14/07/06 (B359-A) Djibouti – Dans le royaume bananier des « prédateurs » de la république de Djibouti, la médiocrité et la cupidité se sont hissées comme règle de promotion. (Bouh Warsama)


Roger Picon

On appelle prédateur tout organisme qui se nourrit aux dépens d’un autre. De par tout ce que cela sous entend, le seul système qu’on voit à Djibouti c’est celui de la prédation des ressources publiques depuis qu’Ismaïl Omar Guelleh s’est autoproclamé président en mai 1999. Certes, ce système de prédation existait sous le pouvoir du président Gouled, mais il était moins arrogant et moins boulimique, moins sophistiqué que celui de son successeur.

Mais ce qui est pire c’est de voir qu’aucune action concrète n’est réellement posée pour l’amélioration les conditions de vie des populations depuis juin 1977.

La propagande de la falsification monopolise le terrain médiatique, elle use et abuse de projets sans suite financés à partir des aides internationales surabondantes ou des emprunts qui ne résolvent en rien les difficultés mais augmente – par ailleurs – la dette publique. Projets lancés à grand renfort de publicité, rapidement vidés de leur contenu financiers et qui se succèdent en donnant l’illusion que les « choses » avancent alors que tout stagne dans le pays. Tout stagne et régresse à l’exception des hôtels, bars, restaurants tout comme le riche patrimoine immobilier à vocation locative appartenant au pouvoir en place, à ses « valets » et autres domestiques de l’argent facilement gagné sur le dos de l’État.

Le pouvoir exécutif et le Parlement gagneraient à faire meilleur usage des deniers publics. Oui mais le Parlement est désigné par Guelleh et non élu démocratiquement ; donc pas de contre pouvoir !

Combien d’infrastructures socio-économiques auraient été réalisées avec l’argent consacré à retaper et entretenir l’avion présidentiel et son Palais d’Haramous, à financer ses propriétés dans le pays et ailleurs en Afrique du Sud, à Dubaï, en France, aux USA …etc. A honorer financièrement les frasques et les dettes laissées – ça et là – par les occupants du Palais d’Haramous et les petites folies en bijoux de « madame », les dépenses de fonctionnement de la pléthore de ministères bidons, des ministres conseillers, d’institutions inutiles et budgétivores à outrance ?

Djibouti, malade d’un système.

L’absence d’alternance démocratique – avec la seconde autoproclamation d’IOG à la tête de l’État en mai 2005 – a confirmé que le problème à Djibouti n’est pas que celui des hommes, mais aussi et peut être surtout celui d’un système avec le comportement d’un outil antidémocratique qu’est le supposé Rassemblement Pour le Progrès (RPP) autour de qui pourtant beaucoup d’espoirs s’étaient cristallisés pour l’avenir du pays en juin 1977. Le régime « RPP-Mamassan » a institué depuis l’indépendance un système de prédation organisée des ressources publiques que les Djiboutiens/Djiboutiennes avaient tenté de sanctionner avec une fronde menée par Mohamed Djama Elabeh et bien d’autres hommes et députés de courage.

On sait ce qu’il en est advenu, MDE a payé de sa vie cette fronde quant aux autres ils furent sanctionnés ou sont depuis « rentrés dans le rang ». Ismaïl Omar Guelleh n’a plus pris de risques depuis, les membres de SON Assemblée nationale son désignés PAR LUI et non élus. A t-il pour autant gagné en tranquillité ? Certes mais pas en crédibilité.

Des médias en sursis

« La création, le maintien et le renforcement d’une presse indépendante, pluraliste et libre sont indispensables au progrès et à la démocratie dans un pays, ainsi qu’au développement économique ». Cette affirmation, formulée le 3 mai 1991 dans la déclaration de Windhoek, alors que souffle sur le continent africain le vent de l’ouverture politique, constitue, quinze ans plus tard, un espoir en même temps qu’un défi.

Dans plusieurs pays de la région, des journalistes dénoncent la rétention d’information ou encore les interdictions d’émettre ou de publier. Ces menaces sont particulièrement vives à Djibouti en proie aux conflits où l’information est minutieusement contrôlée, voire manipulée et ne peut être que d’ÉTAT car il n’existe aucune autre presse, aucun autre média autorisé et qui n’abonderait pas dans le sens de la « pensée unique » du Palais de l’Escale !!!

