14/08/06 (B362) Libération / Affaire Borrel : la décision française d’accepter la compétence de la Cour Internationale de Justice de La Haye et la réaction de Me Morice, l’avocat de Mme Borrel. (Info Assassinats de Coopérants)

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__________ 1 – La décision française d’accepter la compétence de la CIJ

Une nouvelle étape dans l’affaire Borrel
La cour de La Haye a été saisie par Djibouti, où le Français a été retrouvé mort en 1995.

Par Brigitte VIDAL DURAND
QUOTIDIEN : Lundi 14 août 2006 – 06:00

L’affaire Borrel, contentieux de plus en plus lourd entre Djibouti et Paris, s’apprête à franchir une nouvelle étape en arrivant à La Haye, où la Cour internationale de justice (CIJ) vient d’inscrire le dossier à son rôle et d’ouvrir la procédure. Le texte intégral de la requête de la république de Djibouti sera disponible en ligne ces jours-ci sur le site Internet de la Cour (1).

La plus haute instance judiciaire des Nations unies va devoir trancher entre la République française et la république de Djibouti sur le cas de Bernard Borrel, ce magistrat français retrouvé mort, en partie carbonisé, dans un ravin de Djibouti en 1995. Suicidé, selon la présidence djiboutienne et les autorités locales, longtemps confortées en ce sens par la France. Assassiné, a récemment prouvé une juge d’instruction parisienne, Sophie Clément, dont l’enquête se resserre sur les tueurs du juge et leurs commanditaires.

Procédure rare. C’est Djibouti qui a saisi la justice de La Haye.

Sa requête, datée du 9 janvier, porte sur «le refus des autorités gouvernementales et judiciaires françaises d’exécuter une commission rogatoire internationale concernant la transmission aux autorités judiciaires djiboutiennes du dossier relatif à la procédure d’information relative à l’affaire contre X du chef d’assassinat sur la personne de Bernard Borrel». En résumé : Djibouti voudrait que la justice entre Etats oblige la France à lui transmettre le dossier Borrel.

Ce pays soutient que ce refus constitue une «violation des obligations internationales de la France découlant du traité d’amitié et de coopération signé entre les deux Etats le 27 juin 1977 et de la convention d’entraide judiciaire en matière pénale entre la France et Djibouti en date du 27 septembre 1986».

Les juristes internationaux apprécieront la procédure choisie par Djibouti, dite forum prorogatum, rare, mais présentant l’avantage de multiplier les possibilités d’obtenir le consentement de l’autre pays. Ce qui a été obtenu le 25 juillet, par une lettre du ministère des Affaires étrangères de Douste-Blazy adressée à la Cour.

Trafics d’armes. Maintenant, la république de Djibouti doit déposer son mémoire.

La CIJ va lui fixer un délai, qui peut être de quelques mois. Puis la France aura elle aussi un délai pour présenter son contre-mémoire. Ensuite, s’il y a lieu, Djibouti pourra déposer une «réplique». Puis la France, une «contre-réplique». Enfin, la procédure orale s’ouvrira avec une audience publique.

L’avocat de la veuve du juge demande à la France que sa cliente soit entendue comme témoin. Elisabeth Borrel affirme que son mari enquêtait sur des trafics d’armes et des attentats dans lesquels l’actuel président, Ismael Omar Guelleh, aurait été impliqué. Le dossier évoque aussi d’autres pistes, telles que le «trafic d’uranium enrichi».

(1) www.icj-cij.org Cliquer sur «Rôle», puis sur le lien hypertexte de l’affaire.

____________________ 2 – Une mascarade de Justice – Me Olivier Morice

Olivier Morice, avocat de la veuve du juge Borrel, réagit à la saisine de la Cour internationale de justice:
«Une mascarade de justice»

Par Brigitte VITAL-DURAND
QUOTIDIEN : Lundi 14 août 2006 – 06:00

L’avocat parisien Olivier Morice défend les intérêts d’Elisabeth Borrel, la veuve du juge retrouvé mort à Djibouti en 1995. Il réagit à la décision de la Cour internationale de justice (CIJ) à La Haye qui vient de se saisir de ce dossier.

Que pensez-vous de cette nouvelle procédure ?
Le procureur de la République de Djibouti, Djama Souleiman, est impliqué personnellement dans le dossier.

Un juge d’instruction de Versailles a d’ailleurs demandé à l’entendre en tant que témoin assisté pour «subornation de témoin», et il a refusé de déférer à cette convocation.

A Paris, la juge d’instruction Sophie Clément s’oppose en toute logique à la transmission du dossier à Djibouti, qui le réclame. Elle veut empêcher que Djama Souleiman puisse avoir connaissance d’un certain nombre d’éléments qui le mettent en cause.

Or qui va être le représentant de la République de Djibouti devant la cour de La Haye, censément pour défendre les intérêts de son pays ?

Djama Souleiman.

On est devant une véritable mascarade de justice. La demande de Djibouti à la Cour de La Haye n’est qu’un artifice supplémentaire pour savoir ce qu’il y a dans le dossier d’assassinat.

Qui va défendre les intérêts de l’Etat français ?
Alors que le Quai d’Orsay fait pression sur la juge pour qu’elle donne le dossier aux autorités de Djibouti, c’est la directrice des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères, Edwige Belliard, qui va représenter la France à la CIJ.

C’est la deuxième raison pour laquelle on peut réellement parler de mascarade.

Au surplus, le directeur des affaires criminelles et des grâces au ministère de la Justice, Jean-Marie Huet, a récemment prétendu qu’il n’y avait pas de suspension de la coopération judiciaire entre la France et Djibouti, alors que le procureur Souleiman prétend l’inverse.

Qui du procureur de Djibouti ou du directeur des affaires criminelles a menti à la juge d’instruction française ?

Quoi qu’il en soit, nous avons demandé l’audition comme témoin du directeur des affaires criminelles et des grâces, afin d’éclaircir cette situation des plus scandaleuse.

Tout est mis en oeuvre pour empêcher l’autorité judiciaire française de mettre en cause les commanditaires et les exécutants de l’assassinat de Bernard Borrel, qui pourraient se trouver dans l’entourage de l’actuelle présidence de la République de Djibouti.

Que pouvez-vous faire ?
Nous allons demander aux autorités françaises qu’Elisabeth Borrel soit entendue à La Haye en qualité de témoin, afin d’expliquer les pressions exercées sur la justice française.

Quel retentissement peut avoir cette procédure internationale ?
Tout cela participe à de nouvelles pressions. Djibouti fait pression sur l’Etat Français ¬ notamment en suspendant les missions de coopérants français sur son territoire. Le porte-parole du Quai d’Orsay, alors Hervé Ladsous, avait fait pression sur le magistrat instructeur en assurant qu’une copie du dossier serait «prochainement transmise à la justice djiboutienne». Des pressions, et aucun soutien : alors que la justice française est aujourd’hui convaincue de l’assassinat du juge Bernard Borrel, il nous paraît inadmissible que le garde des Sceaux n’ait jamais reçu Elisabeth Borrel, elle-même magistrate. Malgré tout cela, la détermination d’Elisabeth Borrel est intacte car elle est convaincue que la vérité est en marche.