02/02/07 (B380) Billets d’afrique N° 155 – A lire sous la plume de Jean-loup Schaal, un article sur la situation en Somalie.

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Somalie : trois régimes autoritaires
en un an !

De
plus en plus d’insécurité pour des populations menacées
à la fois par les bombardements "aveugles" des américains,
les inondations, la famine et les maladies. Lire aussi Billets n°152,
Somalie – Éthiopie – Djibouti. Conquête des Tribunaux islamiques

En octobre
2006, les Tribunaux islamiques avaient pratiquement conquis tout le Sud d’une
Somalie emprunte à la dictature des chefs de guerre, laissant seulement
au gouvernement de transition, "le secteur de Baïdoa". Il semble
que le Puntland avait fait quelques concessions pour maintenir son autonomie
et que le Somaliland ait réussi à se maintenir à l’écart.

La victoire
des Tribunaux islamiques contre les "chefs de
guerre" (récemment financés et armés par les Américains,
et
appuyés par le gouvernement de transition, qui les combattait
récemment encore !), avait été obtenue grâce au
soutien massif
de la population qui ne supportait plus les exactions commises
par ces bandes armées autonomes et incontrôlées (viol,
vols,
razzia, destruction de maisons, de villages…)

Sous prétexte
d’un retour aux valeurs traditionnelles, les
dirigeants islamistes extrémistes avaient aussitôt appliquée
la
“charia” d’une façon stricte : par exemple plusieurs cas
d’exécutions publiques et immédiates, de personnes surprises
à
ne pas prier, ont été rapportés par des témoins.
Agissant ainsi,
ils se sont aliénés rapidement une majorité de la population
qui
les avait pourtant accueillis en libérateurs quelques semaines
auparavant.

Majoritairement
chrétienne, l’Éthiopie a toujours soutenu le
gouvernement de transition, parce qu’elle redoute l’arrivée d’un
régime islamiste en Somalie qui pourrait tenter de rallier ses
propres populations musulmanes avec le risque de développer
un conflit intérieur.

Assaut
éthiopien

À
partir du 24 décembre 2006, l’armée éthiopienne s’est
lancée à l’assaut des forces des Tribunaux islamiques, avec
le
soutien d’abord discret des forces américaines. Après
un
bombardement aérien de l’aéroport de Mogadiscio le 25
décembre, les forces terrestres ont rapidement conquis le pays,
prenant position dans la capitale le 29 décembre. Cette guerre
éclair a fait de nombreuses victimes parmi les populations civiles
somaliennes.

Les dirigeants
islamiques ont été aussitôt qualifiés de
terroristes membres d’Al Qaïda. Reculant au Sud, ils ont été
contraints de s’arrêter à la frontière avec le Kenya qui,
obéissant
aux "recommandations américaines", a empêché
leur passage.
Forces US, avec un gouvernement de transition tout en finesse…

À
partir de ce moment, les Américains sont entrés en action.

Au
moins un bombardier AC-130 a décollé à plusieurs reprises
de la base US de Djibouti pour bombarder le Sud du pays au motif de traquer
des terroristes dont ils ont donné les identités. En dépit
de cris de victoire et bien que les informations soient contradictoires, il
semble qu’ils n’aient pas réussi à atteindre leurs cibles. Mais
ils n’ont pas épargné les populations civiles innocentes : le
bilan est difficile à établir. Selon les informations reçues,
on dénombrerait au moins une centaine de morts et probablement plus…

Ce terrible
bilan n’a pas arrêté les militaires américains qui
poursuivent leurs bombardements passant outre une timide
condamnation internationale (peu médiatisée) : associations,
gouvernement italien (Massimo d’Alema)…

Le président
du gouvernement de transition a fait son entrée
dans Mogadiscio début janvier 2007. Ses premières décisions
ont été de décréter la loi martiale pour trois
mois et d’interdire les
stations de radio privées. Face à la pression internationale
conduite en particulier par RSF, il a été contraint de revenir
très
rapidement sur cette interdiction…

Depuis
le 20 janvier, on annonce le début du retrait des forces
éthiopiennes : retrait véritable ou faux semblant ? Des observateurs
affirment qu’il ne pourrait s’agir que d’un retrait « de façade
», car les
forces éthiopiennes maintiendraient des postes d’observation.

Plusieurs
pays africains (1*) ont donné leur accord pour participer à
une force de maintien de la paix et de nombreux pays occidentaux s’accordent
sur le fait qu’il faut financer la reconstruction. Au-delà des paroles,
il ne semble pas que ces promesses soient suivies d’effets concrets à
ce jour.

Les islamistes
qui avaient appelé la population à la guerre
sainte contre l’Éthiopie et qui ont été défaits
ensuite, ont
annoncé qu’ils allaient déclencher une vague de violence dans
la
capitale et dans le pays. La Villa Somalia, résidence du
Président, a été attaquée au mortier. Plusieurs
attentats à
l’aéroport et en ville ont fait de nombreuses victimes, non
seulement parmi les soldats éthiopiens, mais aussi parmi les
civils somaliens. Va-t-on voir se développer une situation
semblable à celle que subit l’Irak, avec l’émergence d’une
guérilla organisée ?

Perspectives

En résumé,
on peut dire que les deux décisions américaines
majeures n’ont rien réglé et qu’au contraire, elles ont contribué
à
renforcer les haines et l’insécurité. Rappelons que la première
décision avait été, en avril 2006, de financer les chefs
de guerre
et la seconde en janvier 2007, de bombarder les villages du Sud
de la Somalie.

L’intervention
armée éthiopienne a mis un terme aux ambitions
des Tribunaux islamiques, mais elle a été généralement
ressentie comme une invasion à caractère colonialiste par les
populations somaliennes.

Les chefs
de guerre ne manqueront pas de retrouver un
certain pouvoir, dans la mesure où le gouvernement de transition
a besoin de leur appui pour rétablir un minimum d’autorité.
On a
signalé le ralliement de certains d’entre eux, mais un ralliement
est généralement assorti de compensations… lesquelles ?

Bref,
les populations somaliennes subissent et continuent à subir :

– trois
modes de régimes autoritaires et différents en moins d’un
an ! La dictature des chefs de guerre, puis la Charia et enfin la loi martiale
et des attentats aveugles, dans l’indifférence quasi générale.

– les
effets ravageurs des inondations qui se poursuivent et le développement
de la fièvre du Rift.

Le
mutisme de la France est impressionnant ! À part l’expression de sa
préoccupation, le MAE est resté plus que discret.

Par ailleurs
et comme nous l’avons signalé (in Billets n°152, op.cit.),
l’Érythrée qui soutenait les Tribunaux islamiques, commence
à bouger contre l’Éthiopie. Nos correspondants à Djibouti
nous ont signalé que des bruits de botte étaient perçus
dans le Nord de Djibouti. Ces différents épisodes auront-ils
aussi pour conséquence une reprise de la guerre entre l’Érythrée
et l’Éthiopie ?

C’est
à craindre !

Jean-loup
Schaal

 


1* Selon une dépêche de l’agence Reuters « L’Ouganda,
le Malawi et le Nigeria ont promis des soldats. Le Mozambique et d’autres
pays envisageraient aussi de participer à cette force. L’Afrique du
Sud et le
Rwanda ont pour leur part exclu tout déploiement. »