19/12/06 (B374) LDDH / APPEL AU DROIT A LA MÉMOIRE, LE 18 DÉCEMBRE 2006.

Des
martyrs ciblés d’hier au martyre d’aujourd’hui

A
quand la fin de ces calvaires collectifs intolérables ?

Tout d’abord,
je tiens à remercier l’Association pour les victimes d’Arhiba,
qui comme en 2004 nous avait associé à la commémoration
en mémoire des
victimes du massacre d’Arhiba du 18 décembre 1991.

Ce lourd
tribut des crimes, plus exactement d’un carnage ciblé contre de
vaillants citoyens innocents pèse lourdement dans nos consciences et
nos
cours.

En effet,
depuis l’indépendance, depuis pratiquement 30 ans, les premières
réactions, de certaines Autorités Djiboutiennes, loin de renforcer
la
cohésion et l’Unité de nos populations furent désastreuses
car donnant la
priorité des priorités à la répression et aux
massacres des populations du
Nord et de l’Ouest de la République de Djibouti.

En ces
jours de Mémoire, il est du Devoir des Défenseurs des Droits
de
l’Homme de se recueillir auprès des parents et proches des victimes
des
massacres d’Arhiba le 18 décembre 1991.

Permettez-moi
de vous rappeler, en deux mots, le Combat mené par les
Défenseurs des Droits de l’Homme.

En effet,
la Ligue Djiboutienne des Droits Humains (LDDH) a été créée
en
1999 dans un contexte où le silence des Défenseurs était
plus que
préoccupante, d’autant plus, que les exécutions extrajudiciaires,
les
répressions de tout genre sur les populations civiles étaient
à son comble.

Néanmoins,
certaines démarches ont été faites, mais d’autres encore
restent
à faire, et sur ce dernier point que je vous donnerais un bref résumé.

Il s’agit
avant tout d’encourager toutes les victimes et leurs ayants droit
à s’organiser en vue de porter plainte et d’exiger des réparations
tant
devant les juridictions locales qu’internationales.

Pour sa
part la Ligue Djiboutienne des Droits Humains (LDDH) se tient prête
à aider sur le plan nationale et sur le plan internationale à
accompagner
dans toutes leurs démarches les parents et les proches des victimes
civiles
innocentes qui ont succombé sous les balles de la folie meurtrière
d’une
équipe encore au Pouvoir.

La Ligue
Djiboutienne des Droits Humains (LDDH) réitère son Appel du
17
décembre 2005, portant sur les trois points suivants :

1. l’indemnisation
immédiate de toutes les victimes d’Arhiba du 18 décembre
1991 et du 30 novembre 2005 ;

2. la
poursuite en Justice des auteurs de tous ces crimes odieux ;

3. la
constitution d’une commission d’enquête indépendante sur la dernière
tuerie dans ce même quartier le mercredi 30 novembre 2005.

Face aux
silences du Chef de l’Etat qui dans le cadre des pouvoirs qui lui
sont conférés de déclarer au moins le « Pardon
de l’Etat » ainsi que le
Droit à la Mémoire de tous les victimes civiles des répressions
meurtrières
sur tout le Territoire nationale et ceux depuis l’indépendance.

La réparation
que nous exigeons en faveur de toutes les victimes est le
premier pas pour réconciliation nationale et la paix durable dans notre
pays.

Il n’est
jamais trop tard pour réagir, dès aujourd’hui organiser vous
et
constituer des dossiers de plaintes.

– oui
au devoir de Mémoire, contre l’Oubli !

– oui
aux Réparations, contre le Mépris !

– non
à l’Impunité, oui à une vraie Réconciliation Nationale
!


Allocution de la LDDH lu par M. NOEL ABDI
Jean-Paul
traduite dans les deux langues nationales l’Afar et le Somali

ANNEXE
SUR LE MASSACRE D’ARHIBA DU 18 DECEMBRE 1991

Le
Déroulement

6H00 du
matin, le quartier d’Arhiba est totalement investi et encerclé par
les forces armées djiboutiennes coalisées dans une action militaire
sans
précédent à Djibouti-ville d’environ 400 personnes en
armes et équipements
de guerre.

