07/08/06 (B362) Le Monde : le trafic de feuilles de khat en plein essor en France

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Chiffres

SAISIES DE DROGUES ILLICITES

En 2005, les forces de l’ordre et les douanes ont intercepté 5 185 kilos de cocaïne, 749 kg d’héroïne, 86 tonnes de cannabis (résine et herbe) et 26 kg de champignons hallucinogènes. 833 000 comprimés d’ecstasy ont également été saisis. 90 % des interpellations réalisées pour consommation de stupéfiants concernaient le cannabis.

CONSOMMATION DE SUBSTANCES PSYCHOACTIVES.

Selon l’Office français des drogues et des toxicomanies (OFDT), 39,4 millions de personnes (de 12 à 75 ans) consomment occasionnellement de l’alcool, 14,9 millions du tabac, 3,9 millions du cannabis, 250 000 de la cocaïne et 200 000 de l’ecstasy. Les autres consommations sont marginales.


Roger Picon

Les saisies de feuilles de khat, une drogue venue d’Afrique orientale, ont explosé en France ces dernières années.

Si les forces de l’ordre interceptaient quelques dizaines de kilogrammes de cet excitant dans les années 1990, ils constatent une forte augmentation du trafic depuis les années 2000 : 123 kg saisis en 2001, 252 kg en 2003 et 818 kg en 2005.

Pour les sept premiers mois de 2006, l’Office central pour la répression du trafic illicite de stupéfiants (OCTRIS) comptabilise déjà le chiffre record de 1 070 kg saisis sur le territoire français.

Généralement mastiquées, comme la coca, les feuilles de khat procurent un effet voisin de celui des amphétamines, permettant notamment de soulager la fatigue et la faim. Sans provoquer de dépendance physique aussi forte que d’autres drogues, la consommation de ce végétal, qui contient notamment de la cathinone, crée une accoutumance et peut provoquer une dénutrition. Des troubles du sommeil, digestifs et sexuels sont également signalés. Le produit est inscrit sur la liste des stupéfiants dans de nombreux pays (en France notamment) mais pas en Grande-Bretagne ou aux Pays-Bas.

Arbuste cultivé dans les montagnes d’Afrique orientale et dans la péninsule Arabique, le khat est consommé depuis des siècles. « Autour de la mer Rouge (Yémen, Somalie, Ethiopie, Djibouti), la consommation est endémique et touche 70 % de la population dans quelques régions », note un spécialiste de l’OCTRIS. Dans ces pays, le khat est parfois consommé sous forme d’infusion (« thé abyssin », « thé somalien ») ou peut être fumé après avoir été mélangé à du tabac.

En Europe, comme au Canada ou aux Etats-Unis, les principaux consommateurs (essentiellement des hommes) sont des ressortissants des pays producteurs : pour l’heure, « brouter du khat », selon l’expression consacrée, demeure une pratique « confinée » à ces communautés, « sans signe » de généralisation au reste de la population. En France, les régions les plus touchées correspondent aux zones d’immigration traditionnelles (régions parisienne et marseillaise en particulier).

Le khat est le plus souvent transporté par avion : pour conserver leur pouvoir excitant, les feuilles doivent en effet être consommées fraîches, dans les jours qui suivent leur récolte.

Pour cette raison, les « bottes » de khat – vendues autour de 15 euros l’unité en France – sont souvent enveloppées de feuilles de bananier ou de sacs en plastique. Selon la DEA (Drug Enforcement Administration, organisme américain chargé de la lutte contre le trafic de stupéfiants), un kilo de khat est généralement acheté 1 dollar aux cultivateurs africains et revendu autour de 200 dollars le kilo aux intermédiaires et entre 300 et 600 dollars aux consommateurs. La DEA estime qu’une partie importante du trafic est organisée par des « seigneurs de la guerre », en particulier en Somalie.

Depuis deux ans, les douanes françaises ont multiplié les saisies dans des courriers express (type Fedex ou DHL) depuis les Pays-Bas ou la Grande-Bretagne à destination du Canada et des Etats-Unis. Fin janvier, par exemple, les douanes ont démantelé une filière d’approvisionnement en Lorraine. En ayant recours à des sociétés fictives « prétendument domiciliées en France », le réseau acheminait du khat des Pays-Bas vers la France pour, ensuite, l’expédier aux Etats-Unis. Au total, une tonne de feuilles a ainsi été expédiée, soit une valeur de 1 million d’euros.

Rien que pour le mois de juillet, l’OCTRIS fait état de deux saisies importantes. La première a eu lieu à la frontière avec le Luxembourg : un ressortissant suisse et un complice somalien transportaient 122,5 kg de khat dans leur voiture ; la seconde est intervenue en gare de Lille, où un ressortissant belge transportait une vingtaine de kilos achetés à Bruxelles. « Une partie importante de nos saisies correspond à du khat en transit en France, en direction des Etats-Unis ou d’autres pays européens », confirme un responsable de l’OCTRIS.

La tendance se retrouve aux Etats-Unis où la DEA fait état d’une augmentation continue du trafic depuis 1995. Mercredi 26 juillet, l’administration a annoncé avoir effectué la plus importante saisie de khat jamais réalisée outre-Atlantique. Cinq tonnes ont été interceptées et un réseau d’une quarantaine de trafiquants somaliens démantelé. Au total, cette filière avait réussi à importer 25 tonnes en moins de deux ans.

Luc Bronner
Article paru dans l’édition du 05.08.06