03/05/07 (B393-B) Le Monde : Affaire Borrel : deux juges interdites de perquisition à l’Elysée.

Deux
juges ont vainement essayé de perquisitionner à l’Elysée,
mercredi 2 mai, jour du dernier conseil des ministres de Jacques Chirac, dans
le cadre de l’affaire Borrel.

L’Elysée a invoqué l’article 67 de la Constitution sur l’irresponsabilité
pénale du chef de l’Etat pour leur refuser l’accès. L’avocat
de Mme Borrel, Me Olivier Morice, qui était présent comme lors
des perquisitions aux ministères des affaires étrangères
et de la justice, les 9 et 10 avril, a dénoncé « une entrave
inadmissible à la justice ».

Les syndicats de magistrats ont vivement réagi. L’Union syndicale des
magistrats, majoritaire, « condamne avec la plus grande fermeté
le refus opposé aux juges », symbole de « la force de l’Etat
utilisé contre le travail de la justice ».

Le Syndicat de la magistrature (gauche) alerte sur « le risque d’une disparition
de preuves à l’occasion des changements à venir des cabinets
ministériels et de celui du président de la République ».
Le président du groupe parlementaire socialiste, Jean-Marc Ayrault,
a commenté sur la chaîne Public-Sénat : « Une fois
de plus, on veut entraver l’action de la justice sur une affaire où
nous demandons la vérité. »

Les deux magistrates Fabienne Pous et Michèle Ganascia voulaient perquisitionner
à la cellule africaine de l’Elysée dans le cadre d’une enquête
pour « pressions sur la justice » en lien avec l’affaire Borrel, le
magistrat tué à Djibouti en 1995. Les juges ont présenté
des réquisitions justifiant leurs démarches pour perquisitionner
dans une enceinte militaire, conformément au statut de l’Elysée.

Peu après, le directeur de cabinet de Jacques Chirac, Michel Blangy,
est venu voir les juges en invoquant l’article 67 de la Constitution pour
refuser la perquisition. Ce nouvel article, adopté en février
par le Parlement, prévoit que « le président de la République
n’est pas responsable des actes accomplis en cette qualité. Il ne peut,
durant son mandat et devant aucune juridiction (…) être requis de
témoigner non plus que de faire l’objet d’une action, d’un acte d’information,
d’instruction ou de poursuite ».

« INTERPRÉTATION EXTENSIVE »

Pour les syndicats de magistrats, l’article s’applique à la personne
du président, pas à ses services. Gilles Guglielmi, professeur
de droit à Paris-II, s’étonne : « Il est rare qu’on se serve
d’un article de la Constitution en matière pénale. L’article
67 parle du président. Les magistrats interviennent dans le cadre d’une
affaire qui ne vise pas le président. Il n’y a aucune raison de leur
opposer l’article 67.

On ne peut pas considérer que l’ensemble des services de l’Elysée
bénéficie d’un statut d’extraterritorialité. »

Le professeur de droit constitutionnel Didier Mauss constatant « l’absence
de textes précis et d’une jurisprudence de la Cour de cassation »
plaide pour « une interprétation extensive » de l’article 67
: « Il ne faut pas que l’autorité judiciaire puisse empêcher
le président d’exercer sa fonction. Ses collaborateurs n’existent qu’à
travers lui. L’irresponsabilité du président doit inclure ses
collaborateurs et les locaux dans lesquels ils exercent leurs fonctions. »

Guy Carcassonne partage le même avis : « L’Elysée n’est pas
une maison comme les autres, car son locataire n’est pas un citoyen comme
les autres. Les papiers appartiennent au président », tout en remarquant
: « La date est singulière. »

La section de recherches de la gendarmerie avait invoqué le calendrier
électoral pour refuser de participer aux perquisitions dans les ministères.

Les juges essaient d’établir les circonstances de la rédaction
d’un communiqué du Quai d’Orsay qui proposait de transférer
le dossier judiciaire de l’affaire Borrel à Djibouti.

Mi-février, Pierre Vimont, directeur de cabinet du ministre des affaires
étrangères, a évoqué devant les juges l' »accord »
de Michel de Bonnecorse, responsable de la cellule africaine, avant publication
du communiqué.

Pour Me Morice, il fallait réaliser
ces perquisitions avant l’échéance électorale pour éviter
des destructions de preuves.

Alain
Salles