Alors
que l’essentiel des troupes d’assaut est placé en position de tir dans
les tranchées, dans les tanks, sur des -jeeps et sur les vedettes,
le groupe
des policiers Afars sans armes munis des gourdins, est chargé de convaincre
leurs frères de sang avec lesquels ils engagent le dialogue.

Parallèlement,
les « crânes rasés » issus de la mobilisation générale
vident tous les
civils de leurs cases en cartons et les rassemblent sur le terrain vague

7H00 :
Les premiers lève-tôt d’Arhiba II , sortis de chez eux sont aussitôt
embarqués dans des camions mis à la disposition des forces de
l’ordre par
les entrepreneurs privés qui se trouvent alignés au sud du quartier.
Après triage, le groupe ciblé est isolé du reste et une
partie est embarquée
dans un premier camion.

7h15 :
les rafles continuent. Les forces armées tirent de leur huttes,
hommes, femmes et enfants, les regroupent par dizaines en les faisant
asseoir parterre, et une fois le nombre suffisant pour contenir un camion,
le chauffeur approche du secteur et l’on embarque tout le monde. La cité
étant étendue sur 3 à 4 km, une scène identique
à celle ci se déroule à
plusieurs endroits, couvrant ainsi, tout Arhiba Il

7h30 :
Sur un des « points de’ rassemblement » d’Arhiba II, certaines
personnes ne se contentant pas de l’explication facile donnée par les
hommes
en uniforme selon laquelle il ne s’agirait que d’une simple "vérification
d’
identité", elles voudraient comprendre et demandent des explications.
Ne pouvant supporter plus longtemps cette situation macabre, un policier
Afar se détache du rang, dans un dernier élan de solidarité
ethnique,
déconseille vivement aux futures victimes de se laisser déporter
en
demandant d’opposer une résistance passive.

Pour son
geste, il sera sommairement abattu par ses collègues de la FNS au
cours de la fusillade.

Voyant
leur plan dévoilé et devant le refus des civils de monter dans
le
camion, les forces armées s’apprêtent dès ce moment, à
tirer sans sommation
sur tout ce qui bouge

Ayant
remarqué’ des mouvements qui contrarient le plan initialement établi,
les forces armées qui s’étaient préparées à
l ‘éventualité d’une réticence
de la part des civils, reçoivent l’ordre d’exécuter sur place
leur plan :
l’acte d’extermination qu’elles devaient accomplir ailleurs. Elles ouvrent
le feu sans sommation sur une foule sans défense (femmes, enfants,
vieillards) qui tombe comme des mouches, tués à bout portant.

Dès
les premières rafales, une panique folle s’empare très logiquement
de
toute la population d’Arhiba II et aux quatre coins de la cité, loin
de
contenir, les forces de l’ordre tirent è vue. La chasse à l’Afar
commence,
un déluge de feu s’abat sur les civils, une course poursuite abominable
s
‘organise .Qui à pied, qui. en véhicule tout terrain, les forces
de l’ordre
s’en donnent à coeur joie. Un safari humain.

FAIT
ELOQUENT Trois policiers, Kalachnikov aux poings, font irruption dans
l’Ecole Primaire Public d’Arhiba dont le Directeur est sommé sous la
contrainte par un vif et bref échange de propos, de faire sortir ces
classes
les élèves (probablement pour les exposer au carnage prévu)
.

Le Directeur
de l’Ecole n’a pas manqué, malgré la menace, de leur faire observer
qu’il y
va de sa responsabilité professionnelle de mettre en sécurité
les élèves et
qu’il ne peut satisfaire leur dangereuse requête aussi longtemps que
les
armes ne se seront pas tues à Arhiba.

Pendant
ce temps, les deux autres policiers s’introduisent dans les classes
où ils n’hésitent pas à tirer plusieurs rafales créant
une panique
généralisée tant parmi les enseignants que parmi les
élèves qui fuient à
toutes jambes.

