29/05/07 (B397) SURVIE / Bulletin d’Afrique B 359 – A lire sous la plume de Jean-Loup Schaal : Rebondissements dans l’affaire de l’assassinat du Juge Borrel.

Avec
les perquisitions dans les ministères des Affaires étrangères
et de la Justice, l’instruction se rapproche du pouvoir, mais se fait
interdire l’entrée de la cellule Afrique de l’Elysée.

Que cherchaient les deux juges à la veille de l’élection
présidentielle ?

Tout changement de locataire d’un palais national entraîne la
destruction de documents et d’archives « secrètes ».
Le départ de Jacques Chirac ne devrait pas faire entorse aux mauvaises
habitudes politiques. Il y avait donc urgence à récupérer
des documents avant leur destruction. On croit savoir que les juges cherchaient
des preuves de la pression (chantage ?) qui aurait été exercée
par Djibouti sur la France pour obtenir la copie du dossier d’instruction,
afin de pouvoir prendre la justice française de vitesse en organisant
un procès éclair à Djibouti.

Panique à
l’Elysée

Lors de la 3ème perquisition, le 3 mai, les juges se sont cassé
les dents aux portes de l’Elysée. Pourtant elles possédaient
un mandat de perquisition en bonne et due forme. Elles ont déclenché
une véritable panique. Il leur a été d’abord opposé
que l’Elysée est une enceinte militaire. C’est
sur le couvercle d’une poubelle qu’elles ont donc immédiatement
requis l’autorité du gouverneur militaire de Paris, en application
des procédures en vigueur.

L’Elysée a trouvé la parade en invoquant le nouvel article
67 de la constitution sur l’immunité du Chef de l’Etat.
Les gendarmes de garde ont aussitôt refoulé les deux juges en
les bousculant jusqu’au trottoir mettant ainsi fin à la tentative
de perquisition. Une perquisition avortée qui visait le bureau de Michel
de Bonnecorse, patron de la trop fameuse cellule « Afrique » de
l’Elysée, dont de nombreux observateurs, Survie en particulier,
demande la suppression immédiate.

Dans un communiqué, Survie et l’ARDHD ont d’ailleurs dénoncé
l’opacité du financement, des méthodes et des objectifs
de cette cellule. Elles réclament aussi le transfert des dossiers aux
Archives nationales.

Dix jours plus tard, on apprenait qu’un nouveau témoin
était incarcéré (fort opportunément ?) à
Djibouti dans l’indifférence de la diplomatie française.
Ce ressortissant français, ancien gendarme, affirme détenir
des informations sur l’assassinat du juge Borrel.

En février déjà, les observateurs avaient été
alertés sur le cas de Christian Georges qui avait réussi à
s’enfuir de Djibouti. Il avait déjà été
arrêté pour « espionnage » puis relâché,
placé sous contrôle judiciaire avec confiscation de son passeport.
Interpellé par la suite pour attentat à la pudeur puis remis
en liberté sous contrôle judiciaire avec demande de versement
d’une caution, Christian Georges a alors pris la fuite début janvier
au Yémen où il a été interpellé pour entrée
irrégulière sur le territoire.

Bien qu’il soit difficile de confirmer ou d’infirmer les charges
qui pèsent sur lui, on ne peut que s’étonner de plusieurs
points :

  • Avant sa première incarcération
    à Djibouti, Christian Georges avait envoyé à sa famille
    des SMS codés pour qu’elle conserve des informations sur
    l’assassinat du juge Borrel. Des informations obtenues auprès
    de plusieurs personnalités djiboutiennes.
  • Lorsqu’il était au Yémen,
    déjà gravement malade, les autorités diplomatiques
    françaises ne lui auraient pas porté assistance. Il
    semblerait même que c’est le réseau diplomatique français
    qui aurait, via l’Ambassadeur de France en poste à Djibouti,
    informé Omar Guelleh, le président djiboutien de la présence
    de Christian Georges au Yémen. Djibouti a lancé immédiatement
    un mandat d’arrêt international pour le récupérer.
  • Les Yéménites sont entrés
    en contact avec la France pour demander la position à son sujet.
    Elles ont fait traîner au maximum
    l’extradition attendant un geste de la France en sa faveur.

    Finalement après plusieurs semaines de silence français
    sur ce point, elles auraient été finalement contraintes
    de livrer Christian Georges aux djiboutiens qui l’ont placé
    au secret dans la sinistre cellule 12 de la Prison de Gabode, alors qu’il
    aurait besoin de soins urgents, pour dit-on, une tumeur au cerveau.

Il ne serait donc pas surprenant, si son
état de santé était confirmé, qu’il ne perde
la vie, faute de soins, dans l’univers carcéral de Djibouti.

Des raisons inavouables ?

Quand on ferme les portes de sa maison à la Justice, c’est
que l’on a quelque chose à lui cacher.

