08/02/07 (B381) RSF / Erythrée – ERYTHREE / L’écrivain et journaliste Fessehaye Yohannes, dit « Joshua », serait mort en détention


Le poète et dramaturge Fessehaye Yohannes, dit "Joshua",
journaliste de l’hebdomadaire interdit Setit, serait mort en détention
le 11 janvier 2007, a appris Reporters sans frontières auprès
de sources érythréennes crédibles, à Asmara et
à l’étranger.

"La mort de Fessehaye Yohannes serait une tragédie odieuse, rendue
encore plus insupportable par la complaisance des gouvernements européens
vis-à-vis de l’Erythrée. Cet Etat ne peut plus être considéré
comme n’importe quel autre, car il est responsable de la disparition et de
l’emprisonnement des meilleurs de ses citoyens.

Nous devons
aujourd’hui avoir des exigences fermes. Que le gouvernement érythréen
nous prouve que Joshua n’est pas mort ou que, au moins, il restitue le corps
à son épouse et ses deux fils. Qu’il nous prouve que les journalistes
Medhanie Haile, Said Abdulkader et Yusuf Mohamed Ali sont toujours en vie,
contrairement aux informations qui sont parvenues. Qu’il nous dise où
sont les journalistes emprisonnés au secret et qu’il rende des comptes
pour les crimes qu’il commet en toute impunité depuis 2001", a
déclaré l’organisation.

Paralysé d’une main et marchant avec difficulté depuis plusieurs
années, Fessehaye Yohannes aurait succombé aux conditions extrêmement
éprouvantes dans lesquelles il était détenu depuis son
arrestation, en septembre 2001. Après plusieurs séjours à
l’hôpital Halibet et à l’hôpital Sembel d’Asmara, il avait
été reconduit au centre de détention d’Eiraeiro, dans
la province désertique de la mer Rouge septentrionale.

Selon
les informations recueillies par Reporters sans frontières, il était
détenu dans la cellule numéro 18 de ce camp pénitentiaire,
dans lequel au moins 62 prisonniers politiques sont détenus à
l’isolement complet et dans des conditions inhumaines, sous la surveillance
d’une centaine de soldats de la 32e division.

Du commissariat au bagne

Fessehaye Yohannes s’était livré à la police dans la
semaine du 18 au 23 septembre 2001, après qu’une dizaine de ses confrères
et de nombreux opposants avaient été arbitrairement arrêtés
et la presse privée "suspendue" par les autorités.
En avril 2002, après avoir entamé une grève de la faim
pour exiger de pouvoir comparaître en justice, dix journalistes avaient
été transférés dans des lieux de détention
inconnus.

Les mains enchaînées en permanence, tous les détenus d’Eiraeiro
sont nourris quotidiennement de morceaux de pain, de lentilles, d’épinards
ou de pommes de terre. Leur barbe et leurs cheveux sont rasés une fois
par mois. Ils ne disposent que de deux draps et dorment à même
le sol. Tout contact avec d’autres prisonniers ou avec leurs gardes est absolument
exclu. Sur la base d’informations provenant de sources crédibles, Reporters
sans frontières avait déjà affirmé, en novembre
2006, que Said Abdulkader, rédacteur en chef et cofondateur de l’hebdomadaire
Admas, Medhanie Haile, rédacteur en chef adjoint et cofondateur de
l’hebdomadaire Keste Debena, et Yusuf Mohamed Ali, rédacteur en chef
de l’hebdomadaire Tsigenay, feraient partie des neuf prisonniers à
avoir trouvé la mort dans ce centre de détention en 2005 et
2006.

Le
bagne d’Eiraeiro est commandé par le lieutenant-colonel Isaac Araia,
dit "Wedi Hakim", ancien commandant de la 2e brigade de la 29e division.
Il a pris la succession du major général Gerezghiher Andemariam
"Wuchu".

Avant d’être transféré à Eiraeiro, Fessehaye Yohannes
avait été détenu au commissariat de police numéro
1, à Asmara, puis transféré en avril 2002 au pénitentier
souterrain de Dongolo, après avoir commencé une grève
de la faim pour exiger d’être jugé. "Dongolo est une prison
qui comporte des cellules de 1,5 mètre de largeur sur 2,5 mètres
de haut", a raconté à Reporters sans frontières
un ancien prisonnier, détenu en même temps que Fessehaye Yohannes.
"Il y a une ampoule allumée
24 heures sur 24. Les pieds des prisonniers sont enchaînés au
mur. Leurs poignets sont menottés.

Il
n’y a pas de mots pour décrire les dégâts que ces conditions
causent à l’état de santé des prisonniers, étant
donné les insectes qui bourdonnent autour de l’ampoule accrochée
au plafond."

Selon
la même source, Fessehaye Yohannes, déjà affaibli par
sa grève de la faim, avait été durement interrogé
par le colonel Gaim Tesfemichael et le colonel Simon Ghebregindil. Ses ongles
avaient été arrachés.

Né le 19 septembre 1958, Fessehaye Yohannes était marié
et père de deux garçons, âgés aujourd’hui de cinq
et six ans. Vétéran de la guerre d’indépendance contre
l’Ethiopie, cet intellectuel surnommé "Joshua" était
une figure de la vie politique et médiatique en Erythrée. Tandis
qu’il animait une troupe de danse et de théâtre, menant également
une carrière de poète et dramaturge, il avait contribué
à fonder Setit, l’hebdomadaire le plus lu du pays avant le black-out
de septembre 2001.

Faveurs européennes et Légion d’honneur

Après avoir été la cible de vives critiques de la communauté
internationale, l’Erythrée semble redevenue fréquentable, étant
donné son implication dans plusieurs crises régionales, notamment
en Somalie. La France, particulièrement, joue un rôle important
dans la normalisation des relations du pays avec l’Union européenne.

Le 23
septembre 2006, Brigitte Girardin, ministre française déléguée
à la Coopération, au développement et à la francophonie,
a d’ailleurs effectué une visite officielle en Erythrée, "la
première visite d’un ministre depuis l’indépendance", selon
le quai d’Orsay. Aucune mention publique des
prisonniers n’a été faite.

En
décembre 2006, l’ancienne ambassadrice d’Erythrée en France,
Hanna Simon, a été décorée de l’ordre des chevaliers
de la Légion d’honneur au cours d’une cérémonie organisée
par l’ambassade de France à Asmara.

Le ministère
français des Affaires étrangères a expliqué à
Reporters sans frontières qu’il s’agissait, notamment, de récompenser
"son engagement pour la cause des femmes". Le 1er février
2007, le commissaire européen au Développement, Louis Michel,
a effectué une visite officielle en Erythrée, sans évoquer
publiquement la question des prisonniers.

L’Italie, ancienne puissance coloniale de la Corne de l’Afrique, a également
des relations privilégiées avec le gouvernement érythréen.
Le 4 décembre 2006, le président du Conseil italien, Romano
Prodi, a reçu le président Issaias Afeworki, en visite privée
en Italie.

L’ancien
président du Conseil, Silvio Berlusconi, a pour sa part plusieurs fois
invité le président érythréen à passer
quelques jours de vacances dans sa villa de Sardaigne.