7h45 :
Un hélicoptère de l’armée française survole les
lieux du massacre,
panique cette fois coté tueurs, par la crainte des caméras que
les français
n’ont certainement pas manqué de sortir pour un tel flagrant délit.

Au premier
passage, les tireurs cessent la fusillade, certains ont le
ridicule réflexe de se cacher derrière les maisons, mais continuent
à
pourchasser les rescapés dès que le Puma s’éloigne. Au
second passage, les
"chasseurs" décident de se retirer et maquillent le chiffre
réel du carnage
en s’empressant d’entasser dans deux camions un maximum de cadavres.

Combien
de morts? Impossible à dire avec précision. Les témoins
oculaires
les plus optimistes chiffrent à 50 cette cargaison funeste. Le convoi
se
dirige vers la ville, les hommes en uniforme quittent enfin Arhlba.

8H00 Les
habitants d ‘Einguela constatent que le terrain vague des Salines
qui s’étend au Nord d’Arhiha est lui aussi quadrillé par les
hommes de la
FNS, à la hauteur du chantier séoudien jusqu’aux Théâtres
des Salines.

Toutes
les routes menant à Einguela sont bloquées par les agents de
la
circulation et ni piétons ni véhicules ne passent. Certains
observateurs
constatent qu’un long convoi de véhicules militaires qui assure
l’encadrement, se dirige vers le secteur bouclé

BILAN
DU MASSACRE

33
corps abandonnés sur le terrain vague,

7 personnes
décédées à l’hôpital Peltier le lendemain
des suites de leurs
blessures,

7 corps
retrouvés le 19 en mer à marée basse,

12 corps
que les forces de l’ordre ont emportés,

Soit
un total de 59 morts dont 47 ont été enterrés

LISTE
DES PERSONDES DISPARUES LE 18.12.1991

1. HAMAD
IBRAHIM SAID
2. YASSO KATHE ALI
3. ALI IBRAHIM MOURRA
4. NIBALLEH ADEN MOHAMED
5. DAOUD MOHAMED ALT
6. ABDALLAH HANAD OMAR
7. SAID HAMADOU GAAS

LISTE
DES PERSONNES TUEES LORS DU MASSACRE D ‘ARHIBA

Corps
découverts sur place

1. ALI
ADAM AHMED
2. AHMED MOUMINE BAGUILA
3. HABILE MOUMINE BAGUÏLA
4. GANIBO IBRAHIM YASSO
5. ALI MOHAMED WEO
6. ADAM DIHIBO MOUSSA
7. MOHAMED ALI OMAR
8. ALI ALELOU ASSOWE
9. BERO DAOUD ANGADE
10.OMAR MOHANED KABADE
11.ABDALLAH YAYO IBRAHTM
12.HASSAN ALI ABOUBAKER
13.MALIK ALI MAHAMED
14.HASSAN ABDOU ABOUBAKER
15.ALI ABDALLAH GOURATE
16.SABOLI ABDALLAH GAAS
17.ALI KABIR MANDEITOU
18.NOUMANE MOHAMED ABDALLAH
19.ALI SATD MOHAMED
20.MAHAMED MOUSSA WAAYE
21.ALI HOUSSEIN HARSSOU
22.ALI CHEIKO HAMAS
23.ADAM CHEIKO HAMAD
24.MOHAMED ALI HOUSSEIN
25.HASSAN FILADERO HASSAN
26.IDRISS LALE ALI
27.MOHAMED OSMAN IBRO
28.OSMAN MOHANED IBRO
29.SAADA AHMED
30.ALI ARERO ALI
31.MISERA BOUCHRA CHOUMA
32.SALIHA MOHAMED ALT
33.ALI ADAM ALI

Personnes
retrouvées à marée basse

34.HOUSSEIN
IBRAHIM MOHAMED
35.KILO YASSIN ALI
36.MAHAMEISSE DINBIHISSE ALI
37.ALI HAMAD DOULA
38.HERE ALI YASSO
39,FOSSEYA MOHAMED OSMAN
40.HASNA SAID MOHAMED

A
l’hôpital Peltier

41 OSMAN
YOUSSOUF
42.HASSAN HAMID
43 ABDOULKADER MOHAMED ISSA
44.ARISSO ONDE ARISSO
45.MOHAMED MOUSSA MOHAMED
46,MOHANED ALI AHMED
47.MOHAMED HOUMED MOHAMED

N.B.
Les impacts de balles relevés sur les blessés nous autorisent
à penser
qu’il y avait plusieurs groupes de tireurs et que nombreuses étaient
les
personnes en train de fuir lorsqu’elles ont été atteintes par
les
projectiles.

