26/05/07 (B397) LIBERATION / En Somalie, une traque sans merci contre les jihadistes. (Info lectrice)

Les
coups de filet se sont multipliés contre les partisans d’Al-Qaeda.

Par Stéphanie BRAQUEHAIS

«J’ai
été détenu au secret pendant vingt jours à la
prison de la Villa Somalia (palais présidentiel) .

On m’a interrogé sur mes liens présumés avec Al-Qaeda»,
souffle Saïd. Ce jeune homme a été arrêté
à l’aéroport de Mogadiscio fin mars, alors qu’il escortait un
groupe d’humanitaires qui prenaient l’avion. En Somalie, tout étranger
loue à la journée une protection armée pour circuler.
«Ils m’ont accusé de diriger une milice et d’avoir des connexions
avec les islamistes. J’ai été ligoté et enfermé
dans une cellule.

Au bout d’une semaine, des parents ont réussi à payer pour venir
me voir, puis me faire sortir.»

A Mogadiscio, les arrestations se multiplient depuis la fin des combats, en
avril, entre l’armée éthiopienne soutenant le gouvernement somalien
de transition et ceux que l’on a appelés les «insurgés»
, majoritairement issus des Tribunaux islamiques, qui ont régné
de mai à décembre 2006 sur une grande partie du pays. Plusieurs
d’entre eux figurent sur la liste américaine des personnes affiliées
à Al-Qaeda, notamment Sheikh Hassan Dahir Aweys, l’ex-numéro
1. Ou encore Adan Hashi Ayro, le chef de leur milice extrémiste, les
«Shababs».

«Diaspora». Dans leur traque des insurgés, les troupes
somaliennes ont mis en place des barrages à tous les carrefours. Les
Ethiopiens, eux, ont installé des campements dans tous les quartiers,
fouillant les maisons à la recherche d’armes. «La Somalie est
devenue un repaire pour Al-Qaeda, assure Hussein Mohamed, le porte-parole
du président du gouvernement, Abdulahi Yusuf. Les anciens tribunaux
islamiques prônent le jihad. Ils reçoivent de l’argent de la
diaspora et d’organisations terroristes basées en Arabie Saoudite.

Les jeunes qui sont enrôlés subissent des lavages de
cerveaux.»

Officiellement, le nombre d’arrestations s’élève à 200.
Mais plusieurs sources font état de près d’un millier de personnes
disparues et détenues en secret au port, à la Villa Somalia
ou dans les caves de l’Agence nationale de la sécurité, en centre-ville.
«Nous suivrons les procédures légales pour que ces personnes
aient accès à un avocat et puissent être jugées
en bonne et due forme», assure Hussein Mohamed. En visite à Mogadiscio
à la mi-mai, John Holmes, le sous-secrétaire aux affaires humanitaires
de l’ONU, avait reçu les mêmes garanties et annoncé la
visite prochaine de Louise Arbour, la commissaire aux droits de l’homme, avec
l’aval des autorités.

Cette vague d’arrestations suscite un climat de suspicion peu propice à
l’organisation d’une conférence de réconciliation nationale,
prévue à la mi-juin. «Le gouvernement de transition et
les Ethiopiens, soutenus par les Etats-Unis, utilisent l’argument du terrorisme
pour éviter d’entamer un dialogue réel», estime Mohamud
Mohamed Uluso, ancien ministre sous l’ancien dirigeant Siyad Barré
(déposé en 1991) et intellectuel respecté.

«Après la défaite des Tribunaux, dont la plupart sont
en réalité des modérés, le président Abdulahi
Yusuf a exclu de discuter avec eux. Or, les tribunaux ont gardé une
réelle influence au sein de la population. Désormais, si quelqu’un
critique le gouvernement, il est automatiquement catalogué comme terroriste.»

Le clan majoritaire, celui des Hawiyé, reproche au président
d’imposer les membres de son propre groupe, les Darod, dans toutes les sphères
du pouvoir et de s’appuyer sur l’ennemi historique, l’Ethiopie, pour garder
le pouvoir. «Ce genre d’injustices fabrique des hommes prêts à
prendre les armes pour défendre leurs intérêts. Si la
maison de mon frère est détruite, si un membre de mon clan est
tué ou arrêté, il ne me reste plus qu’à rejoindre
le front», explique Mohamud Mohamed Uluso.

Relais.

Les insurgés, formés notamment des anciens Shababs, ratissent
au-delà des idéologies religieuses en s’opposant à la
présence de l’armée éthiopienne, censée passer
le relais à une mission de maintien de la paix de l’Union africaine.
Seul l’Ouganda a pour le moment envoyé des troupes ­ 1 200 hommes
­, une contribution bien modeste pour envisager le départ de près
de 20 000 soldats éthiopiens, disposant de moyens militaires sans équivalent
en Afrique.