14/04/07 (B391) A lire dans Le Monde des Voyages, un article sur le tourisme à Djibouti, « l’empreinte du temps ». Cet Article est tout à fait fondé quand il vante les mérites du pays et la richesse de son environnement, mais on ne peut que déplorer la partialité inadmissible lorsqu’il occulte toutes les dérives du régime de Guelleh, la découverte d’un charnier, le viol des femmes par les militaires et l’asservissement de la population. Est-ce un article « commandé » pour tenter de redorer le blason éculé de Guelleh ???

Les
caravanes de dromadaires venues de la frontière éthiopienne
viennent chercher du sel au bord du lac Assal.

Djibouti Envoyé spécial

C’est une belle et mystérieuse histoire venue du fond des âges.
Il faut se la faire raconter près de l’ancien puits et du vieil acacia
qui ont fait l’histoire d’Adaillou, un village perché à plus
de 1 000 mètres d’altitude au nord de Djibouti.

L’histoire dit qu’il y a bien longtemps vivait ici une tribu de nomades afars.
Un matin, les habitants découvrirent un étranger installé
dans l’arbre proche du puits. Il ne voulait pas descendre ni donner son nom
et dire d’où il venait. Mais l’homme était un savant. Il connaissait
le feu et bien d’autres secrets qu’il accepta de partager avec la tribu, tant
et si bien que le sultan d’Adaillou lui offrit le pouvoir, ses terres et sa
fille en mariage.

Des légendes aux accents de mythe comme celle-ci, il en existe beaucoup
d’autres que conservent les nomades installés dans cette région
oubliée de la capitale où l’on vit chichement de quelques chèvres.
Comment pourrait-il en être autrement dans un pays où l’empreinte
des temps reste palpable ?

Dans les parages d’Adaillou pullulent les gravures rupestres et les guirlandes
de tumulus de basalte édifiés il y a plus d’un millier d’années
par une civilisation dont on ignore tout ou presque. « C’était
songo, c’était avant », murmurent les nomades lorsqu’on les interroge
sur ces monuments de pierre surgis d’on ne sait où.

A une journée de marche de là, en bordure du lac Assal, une
banquise de sel, épaisse de plusieurs dizaines de mètres, large
de dizaines de kilomètres, est l’objectif immuable de caravanes de
dromadaires venues de la frontière éthiopienne. Elles cheminent
sans bruit, guidées par des hommes minces comme les galettes de sorgho
dont ils se nourrissent.

Le sel et les branches de palmiers nains qui poussent dans les parages serviront
de produit d’échange contre des céréales. Pourquoi des
branches de palmiers ? Parce qu’elles sont la matière première
des nattes tressées qui couvrent les tentes traditionnelles, les daboytas.

L’empreinte du temps, c’est aussi la forêt fossile du Day, vestige de
la végétation qui couvrait le pays jusqu’à la mer il
y a des milliers d’années. Sans émouvoir quiconque, la forêt
rétrécit comme peau de chagrin, victime des troupeaux de bovins
davantage que de la sécheresse.

C’est enfin le spectacle dantesque du lac Abbé (« pourri »
en langue afar) dont les cheminées de soufre, certaines aussi hautes
que des clochers, laissent s’échapper des volutes de vapeur d’eau.
La croûte terrestre est ici très mince, à tel point que
les géologues prédisent qu’un jour lointain un nouvel océan
va naître au coeur de Djibouti sous l’effet de l’écartement des
plaques continentales.

Ancienne possession française – devenue indépendante sous la
présidence de Valéry Giscard d’Estaing -, Djibouti est aussi
le tabernacle des nostalgies coloniales. Celles-ci se ramassent à la
pelle. Dans la capitale, le voyageur arpentera les quais de l’antique gare
(aujourd’hui à l’agonie) de la Compagnie du chemin de fer franco-éthiopien,
dont les trains à vapeur reliaient Djibouti à Addis-Abeba au
début du XXe siècle. De l’autre côté du Golfe,
à Obock, on lui montrera le cimetière marin où reposent
les dépouilles anonymes de Français emportés, raconte-t-on,
par une épidémie, sur le bateau qui les ramenait d’Indochine.
Un couple de rapaces garde le site.

Toujours sur la côte, à Tadjoura, on lui parlera de la maison
dite d’Arthur Rimbaud. Piètre marchand d’armes face au roi d’Ethiopie
Ménélik II, le poète n’a bien entendu jamais habité
cette bâtisse sans intérêt, trop vite baptisée musée.
Depuis, les choses sont rentrées dans l’ordre : un inconnu, un sans-abri,
s’est approprié la fausse maison de Rimbaud.

L’empreinte de l’histoire ne s’est pas arrêtée avec l’indépendance.
Elle continue à s’inscrire dans le paysage. Ainsi, au nord de Djibouti,
la piste qui longe la côte est-elle parsemée de camions militaires
éthiopiens rouillés et cannibalisés. Ce sont les vestiges
de la fuite éperdue de l’armée du « négus rouge »,
Mengistu, battue à plate couture par les Erythréens au tout
début des années 1990. On imagine la jubilation qui dut être
la sienne en novembre, lorsque le vainqueur de l’armée éthiopienne,
le président érythréen, Issayas Afeworki, venu par la
piste à Djibouti pour un sommet régional, a contemplé
pour la première fois cette procession de carcasses de véhicules
à l’abandon.

Paradoxalement, l’avenir de Djibouti se lit aussi bien que le passé.

Il sera de plus en plus détaché de l’ancienne métropole
et de sa langue. Certes, l’armée française campe toujours dans
la République, de la taille d’une province française, mais elle
n’est plus seule. Sous couvert de lutte antiterroriste, les militaires américains
ont solidement pris pied à Djibouti, où ils louent une ancienne
base française. Les armes qu’ils trimbalent en bandoulière effraient
la population civile mais leurs dollars nourrissent des rêves infinis.

Déjà, les Américains financent la reconstruction d’écoles
dans l’arrière-pays.

Demain, imposeront-ils le hamburger ? La question, avouons-le, ne hante pas
les pêcheurs venus jeter leurs filets tout au nord des côtes de
Djibouti. Au visiteur embarqué sur un boutre, ils montrent en souriant
deux épaves qui gisent par quelques mètres de profondeur. Ce
sont, très distinctes dans l’eau d’un bleu turquoise, celles d’hélicoptères
de l’armée américaine entrés en collision il y a une
année avec plus d’une douzaine d’hommes lors d’un vol de nuit.

Quant à l’économie de la jeune République, mondialisation
oblige, elle est en train de passer sous l’ombrelle du monde oriental.

Riche de ses pétrodollars, Dubaï a repris la gestion de l’aéroport
et du port de Djibouti, dont il ambitionne de faire un pôle régional.

Un émirat proche-oriental, de son côté, vient de construire
un hôtel pharaonique.

Etant donné le prix de ses chambres (300 dollars la nuit, soit 223
euros), il est réservé à une clientèle de nababs.
Une notice précise que la direction a installé un dispositif
de réfrigération garantissant que la température de la
piscine de l’établissement ne dépasse jamais 30 oC !

Au tourisme élitiste et coûteux que ce type d’hôtel suppose,
comment ne pas préférer les campements rustiques mais bien tenus
qu’une poignée de Djiboutiens, en quête d’échanges, proposent
ici ou là à l’étranger de passage ? Les militaires français
et leurs familles en sont jusqu’à présent les seuls bénéficiaires.
Le charme de l’arrière-pays mérite que leur clientèle
s’élargisse.

Jean-Pierre
Tuquoi