Le pouvoir judiciaire soumet lui aussi les médias à de rudes épreuves. La confusion des délits de presse avec des délits relevant du code pénal est monnaie courante.

Au-delà d’un arsenal judiciaire ultra répressif et des intimidations dont sont victimes certains journalistes, les rares médias qui se veulent indépendants et vivent en exil déplorent aussi les entraves indirectes à la profession : l’arme n’est pas seulement idéologique, elle est aussi économique.

Plus discrètement, les effets de cette censure n’en sont pas moins dévastateurs pour les organes de presse de l’opposition et qui se veulent libres. Des taxes indûment prélevées à la saisie du matériel, au saccage de locaux, en passant par les entraves à la diffusion, la presse d’opposition à Djibouti doit surmonter bien des embûches ; elle en est de ce fait réduite à sa plus simple expression.

Une liberté en quête de règles

Au – delà des pressions politiques et économiques, la liberté de la presse à Djibouti souffre aussi d’un manque de cadres juridiques. D’ailleurs aucune loi ne réglemente le secteur si ce ne sont les « lois du pouvoir en place » qui en invente de nouvelles en fonction de la situation et envoie ses « forces de l’Ordre !!! » pour régler les problèmes.

Loin d’améliorer les choses, IOG a renforcé ce système globalisé d’interdiction d’émergence des libertés publiques au profit du maintien des prédations avec des cautions extérieures au pays qui y trouvent un intérêt. Intérêt en ce sens que TOUT est permis au régime djiboutien actuel pour autant que « l’Ordre règne dans le pays », que chacun y trouve ce qu’il est venu chercher et que le pays continue de servir de plaque tournante et de point d’ancrage militaire des pays occidentaux dans la région.

Si Djibouti explosait ce serait l’embrasement dans la Corne Est de l’Afrique avec des conséquences gravissimes dont on ne peut mesurer l’ampleur.

C’est – entre autres – dans la perspective de l’hypothèse d’une telle menace avec les conséquences que ceci impliquerait dans la région que l’on cède – au niveau des pays bailleurs de fonds et des instances internationales – avec autant de facilités aux caprices immatures et répétitifs d’Ismaïl Omar Guelleh ; qu’on concède tant et tant de privilèges, d’aides internationales surdimensionnées à ce régime tyrannique dans l’errance et la gabegie permanentes sans exiger de lui une contrepartie ; sans imposer une obligation de résultats économiques, sociaux et politiques.

Les pays bailleurs de fonds considèrent la plupart des dépenses des gouvernants actuels comme des «dépenses de souveraineté» nous dit-on ! Mais où se situe la souveraineté lorsqu’elle dilapide les deniers publics et les aides internationales, lorsqu’elle ne survit que par le chantage et par le fait qu’elle prend en permanence en otages les populations djiboutiennes vis-à-vis du monde occidental ?

Un des critères de bonne gouvernance – admis par les experts internationaux et qui en ont fait une forme de règle – est que le revenu des dirigeants d’un pays doit être compris entre 5 et 10 fois le revenu moyen du pays considéré.

Rien que ce seul critère sert à prouver que Djibouti est l’un des pays les plus mal gouvernés du monde, ce qui le positionne artificiellement dans les trois derniers pays les plus « pauvres » du continent africain. Là se côtoient le plus grand dénuement et les richesses les plus éhontées. C’est peut-être à ce niveau qu’une réflexion doit être menée par les partis d’opposition et la société civile pour un demain proche afin qu’on arrive à mettre fin à ce système quitte à réformer pour l’avenir le statut présidentiel, les ministères dont le pays a réellement besoin, à interdire tout cumul de mandat et à publier tous les revenus des dirigeants ; sans exception aucune.

La gestion de l’État djiboutien une devenue une affaire EXCLUSIVEMENT privée

Après l’indépendance du 27 juin 1977, le pouvoir à Djibouti s’est exercé comme un organisme traditionnel connu en Afrique, la « chefferie ».