Ainsi,
50 % des survivants sont atteints au dos, 30% de face e 20 % de côté.
De plus, il a pu être dénombré environ 300 blessés
dont 70 seulement furent
admis à Peltier, une dizaine à l’hôpital militaire français
alors que les
autres ont été soignés par leurs propres familles de
peur de représailles
éventuelles.

TEMOIGNAGE
D’UN MEDECIN FRANCAIS : François DE CHABALIER
(Médecin:-Chef du district d’OBOCK)

Le
quartier est bouclé, les forces de l’ordre ont brûlé des
cartes
d’identité. La tension a monté. Un gendarme a été
poignardé par un afar
juste après la fusillade. 2 policiers afars qui essayaient de prendre
la
défense des habitants d’Arhiba ont été tués par
balle par leurs propres
collègues. A ce moment là, c’est la fusillade et les exécutions
sommaires.
C’est le carnage, les forces de l’ordre tirent sur tout ce qui n’a pas
d’uniforme.

J’ai été
très impressionne à l’hôpital Peltier par la foule de
bléssés qui
affluaient. Il faut imaginer un grand couloir avec de chaque côte une
enfilade de brancards avec dessus des gens, tous. blessés par balles,
tous
afars, tous civils.

Au bas
mot, une quarantaine de morts. 26 ont été entérrés
dans les
cimetières hors de la ville plus une quinzaine dans la ville puisque
les
gens n’avaient pas le droit (le sortir pour enterrer leurs morts ailleurs.
La majorité des victimes était des hommes jeunes également
des lemmes et des
enfants mais aussi un vieil homme dont le crâne a été
défoncé à coups de
crosse et qui en est mort. J’ai vu un enfant de moins de 5 ans avec un
poignet éclaté par balle.

Il semble
certain qu’une intervention musclée des forces de l’ordre sur
quartier afar était prévue à titre de vengeance et de
représailles depuis la
veille au soir à cause d’une sévère défaite militaire,
dans la zone nord de
Tadjourah où l’armée aurai eue 3oo morts ou disparus. A Tadjourah,
l’armée
nationale a subi de lourdes pertes et de lourdes défaites.

A Obock,
c’est une ville morte, occupée par les forces de I ‘ordre et
encerclée par les rebelles et la population civile est avec les rebelles
en
brousse. Leur souci est un souci d’alimentation et de soutien sanitaire.
On comprend bien qu’ils ont la possibilité de se ravitailler par l’Ethiopie
ou par le Yémen mais pour cela il faut de l’argent et les fonctionnaires
ont des difficultés pour récupérer de l’argent sauf ceux
qui sont à
Djibouti.

Le
pays est coupé en deux. Les gens d’Obock s’ils veulent venir à
Djibouti
doivent passer par l’Ethiopie, c’est à dire:’ qu’ils font un tour
gigantesque pour contourner le pays.

On
ne peut plus passer par la mer puisque l’armée contrôle les sorties.
D’ailleurs les pêcheurs d’Obock qui
s’étaient réfugiés à Djibouti se sont vu confisquer
leurs boutres.

L’inquiétude
majeure des djiboutiens est que Djibouti devienne comme
Mogadiscio. Les tracts dans le sens de la guerre civile distribués
à
Djibouti n’ont pas trouvé une oreille à haut niveau On craignait
que les
quartiers Issas déferlent Djibouti sur les quartiers afar. Mais en
réalité
jusqu’à présent ce ne sont que les forces de l’ordre qui arrivent
sur les
quartiers afar.

La majorité
des djiboutiens voudrait préserver leur pays.

La situation
ethnique est plutôt calme au regard de la gravité des
événements.