07/01/07 (B377) Le Monde : Somalie : un pays livré au chaos depuis quinze ans (P Cherruau)

A partir
de la chute du dictateur Siad Barre, le 26 janvier 1991, renversé,
après un soulèvement de la capitale, Mogadiscio, par un puissant
chef de guerre du clan Hawiye, Mohamed Farah Aïdid, la Somalie a peu
à peu sombré dans le chaos.

Née
de la fusion de deux territoires sous tutelle coloniale (britannique au nord,
italienne au sud), cet Etat présente la particularité d’être
un des pays africains à la population la plus homogène : une
même ethnie, une langue (le somali) et une religion (l’islam sunnite)
communes à tous. Les conflits n’y sont donc ni ethniques ni religieux,
mais opposent clans et sous-clans. Ces affiliations vont déterminer
les lignes de force politiques, jusqu’au soutien ou au rejet, récemment,
des islamistes.

Dès
septembre 1991, des combats éclatent, au sud, entre le nouveau régime
et des milices restées fidèles à Siyad Barre. Deux mois
plus tard, la guerre gagne Mogadiscio. Le Conseil de sécurité
des Nations unies vote alors un embargo sur les ventes d’armes. Il aura le
plus grand mal à le faire respecter, vu la porosité des frontières
(une population somalie y résidant de part et d’autre).

Un cessez-le-feu
est signé en mars 1992 entre deux chefs de clan (Ali Mahdi et le général
Aïdid). Premier d’une interminable liste, il prévoit des observateurs
pour le surveiller et une force de sécurité pour escorter des
convois humanitaires. Dans la foulée, le Conseil institue l’Onusom
I, une force d’interposition menée par les Etats-Unis. Washington et
Paris s’engagent à acheminer l’aide.

Le chaos
perdurant, les Américains lancent, en décembre 1992, l’opération
« Restore Hope » (« rendre espoir »), qui semble d’abord couronnée
de succès. Une conférence de réconciliation est organisée
en mars 1993 à Addis-Abeba, capitale de l’Ethiopie. Des institutions
de transition sont créées. Le Conseil de sécurité,
lui, instaure l’Onusom II. Mais, en mai, le Somaliland fait à nouveau
sécession. Depuis, cette région s’autogère dans un calme
relatif.

Mais,
dans le reste du pays, la situation se dégrade : 24 casques bleus pakistanais
sont tués à Mogadiscio. L’Onusom y lance alors une vaste opération
de désarmement. Le 13 juin, des casques bleus tirent sur des manifestants.
Ils commencent à arrêter des suspects. Les Américains
lancent des raids meurtriers sur Mogadiscio.

Dans une
capitale où les combats redoublent, des miliciens abattent, en octobre
1993, deux hélicoptères : 18 militaires américains périssent.
Leurs dépouilles mortelles sont traînées dans les rues.
Ces images feront le tour du monde et inciteront le président Bill
Clinton à annoncer le départ des troupes américaines
avant le 31 mars 1994. Le mandat de l’Onusom s’achève le 31 mars 1995.
Dès lors, la Somalie est livrée à elle-même…
et à ses voisins.

L’éclatement
du pays, divisé entre des régions contrôlées par
des factions qui s’affrontent, se poursuit. Au nord-est, le Puntland s’autoproclame
« région autonome » et établit son système de
visas. En 2002, une nouvelle conférence de réconciliation nationale
est organisée au Kenya voisin. Elle aboutit, en juillet 2003, à
un projet de charte prônant le fédéralisme. Les chefs
de guerre acceptent la création d’une Assemblée intérimaire.

L’insécurité
régnant en Somalie, ce « Parlement de transition », où
tous les clans sont représentés, siège à Nairobi,
au Kenya. Il désigne un chef de l’Etat (Abdullaï Youssouf Ahmed),
lequel nomme un premier ministre (Ali Mohamed Gedi). Ce dernier tentera, en
mai 2005, de se rendre à Mogadiscio – il devra fuir la capitale après
une tentative d’assassinat.

En février
2006, des chefs de guerre soutenus par les Etats-Unis créent une Alliance
pour la restauration de la paix et contre le terrorisme. En mars, des combats
éclatent entre ses forces et celles de l’Union des tribunaux islamiques,
une formation basée sur les tribunaux religieux existant de longue
date. Etonnamment, les milices islamistes l’emportent et reçoivent
un accueil triomphal à Mogadiscio.

Hebdomadaire
régional de référence, The East African explique ainsi
leur succès : « Les fiefs des seigneurs de guerre étaient
un enfer. Les femmes y étaient violées en toute impunité.
On n’y dispensait ni soins médicaux ni éducation. Mieux organisés,
puritains et pratiquant la tolérance zéro à l’égard
de la criminalité, les militants de l’Union des tribunaux islamiques
ont surfé sur la vague de mécontentements, chassé les
seigneurs de guerre et imposé un ordre depuis longtemps disparu. »

Un cessez-le-feu
est signé le 22 juin à Khartoum (Soudan). Mais, dès juillet,
Hassan Dahir Aweys, porté à la tête des Tribunaux islamiques,
appelle à la « guerre sainte » contre l’Ethiopie, qui soutient
le gouvernement de transition. Et des chefs islamistes reprennent la vieille
revendication de rattachement à leur pays des terres peuplées
de Somalis, dans l’Ogaden éthiopien et au nord du Kenya.

Les deux
adversaires, islamistes et gouvernement de transition, signeront un nouvel
accord le 5 septembre. Mais les combats continuent : Kismayo tombe aux mains
des islamistes le 24. Le président somalien est victime d’une tentative
d’assassinat. Les Ethiopiens, déjà présents dans la région
de Baidoa, annoncent leur entrée en guerre et bombardent, le 25 décembre,
l’aéroport de Mogadiscio. En moins d’une semaine, ils prennent le contrôle
de Mogadiscio et de Kismayo. Les troupes des Tribunaux ont quitté les
lieux sans combattre, annonçant qu’elles allaient désormais
se livrer à la guérilla.

Des manifestations
hostiles à l’Ethiopie se déroulent à Mogadiscio. Les
pays voisins, eux, s’interrogent sur les finalités de l’intervention
éthiopienne. The Daily Nation (Nairobi) doute qu’elle vise à
lutter contre le terrorisme. « Cette invasion et la défaite des
islamistes, écrit-il, n’empêcheront pas les agents d’Al-Qaida
d’utiliser à leur guise la Somalie, qui possède une vaste façade
maritime que ni l’Ethiopie ni le gouvernement de transition ne peuvent contrôler. »

Pour le
quotidien, l’objectif d’Addis-Abeba est d' »assurer sa suprématie
régionale ». Mais, estime-t-il, son incursion en Somalie pourrait
ressembler à l’invasion américaine en l’Irak. « Les forces
éthiopiennes ont les moyens d’infliger des dégâts considérables
à la Somalie, mais elles ne parviendront ni à battre les islamistes
ni à contrôler le pays. Elles pourraient essuyer de lourdes pertes
et se retirer sans avoir réalisé grand-chose. »

Pierre
Cherruau