Sitôt parvenu à la tête de l’État, Hassan Gouled Aptidon – premier président de la jeune république – s’est donné alors et pour priorité de s’entourer de tous les membres de sa propre famille, puis des mamassans les plus influents et par recommandation, de l’un ou de l’une. Une telle appropriation de l’État – avec quelques concessions accordées aux autres tribus et clans des Issas – soulèvera bien des réactions, des conflits d’alcôves et des éliminations physiques qui seront officiellement déclarées comme étant des décès par arrêt cardiaque, rupture d’anévrisme …etc et autres malencontreux accidents de la circulation.

C’est dans ces « exercices de nettoyage » pour le moins particuliers qu’Ismaïl Omar – le dauphin et neveu du président en place – va faire son apprentissage et acquérir ainsi une « maestria » que nul ne lui conteste aujourd’hui. S’il sert alors les intérêts d’un Gouled qu’il manipule à loisir, il fortifiera surtout les siens en dégageant les uns et les autres postulants au trône car placés sur son chemin vers la présidence ; trône dont il se saisira le moment venu en reléguant aux oubliettes un Gouled amoindri mais néanmoins doté d’une « prime de départ » de plus de 300 millions de FD.

Bien plus qu’un cadeau de départ, ce sera un nouvel acte de prédation des finances publiques qu’aurait imposé le vieux président pour « solde de tout compte » et afin qu’il accepte de se retirer en silence dans son Palais doré. Cette somme importante il faudra bien la prélever quelque part, mais où ? Qu’à cela ne tienne, elle le sera sur les fonds du Port International de Djibouti alors qu’IOG enverra la chercher à Paris sous escorte dans laquelle on trouvera à l’époque le tristement célèbre lieutenant Zakaria Hassan Aden, tortionnaire et « homme de confiance » du sale boulot.

Après avoir mis bon nombre de « dignitaires » de l’État en situation de « bras cassés » en les poussant vers la porte de sortie – y compris des administrations – quitte à menacer par le chantage certains (tel Moumin Bahdon) de ressortir des dossiers de justice en « instances » et qui ne sentent pas l’eau de rose mais l’odeur du caniveau…, IOG va faire les « fonds de tiroirs » en allant alors puiser dans les proches et les lointains parents qui furent ainsi appelés à la rescousse. Faisant ainsi de la gestion de l’État djiboutien une affaire EXCLUSIVEMENT privée bien plus que cela ne se fit par le passé, une affaire de « famille » au sens très large du terme.

C’est ainsi que le principe qui veut que « moins l’on est de personnes compétentes à haut niveau de l’État et mieux l’on servira le tyran sanguinaire » a pris tout son sens. En conséquence de quoi, toutes les passions, les compétences et toutes les activités furent englouties selon la seule volonté de l’autoproclamé président. Elles seront dirigées dès lors, par et dans la cupidité par les braconniers du régime.

Cette culture clanique de l’exercice du pouvoir que l’on retrouve aussi ailleurs en Afrique a atteint toutes les rouages des niveaux de l’État djiboutien actuel et du secteur privé de sorte que quiconque exerce aujourd’hui une parcelle d’autorité – à niveau subalterne – se croit obligé de rameuter – à son tour – les siens. Priorité donc à la famille pour les différents postes stratégiques tout en laissant aux « serviteurs » et autres « braconniers » quelques postes très secondaires aux fins qu’ils/elles assoient à leur tour leur propre autorité en créant de nouveaux clans de « petits prédateurs » ; non point à partir des compétences mais s’appuyant sur les mêmes critères peu recommandables que sont les artifices de façade asquant maladroitement les malversations.

Le vrai problème, c’est donc que l’on fait appel très souvent à des personnes incompétentes dont le seul mérite est d’appartenir à la même ethnie, village ou région du chef, du sous chef, du sous… sous chef, du sous ..sous ..sous chef ; et ainsi de suite jusqu’au dernier exécutant.

Le résultat ne s’est pas fait attendre, la médiocrité et la cupidité se sont hissées comme règle de promotion, pendant que les cadres méritants furent et sont encore relégués à des tâches où ils ne peuvent valoriser leurs savoirs et savoirs faire souvent obtenus sous d’autres cieux.

Bien plus qu’auparavant, depuis 1999 toute l’administration publique et les sociétés ou entreprises d’État (telle que l’EDD…) jugées juteuses (car « pompes à pognon » grâce aux aides internationales et aux emprunts ) sont ainsi aux mains d’une sorte de Camorra locale.