En interdisant l’accès de la cellule Afrique de l’Elysée,
retranché derrière une interprétation extensive et hautement
contestable de l’Article 67, Jacques Chirac avait-il quelque chose à
cacher sur l’assassinat du juge Borrel et les relations franco-djiboutiennes
? Le régime d’Omar Guelleh aurait-il menacé de rendre
public certaines informations « dérangeantes » comme, par
exemple, le transfert d’uranium vers des pays sous embargo, les véritables
coupables de l’attentat du café de Paris ?

Quelles sont donc les informations sensibles que le gouvernement français
n’aimerait pas voir rendre public au point de négliger l’assistance
à un compatriote en difficulté à l’étranger
? Rappelons que c’est une des missions prioritaires des autorités
diplomatiques. Quant aux charges pénales contre Christian Georges,
on peut douter de leur sérieux tant la justice djiboutienne a l’habitude
d’inventer des charges « bidons ». Jean-Paul Noël Abdi,
le président de la ligue des droits de l’homme de Djibouti (LDDH)
en avait été la victime, il y a un mois (Billet d’Afrique
N° 157). La diplomatie française ne peut l’ignorer, à
moins que ça ne l’arrange…

Jean-Loup Schaal

Annexe 1 : Les
origines de l’affaire Borel.

Le Juge Bernard Borrel, fonctionnaire en mission de coopération auprès
du Ministre djiboutien de la Justice, a été trouvé mort
à Djibouti, en Octobre 1995 en contrebas d’un éboulis.

Dès les premières heures de la découverte, les autorités
françaises et djiboutiennes ont déclaré qu’il s’agissait
d’un suicide « en accord avec Paris ? ». C’est toujours
la thèse officielle d’Etat.

Plusieurs juges d’instruction se sont succédé sur le dossier.
Aujourd’hui, c’est Sophie Clément qui en a la charge et
elle instruit, avec impartialité, le dossier pour assassinat. Cette
différence de point de vue avec celle des plus hautes autorités
politiques françaises et djiboutiennes explique certainement le nombre
impressionnant d’obstacles qu’on lui oppose à chaque fois
que son instruction fait un progrès. Néanmoins, elle a réussi
à délivrer des mandats d’arrêt contre deux des auteurs
possibles de l’assassinat : Awalleh Guelleh (introuvable ?) et Hamouda
Hassan Adouani (Tunisien, condamné à Djibouti pour l’Attentat
du Café de Paris et libéré par une Grâce présidentielle.
Il est retourné depuis dans son pays,)

Annexe 2
: Les instructions parallèles à l’affaire Borrel

Les obstacles dressés par le Gouvernement français ont suscité
plusieurs plaintes, qui sont en cours d’instruction ou en délibéré

1 – A Versailles,
une plainte pour tentative de subornation de témoins a été
déposée par deux témoins djiboutiens exilés
à Bruxelles : Mohamed Saleh Alhoumekani et Ali Iftin. Elle vise l’un
des deux premiers magistrats intervenus sur l’affaire : Marie-Paule
Moracchini (dont les conclusions dans d’autres affaires de l’époque
sont controversées), Hassan Saïd, le chef des Services secrets
djiboutiens, Djama Souleiman, le Procureur général djiboutien
et Me A. Martinet, un avocat français établi à Djibouti,
au service de la Présidence djiboutienne.

Les quatre personnes ont été convoquées par la Justice
: comme les deux djiboutiens ont refusé de se présenter, un
mandat d’arrêt international a été lancé
contre eux.

2 – A Lille, une
plainte en diffamation a été déposée par Marie-Paule
Moracchini contre l’ancienne Présidente du Syndicat de la Magistrature,
Anne Crenier, qui a toujours soutenu le combat de la veuve du juge, Elisabeth
Borrel. Madame Moracchini a affirmé au cours de l’audience
qu’elle croyait toujours à la thèse du suicide et que
sa conviction avait été confortée lors de la première
reconstitution : « je l’ai vu, c’est un lieu où
l’on se suicide ! » Le délibéré sera rendu
le 27 juin.

3 – A Paris, une
plainte pour tentative de pression sur la Justice a été déposée
par Mme Borrel contre Hervé Ladsous, ancien porte-parole du Quai
d’Orsay.

Dans cette affaire dans l’affaire, les juges enquêtent sur le processus
de décision ayant mené début 2005 à une déclaration
officielle du Quai d’Orsay, assurant qu’une copie du dossier d’instruction
relatif au décès du juge Borrel serait «prochainement
transmise à la justice djiboutienne» qui en avait fait la demande.

Or, ce communiqué intervenait avant que la juge Sophie Clément,
en charge de l’enquête et donc seule habilitée à transmettre
son dossier, ne se prononce. Quelques jours plus tard, elle s’y était
d’ailleurs opposée, à juste titre, car cela aurait abouti
à l’enterrement de l’affaire Borrel.

L’instruction a été confiée aux Juges Fabienne
Pous et Michèle Ganascia. Elles ont perquisitionné le 20 avril
au Ministère des Affaires étrangères et le 21 au Ministère
de la Justice. Elles auraient saisi de nombreux documents et supports informatiques.
Il est à noter que la Gendarmerie a refusé d’assister
les juges, comme cela est de son devoir.