11/06/07 (B399) LE FIGARO / Les exigences diplomatiques de l’affaire Borrel

MATHIEU
DELAHOUSSE.

La révélation de notes signées du directeur de cabinet
du ministre de la Justice confirme que les impératifs diplomatiques
ont pris le pas sur l’enquête. Le juge Borrel a été retrouvé
mort en 1995 à Djibouti.

LES PERQUISITIONS avaient fait grand bruit.

Les résultats obtenus provoquent un écho encore plus important.
En avril dernier, les juges Fabienne Pous et Michèle Ganascia, chargées
du volet « pressions sur la justice » dans le cadre de l’affaire
Borrel, avaient saisi plusieurs dizaines de documents au ministère
de la Justice et au ministère des Affaires étrangères.
L’accès à l’Élysée leur avait en revanche été
refusé, le 2 mai.

Parmi les documents saisis, se trouvent des notes signées de l’actuel
procureur général de Paris, Laurent Le Mesle, qui était
alors directeur de cabinet du garde des Sceaux, Dominique Perben. Ces documents,
dont la teneur a été révélée samedi par
Le Monde et l’AFP, montrent comment la France s’était décidée
à accepter de fournir à Djibouti une copie du dossier d’instruction
malgré le refus de la juge qui en était chargée. «
Je vous remercie de veiller à ce qu’il soit apporté une réponse
favorable à la demande » de Djibouti, écrivait ainsi le
30 juillet 2004 Laurent Le Mesle à destination de ses services.

À cette date, des soupçons sur le rôle des autorités
de Djibouti dans la mort du juge français avaient pourtant été
largement exprimés. Quelques semaines plus tard, la juge Sophie Clément
avait d’ailleurs convoqué, pour les entendre dans le cadre d’une procédure
de subornation de témoin, le chef de l’État djiboutien, le chef
de la Sécurité nationale, mais aussi le procureur de la République
du pays. Accepter de fournir le dossier imposait à la juge d’accepter
cette contradiction : livrer la copie d’un dossier à des témoins
clés refusant de répondre. La juge avait donc fait savoir son
opposition au parquet et à la Chancellerie.

« Des assurances réitérées du ministère
de la Justice »

Malgré cela, il est aujourd’hui établi que Djibouti avait reçu
des promesses de la part de la France. Dans sa requête devant la Cour
internationale de justice en janvier 2005, Djama Souleiman Ali, procureur
de Djibouti, évoque ainsi « des assurances réitérées,
notamment du ministère de la Justice, indiquant que la remise du dossier
interviendrait une fois accomplies les formalités bureaucratiques nécessaires
».

La raison d’État a-t-elle pris le pas sur la bonne conduite de l’enquête
criminelle ?

Des documents saisis en perquisition montrent la très forte pression
diplomatique. Au niveau judiciaire, il apparaît cependant que les instructions
données par Laurent Le Mesle ne sont pas litigieuses : une telle transmission
pouvait s’appuyer sur la convention d’entraide pénale signée
en 1986 entre les deux pays et sur l’article 694-4 du Code de procédure
pénale qui, en cas de conflit, donne au seul ministre de la Justice
la décision ou non de transmettre ces pièces. Documents à
l’appui, la France aurait donc assumé ce choix : la diplomatie plutôt
que la justice.

Le dossier n’a finalement pas été transmis à Djibouti.
Lorsque le Quai d’Orsay annonce qu’il s’apprête à le faire, par
un communiqué du 29 janvier 2005, Élisabeth Borrel, la veuve
du juge, portera plainte et bloquera la manoeuvre.