Dès lors et sous IOG, les Djiboutiens n’auront désormais plus rien à envier aux Américains car le Far West s’est déplacé sous le soleil de Djibouti. Malversations les plus diverses dans les organismes d’État servant de « pompes à fric », rackets institutionnalisés, prostitutions, trafics de drogues et d’armes, assassinats, telle serait donc la face cachée de Djibouti ou – paraît-il – rien d’important ne se passerait et ou l’ordre règnerait ? De quel ordre parlons-nous ?

De Gouled à Guelleh, comment former un tyran pire encore !

Si l’on revient quelques dizaines d’années en arrière, constat est fait que l’influence négative qu’a eu la famille présidentielle de Gouled sur la vie de la Nation fut un danger dont « héritera » le pays et ses populations.

Quand (à défaut de fils) un neveu de président fait de la politique, occupe de hautes fonctions et s’investit dans les affaires privées, il a forcément un avantage psychologique qui fait de lui un « intouchable » et un passage obligé pour diverses transactions ou opérations inavouables.

Qui oserait faire ombrage à un tel homme, contester son autorité dont la puissance et le pouvoir découlent directement de l’oncle, comme dans une monarchie (avec un roi qui n’aurait pas de descendance directe et aurait choisi un dauphin) ?

Le neveu du dirigeant – à défaut de rejeton – s’érige en président-bis et devient un incontournable centre de décisions parallèles qui préparent la succession. Bien entendu, les abus entrent dans une certaine « logique » et sont même recommandés voire implicitement encouragés du fait de l’impunité ; forme de « droit divin » instauré et qui règne en maîtresse.

Le bon mot qui dit que « nul n’est au-dessus de la loi » ne s’applique, à Djibouti, qu’aux « sans-culotte » djiboutiens et aux opposants politiques qui osent défier le pouvoir en place. Dans le contexte actuel, on voit mal un opposant politique dénoncer les abus de la famille présidentielle sans s’attirer les foudres du régime.

Ce serait alors et sur décision d’une supposée justice locale : « Vous allez directement en prison de Gabode, vous ne passez pas par la case départ …………et vos biens, comme le contenu de votre compte bancaire, seront saisis demain à l’aube…. par décision de Justice ».

L’Afrique n’a toutefois pas le monopole du pouvoir familial

L’Afrique n’a toutefois pas le monopole du pouvoir familial. Des chefs d’État de pays développés font appel à leurs proches au sein de leur cabinet. C’est ainsi que le président François Mitterrand avait propulsé son fils Jean-Christophe comme conseiller de la présidence pour l’Afrique.

Les relations et les transactions dont s’est rendu coupable le « fiston » – qui a sans doute abusé de sa position, d’où son surnom de « Papamadi ..» – lui ont valu et lui valent encore de nos jours des poursuites judiciaires dans différents dossiers. La grande différence cependant, entre États africains et occidentaux, c’est que l’impunité continue d’être cultivée chez les uns, alors qu’elle est combattue chez les autres par la justice. C’est pourquoi Jean-Christophe continue de payer ses liaisons dangereuses des années Mitterrand, notamment avec un autre JCM, ex préfet et incarcéré.

En Afrique par contre, les « Papamadi » continuent d’avoir pignon sur rue. Les cas les plus évocateurs sont ceux du Togo et du Gabon, où l’État se réduit à la famille du président. A l’instar d’Eyadema, il est plus que probable que Bongo lègue le pouvoir à un de ses fils. Le système Bongo est très flagrant, et un journaliste du journal Le Monde décrivait récemment le Gabon comme « un pays de Cocagne où le président, au fil de près de quarante années de pouvoir ininterrompu, a placé au coeur de l’État les rejetons d’une famille pléthorique ».

C’est cette image d’une Afrique sous la férule de clans qu’il faut à jamais effacer. Et cela passe par une vigilance accrue et une indépendance totale de la Justice, pour que personne ne soit vraiment au-dessus de la loi, y compris la famille du président.

A défaut d’un tel sursaut, les populations djiboutiennes doivent se donner les moyens d’éviter d’être sous l’emprise de médiocres qui ne pensent qu’à s’enrichir.