24/12/06 (B375) LIBERATION : L’ultimatum fixé aux troupes éthiopiennes pour quitter la Somalie est expiré. (Avec REUTERS – Info lectrice)

Mogadiscio
se prépare à la guerre sainte contre l’Ethiopie

Le
leader des tribunaux islamiques qui règnent sur Mogadiscio. REUTERS
Par Christophe AYAD

Ça pourrait
s’appeler le «jihad tranquille», un drôle de mélange
de mobilisation guerrière et de calme nonchalant. Difficile de croire,
au premier abord, que les tribunaux islamiques, qui règnent depuis
six mois sur Mogadiscio, viennent de déclarer la «guerre sainte»
à l’Ethiopie. En apparence, tout est tranquille dans la capitale somalienne
: vendredi oblige, les rues sont vides et la plupart des commerces fermés.
Les gosses jouent au foot au milieu des gravats du centre-ville.

Des petits groupes
d’hommes écoutent la radio à l’ombre d’un arbre, à l’affût
des nouvelles du front. Sans inquiétude apparente. Dans les locaux
de Radio Shebelle, une station privée, Mohamed Amin est plus pessimiste
: «Ça y est, la guerre que nous attendions depuis longtemps a
éclaté. Je crains qu’il soit trop tard pour faire marche arrière.
Les gens sont très remontés. Dès qu’il est question de
la présence éthiopienne, ils expriment leur colère. Mais
ils sont plus partagés sur la guerre : après seize ans de combats
et de destructions, ils en ont marre.» D’autant que Mogadiscio vient
de vivre ses six mois les plus calmes depuis la chute du dictateur Siyad Barré,
en 1991.

Ordre rétabli.
Après avoir chassé de la ville, en juin dernier, les seigneurs
de guerre qui y faisaient régner la terreur et l’insécurité,
les islamistes ont levé tous les check-points, désarmé
les miliciens, rouvert des quartiers inaccessibles depuis plus d’une décennie,
remis en marche le port et l’aéroport et rétabli l’ordre. Pour
la première fois depuis seize ans, on ne voit ­ presque ­ plus
d’armes dans les rues. Comme une traînée de poudre, l’Union des
tribunaux islamiques (UTI) a pris le contrôle de dix provinces sur onze
du centre et du sud du pays, ne laissant au gouvernement fédéral
de transition (GFT), internationalement reconnu mais discrédité
intérieurement à cause de son inaction et de ses divisions,
que la ville de Baidoa, son siège, et ses environs. Une situation inacceptable
pour l’Ethiopie voisine, principal soutien du GFT, et les Etats-Unis, qui
accusent les islamistes d’avoir des liens avec Al-Qaeda.

A la demande du
GFT, l’Ethiopie dit avoir envoyé plusieurs centaines d’instructeurs
destinés à aider les troupes gouvernementales : en fait, il
y aurait quelque 10 000 soldats éthiopiens dans la région de
Baidoa (lire ci-dessous). De son côté, l’Ethiopie accuse les
islamistes somaliens de chercher à la déstabiliser en armant
des groupes somalis irrédentistes dans l’Ogaden et de recevoir armes
et instructeurs de l’Erythrée, l’ennemi juré d’Addis-Abeba dans
la corne de l’Afrique. Quant aux habitants de Mogadiscio, ils ont eu à
peine le temps de profiter d’un semblant de paix et, déjà, la
guerre est de retour.

Formation
idéologique.

Dans les rues de
la capitale, difficile de trouver un habitant qui ne soutienne pas le jihad
contre l’occupation éthiopienne. Même Mohamed Abdelhay Ali, un
handicapé de 52 ans roulant sur les avenues désertes à
bord d’une étrange chaise roulante motorisée, entend y contribuer
à sa manière : «Je rentre de l’hôpital, où
je suis allé offrir mon aide, du lait et de la nourriture pour les
blessés.» Il dit en avoir vu une quinzaine. D’autres bénévoles
offrent leur sang. Une femme se vante d’avoir un fils de 14 ans parti s’enrôler
auprès des islamistes. «Allah Akbar!» s’exclame le petit
groupe qui s’est formé spontanément dans la rue.

A la villa Baidoa,
les recrues affluent pour être envoyées au front à bord
de technicals, des pick-up équipés de mitrailleuses, ou de camions
sans âge dont on se demande comment ils peuvent tenir les quelque 200
km jusqu’à Baidoa. Parmi eux, des étudiants mais aussi des gosses
de 15 ans, voire moins. Ils ont suivi un entraînement idéologique
et militaire ces derniers mois et soutiennent qu’ils sont volontaires. Sans
même qu’on leur demande. Les écoles ont suspendu leurs cours.
Même des femmes ont été formées au maniement des
armes. «C’est l’islam. Au temps du Prophète, les femmes combattaient»,
justifie un badaud.

Partout, la guerre
affleure sous le calme apparent. Mohamed Amin, le journaliste, vient de recevoir
un coup de fil d’un de ses voisins, un jeune homme à peine bachelier,
blessé dans les combats. Depuis qu’ils ont éclaté, mercredi,
les centres de recrutement tournent à plein régime. Au QG désaffecté
de la police routière de Gaadidka, dans le nord de Mogadiscio, on peut
voir les recrues au loin, mais on n’entre pas. Les responsables des tribunaux
islamiques, qui ne se faisaient pas prier pour faire visiter leurs camps d’entraînement,
sont devenus nettement moins disponibles après la fin de l’ultimatum
d’une semaine fixé par les islamistes pour le départ des troupes
éthiopiennes. La plupart des leaders sont au front ou en réunion.

«Le
prix de la guerre».

Seul cheikh Abdel
Rahman Janaqow, numéro 2 du comité exécutif des tribunaux
islamiques, trouve un moment pour recevoir des journalistes à la villa
Baidoa, l’ancienne demeure des hôtes de marque transformée en
QG militaire : «Nous nous battrons jusqu’à la victoire.»
L’homme à la barbe teinte insiste d’une voix douce : «Nous combattons
des Ethiopiens, pas le gouvernement de Baidoa. De toute façon, les
soldats somaliens ne veulent pas se battre contre nous. Nous sommes prêts
à discuter avec le GFT, n’importe où, n’importe quand.»

Dans l’atmosphère
nationaliste qui prévaut, seul Yusuf émet une note discordante,
à l’abri de sa boutique : «Je connais le prix de la guerre. Je
vais faire leur jihad, je vais perdre ma jambe. Dans trois ans, la Somalie
et l’Ethiopie seront à nouveau en paix et moi, qui me rendra ma jambe

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