16/02/07 (B382) LIBERATION / Nouvel imbroglio diplomatico-judiciaire dans l’affaire de l’assassinat du juge Borrel.

Convoqué
par la justice, le président djiboutien se dérobe
Par
Brigitte VITAL-DURAND

«Consternant»,
«hostile», «insultant», «scandaleux».
Des adjectifs peu diplomatiques volent entre Djibouti, Paris et Cannes depuis
l’annonce, hier, de la convocation du président de la République
de Djibouti, Ismaïl Omar Guelleh,dit IOG, à se rendre dans le
bureau de la juge d’instruction parisienne, Sophie Clément, en charge
du dossier de l’assassinat du juge Borrel.

IOG est
invité, ainsi qu’une quarantaine de chefs d’Etat africains, à
participer au 24e sommet Afrique-France, qui s’ouvre aujourd’hui à
Cannes (lire page 6 et 7). Mais IOG se trouve aussi dans le collimateur de
la justice française qui a lancé des mandats d’arrêt internationaux
à l’encontre de plusieurs de ses proches, soupçonnés
d’avoir commandité l’assassinat, en 1995, du magistrat français,
Bernard Borrel, alors détaché à Djibouti. La juge Clément
voudrait entendre le président djiboutien comme témoin.

Tranquille.
La réponse d’IOG ne s’est pas fait attendre.

Par un
communiqué de son ambassade à Paris, il a d’abord fait dire
qu’il participera au sommet de Cannes malgré cette convocation. Il
a ensuite dénoncé «les pratiques hostiles à la
république de Djibouti entreprises dans le cadre de la campagne médiatique
menée par la partie civile». Pour finir, l’ambassade rappelle
sèchement «l’immunité dont bénéficie tout
chef d’Etat en exercice au cours de déplacements à l’étranger».

IOG est
tranquille, il ne quittera pas la Croisette entre deux gendarmes. «C’est
consternant, la présence du président djiboutien est insultante
à la mémoire de mon mari», s’indignait hier soir Elisabeth
Borrel, veuve du juge, partie civile avec ses enfants. «M. Douste-Blazy
avait demandé à me voir à l’automne dernier , raconte-t-elle.
Il s’était présenté à moi, à mes avocats
et à l’un de mes fils, non seulement comme ministre des Affaires étrangères,
mais en tant que "représentant de l’Etat".

Et
il m’avait dit trois choses.

  • La première,
    c’est "dans ce dossier, la France ira jusqu’au bout du bout".
  • La deuxième,
    c’est qu’il épaulerait ma demande d’aller témoigner à
    la Cour de justice de La Haye [où Djibouti poursuit la France,
    ndlr] .
  • La troisième,
    c’était qu’il s’engageait à voir ce qu’il pouvait faire
    pour déclassifier les documents "secret-défense"
    sur lesquels bute l’instruction du dossier de l’assassinat de mon mari.

Depuis,
je n’ai jamais eu aucune nouvelle de Monsieur Douste-Blazy.» Elisabeth
Borrel a «l’impression que nos autorités sont schizophrènes».

Malmenés.
Elles l’ont prouvé une nouvelle fois hier. Dans un même élan,
et pratiquement dans les mêmes termes, l’ambassade de Djibouti et la
place Vendôme ont rappelé les règles du droit à
Sophie Clément qui, semble-t-il, les a malmenés en rédigeant
sa convocation présidentielle. «Dans le cadre d’une convocation
adressée à un représentant d’Etat étranger, le
juge d’instruction est tenu de respecter l’intégralité de la
procédure, notamment par l’intermédiaire du ministère
des Affaires étrangères, ce qui n’a nullement été
fait en ce cas précis», écrit Djibouti. Tandis que la
chancellerie rappelle l’article 656 du code de procédure pénale,
où «la déposition écrite d’un représentant
d’une puissance étrangère est demandée par l’entremise
du ministère des Affaires étrangères».

«Ce
qui est sidérant , observe Olivier Morice, avocat d’Elisabeth Borrel,
c’est de constater l’empressement du ministère de la Justice français
pour voler au secours du président djiboutien ! Cela confirme l’obstruction
systématique de la recherche de la vérité sur la mise
en cause des commanditaires et des exécutants de l’assassin du juge
Borrel par les autorités politiques françaises. C’est scandaleux.»
Selon des sources proches du dossier, la juge va demander aujourd’hui au ministre
de la Justice de transmettre la convocation à IOG, dans les règles,
via le Quai d’Orsay, et l’imprévisible Douste-Blazy.