec la CIA dans l’enlèvement de l’imam, ce que l’ancien chef du gouvernement Silvio Berlusconi et le patron du Sismi, Nicolo Pollari, ont toujours démenti.

Or les enquêtes ordonnées par la magistrature dans le cadre de cette affaire impliquent M. Pollari dans un autre scandale connexe: l’existence d’un centre secret du Sismi à Rome, chargé de « la désinformation, du dépistage des enquêtes et d’espionnage abusif » et géré par Pio Pompa, « un fidèle » de M. Pollari, révèle vendredi le quotidien Il Corriere della Sera.

Renato Farina, journaliste renommé et vice-directeur du quotidien de droite Libero, auteur de plusieurs articles impliquant Romano Prodi, accusé d’avoir autorisé les vol de la CIA lorsqu’il était président de la Commission européenne, figurait dans les livres de comptabilité de M. Pompa.

M. Pompa informait régulièrement son chef, Nicolo Pollari, de toutes ses opérations, précise le journal.

« Dans les archives secrètes gérées par Pompa au moins deux reçus ont été trouvés, signés par le nom de code d’informateur que le journaliste utilisait : « Bouleau ». Les montants sont de 2.000 et 5.000 euros », écrit le quotidien.

« Tempête sur Pollari », écrit le journal La Repubblica tandis que le Corriere della Sera estime que le patron du Sismi « pourrait être contraint à se retirer ».

Mais l’enquête sur l’enlèvement de l’imam a également profondément affecté les relations italo-américaines. Vingt-six Américains, dont 25 membres de la CIA et un colonel de l’armée de l’air, sont accusés par la justice italienne d’être impliqués dans cette affaire.

Le parquet de Milan a présenté sous le précédent gouvernement des demandes d’extradition. Mais le ministre de la Justice n’a jamais avalisé cette requête et sa décision a été durement critiquée à l’époque par l’opposition de gauche dirigée par Romano Prodi, aujourd’hui chef du gouvernement italien.

Aujourd’hui, « le gouvernement est dans la merde. Les Américains sont furieux. La tête des services de renseignement est menacée », a déclaré le secrétaire d’Etat à la présidence du Conseil des ministres Paolo Naccarato, cité par le Corriere della Sera.

Logiquement, le nouveau ministre italien de la Justice devrait signer les demandes d’extradition, mais les relations entre Rome et Washington sont déjà affectées par la décision de retirer le contingent militaire italien d’Irak et la requête d’extradition ne pourrait que les envenimer davantage encore.

« Le gouvernement actuel devra prendre des décisions dans l’intérêt de la nation. Et si cela s’avère nécessaire il pourrait invoquer le secret d’Etat » et bloquer l’action judiciaire, a anticipé l’ancien magistrat Antonio Di Pietro, actuellement ministre des Infrastructures.

__________________________ Le Figaro

Ils sont accusés d’avoir participé à l’enlèvement d’un imam intégriste à Milan en 2003.

MARCO MANCINI, le numéro deux des services secrets militaires (Sismi), a été incarcéré hier à la prison San Vittore de Milan, dans le cadre de l’enquête menée par la justice italienne sur l’enlèvement d’un dissident fondamentaliste égyptien, il y a trois ans. Un autre membre des services secrets, le général Gustavo Pignero, responsable du Sismi pour le nord de l’Italie, ainsi que quatre Américains, dont trois agents de la CIA, ont été placés en résidence surveillée, dans le cadre de la même enquête. Ils sont accusés d’enlèvement et de séquestration de personne.

Ce dissident égyptien, Hassan Moustafa Osama Nasr, dit Abou Omar, un imam de 46 ans déjà fiché pour avoir recruté des kamikazes pour l’Irak, a été enlevé en plein centre de Milan, non loin d’une mosquée réputée pour être un repaire de terroristes, le 17 février 2003, à 12 h 25, par un commando d’agents secrets américains.

Selon une Égyptienne qui a assisté à la scène, quatre hommes se sont emparés de lui avant de le aire entrer dans une camionnette banalisée suivie de deux autres véhicules. Au terme de cinq heures de voyage, le fondamentaliste a été conduit sur la base militaire américaine d’Aviano (dans le Frioul). Puis jeté dans un avion américain à destination de la base allemande de Ramstein d’où il est aussitôt reparti pour Le Caire à bord d’un jet loué par la CIA.

Pendant de longs mois, Abou Omar est resté incarcéré en Égypte. En avril 2004, il a profité d’une permission pour téléphoner à sa femme, restée en Italie. Lui racontant par le menu détail sa captivité ainsi que les tortures dont il affirme avoir été l’objet en prison.

Agents secrets très peu discrets

Au terme d’une enquête minutieuse, le parquet de Milan a reconstitué les circonstances de cet enlèvement rocambolesque. Puis lancé l’an dernier un mandat d’arrêt international contre vingt-deux agents secrets américains qui auraient participé à la capture, laissant derrière eux une multitude d’indices montrant qu’ils pensaient sans doute pouvoir agir en toute impunité.

Ils ont ainsi payé avec des cartes de crédit parfaitement identifiables leurs factures de location de voitures, d’hôtels et de restaurants. Leurs téléphones portables appartenaient à des fonctionnaires de l’ambassade américaine à Rome et du consulat américain de Milan.

En novembre dernier, Roberto Castelli, le précédent garde des Sceaux, a refusé de transmettre aux autorités américaines la requête d’extradition, arguant du secret d’État. De leur côté, aussi bien le chef du Sismi, le général Nicola Pollari, que le gouvernement de Silvio Berlusconi ont démenti que des fonctionnaires italiens aient été impliqués. En arrêtant Marco Mancini, sans doute les juges milanais cherchent-ils à faire pression sur le gouvernement de Romano Prodi. Même si l’actuel garde des Sceaux, Clemente Mastella, estime qu’il n’y a «rien de nouveau» dans le dossier.

D’où le commentaire acerbe de l’ancien chef d’État Francesco Cossiga : «On doit au Sismi les plus brillantes opérations de lutte contre le terrorisme à l’étranger. Attendons-nous à ce qu’Oussama Ben Laden nous adresse sous peu ses remerciements et ses plus vives félicitations.»