28/08/07 (B410) LIBERATION L’affaire Borrel se concrétise avec deux renvois en correctionnelle. Deux proches du président de Djibouti sont accusés de «subornation de témoin».

Par BRIGITTE VITAL-DURAND

Après douze années de procédures tourmentées qui ont suivi l’assassinat du juge français Bernard Borrel en 1995 à Djibouti, le dossier se concrétise enfin.

Deux proches du président de la République de Djibouti, ­Ismaël Omar Guelleh, dit I.O.G., sont renvoyés devant le tribunal correctionnel de Versailles par une ordonnance du juge d’instruction Magali Tabareau, en date du 20 août, et rendue publique hier. L’implication de ces deux personnalités – un haut magistrat et un haut fonctionnaire – renforce encore les soupçons qui pèsent sur l’actuel chef de l’Etat de ce petit pays d’Afrique où la France a de grands intérêts.

Le renvoi en correctionnel vise le procureur général de Djibouti, Djama Souleiman Ali et le chef des services secrets du pays, Hassan Saïd Khaireh. Ils sont tous deux mis en examen pour «subornation de témoin». Deux autres personnalités, françaises, impliquées en tant que «témoins assistés», dont la juge d’instruction parisienne Marie-Paule Moracchini, bénéficient d’un non lieu.

Une troisième personnalité fait une apparition inattendue dans cette affaire aux multiples ramifications : Arnaud Montebourg, mais, lui, en tant que partie civile aux côtés d’Elisabeth Borrel, veuve du juge (lire ci-dessous (*)).

Il faut remonter à la nuit du 18 au 19 octobre 1995, date de l’assassinat de Bernard Borrel, dont le corps a été retrouvé calciné dans un ravin à 90 kilomètres de la capitale de Djibouti. Cette même nuit, une discussion aurait été engagée dans le jardin du palais présidentiel de Djibouti, entre cinq hommes : un membre de la garde présidentielle, Mohamed Saleh Alhoumekani, le futur président de la République, alors directeur de cabinet de son prédécesseur, Omar Guelleh, un certain Romani, et enfin deux repris de justice.

«Fouineur». Exilé en Belgique quatre ans plus tard, Alhoumekani a demandé à témoigner devant la juge Moracchini alors en charge du dossier d’instruction sur la mort du juge Borrel.

L’audition a eu lieu en janvier 2000, à Bruxelles. L’ex-militaire a déclaré qu’il avait entendu l’un des deux repris de justice dire au futur chef de l’Etat : «Le juge fouineur est mort, il n’y a plus de traces.» Ce témoignage crucial, en ce qu’il accuse directement I.O.G. d’être mêlé à l’exécution de Bernard Borrel, a été suivi d’effets en cascade.

D’abord, les conditions dans lesquelles la juge parisienne a recueilli ce témoignage ont été examinées de près par la justice. Une policière belge, présente à l’audition, a affirmé que la magistrate avait notamment dit que «si M. Alhoumekani avait fait de telles déclarations en France, il se serait retrouvé en prison».

Marie-Paule Moracchini est finalement blanchi du chef de «subornation» par le non-lieu de Versailles. Ce qui n’est pas le cas de Souleiman.

Le témoin a en effet affirmé que «plusieurs responsables djiboutiens, et en particulier le procureur de la République de Djibouti, M. Djama Souleiman, avaient fait le déplacement à Bruxelles pour obtenir la rétractation de son témoignage». Selon l’ordonnance de renvoi de la juge versaillaise, le procureur djiboutien aurait agi fin 2001, début 2002, en «menaçant d’exercer des représailles sur sa famille» restée au pays, « en lui proposant de l’argent et un poste diplomatique» .

Il aurait finalement obtenu du témoin un projet de lettre dans laquelle celui-ci revenait sur ses précédentes déclarations. Ce document figure au dossier. Accusatoire aussi, l’enregistrement d’une conversation téléphonique où le procureur explique à Alhoumekani comment il doit changer sa déposition.

Pression.

Quand au chef des services secrets, il lui est reproché des pressions sur un autre témoin, le capitaine Iftin. Ce dernier était chef de la garde présidentielle en 1995. En 2002, ce capitaine, réfugié en Belgique lui aussi, a raconté comment il avait été contacté par Hassan Saïd pour contrer le témoignage d’Alhoumekani et signer un «texte établi à l’avance». Iftin qui, depuis, a réussi à faire partir sa femme et ses enfants en Belgique, est maintenant partie civile.

Jusqu’ici, à chaque rebondissement du dossier, la présidence de Djibouti a nié être pour quoi que ce soit dans la mort de Bernard Borrel qu’elle estime toujours être la conséquence d’un suicide. Ni Djama Souleiman, ni Hassan Saïd n’ont consenti à se présenter devant la juge d’instruction de Versailles. Depuis octobre 2006, ils sont d’ailleurs sous le coup de mandats d’arrêt.

Du côté de la partie civile, on se félicite de cette notable avancée. «Depuis que le président Sarkozy a reçu Elisabeth Borrel à l’Elysée [le 19 juin], les déblocages sont incontestablement intervenus, remarque Olivier Morice, avocat, avec Laurent de Caunes, de la famille du juge. Le respect dû à Mme Borrel au plus haut niveau de l’Etat a balayé un mépris hallucinant de plus de douze ans.»

(*) ____________________________ Et le nom de Montebourg apparaît…
Le nom du député PS Arnaud Montebourg apparaît, mais lointainement, dans ce volet du dossier Borrel. Partie civile, représenté par l’avocat Christian Charrière-Bournazel, le député se défend d’une accusation de tentative de manipulation de témoin.

Montebourg affirmait hier que son nom est également cité – toujours dans l’affaire Borrel – dans une note de la DGSE. Ancien avocat, il explique vouloir ne rien laisser passer sur le plan juridique, d’où sa présence au dossier en tant que partie civile. Le député s’était exprimé en faveur du retournement de l’enquête au moment où la thèse du suicide de Bernard Borrel a dû céder le pas en faveur de l’assassinat.

A cette époque, Francis Szpiner, avocat notamment du gouvernement de Djibouti, s’était présenté contre lui aux élections législatives de 2002 en Saône et Loire, et a été battu. Me Szpiner, sollicité hier par Libération, n’a pas donné suite.