24/04/07 (B392-B) L’HUMANITE : Affaire Borrel : deux ministères perquisitionnés.

Justice
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Le Quai d’Orsay et la chancellerie ont été visités
par les juges chargés d’enquêter sur d’éventuelles
pressions dans le dossier du décès du juge Borrel.

Après le Quai d’Orsay, jeudi dernier, les juges chargées
d’enquêter sur d’éventuelles pressions subies par
la justice dans le dossier du juge Borrel, ont perquisitionné le ministère
de la Justice, le lendemain. Preuve de l’indépendance qu’une
certaine magistrature veut encore montrer par rapport au pouvoir exécutif.

Petit retour en arrière.

À Djibouti, en octobre 1995. À quatre-vingts kilomètres
de la capitale éponyme, le cadavre de Bernard Borrel, en partie carbonisé,
est retrouvé au pied d’une falaise. L’enquête n’a
même pas été entamée que la justice djiboutienne,
suivie par l’ambassade de France, livre déjà sa version
officielle : ce juge français d’une quarantaine d’années,
en mission de coopération pour réformer le Code pénal
de l’ancienne colonie, se serait « suicidé par immolation
». Conclusion précipitée et arrangeante pour le pouvoir
en place. Mais pas pour la femme du magistrat, Élisabeth Borrel, qui
pense que la mort de son mari a tout d’un assassinat grossièrement
étouffé, au nom de la raison d’État.

Deux magistrates, Fabienne Pous et Michèle Ganascia, instruisent actuellement
une plainte avec constitution de partie civile de la veuve du juge Borrel
pour « pression sur la justice ». Cette procédure vise
une déclaration officielle de l’ancien porte-parole du Quai d’Orsay,
Hervé Ladsous (aujourd’hui ambassadeur de France en Chine), qui
avait assuré en janvier 2005 qu’une copie du dossier d’instruction
relatif au décès du juge Borrel serait « prochainement
transmise à la justice djiboutienne », qui en avait fait la demande.

Quelques jours plus tard, la juge Sophie Clément, en charge du dossier,
refusera cette transmission estimant notamment que cette requête avait
« pour unique but de prendre connaissance (…) de pièces mettant
en cause le procureur de la République de Djibouti ».

En octobre 2006, la même juge a délivré des mandats d’arrêt
contre le procureur et le chef des services secrets de Djibouti pour une éventuelle
« subornation de témoins » dans l’enquête sur
l’assassinat du juge Borrel.

Interrogé en mars dernier par les juges, Hervé Ladsous a affirmé
s’être borné à publier un communiqué préparé
par le cabinet du ministre de la Justice, Dominique Perben, à l’époque
dirigé par l’actuel procureur général de Paris,
Laurent Le Mesle. « Il y a visiblement quelqu’un qui a fait une
grosse boulette à la chancellerie, (…) quelqu’un qui aurait
dû connaître la bonne procédure (judiciaire). Ce n’était
pas notre métier. C’était celui du ministère de
la Justice », a notamment déclaré l’actuel ambassadeur
aux juges, selon le Canard enchaîné.

La responsabilité présumée du président djiboutien
et de membres de son entourage a été évoquée par
plusieurs témoins lors de l’enquête, et cette affaire a
tendu les relations entre Paris et son ancienne colonie de la Corne de l’Afrique,
qui abrite la principale base militaire française à l’étranger.

Selon Natacha Rateau, vice-présidente du Syndicat de la magistrature,
il s’agit de « savoir d’où viennent les fuites, d’où
vient le blocage ». Et d’ajouter : « Jusqu’à
maintenant (…), on pensait que la protection venait du Quai d’Orsay,
et puis les dernières déclarations de certains fonctionnaires
du Quai font penser que le blocage venait plutôt de la Place Vendôme
», siège de la chancellerie.

Sophie
Bouniot