20/10/07 (B418) LE MONDE : Affaire Borrel : des milliers de Djiboutiens manifestent contre la justice française.

Les milliers de personnes ont défilé samedi 20 octobre à Djibouti pour protester contre l’enquête de la justice française sur la mort du juge français Bernard Borrel dans ce pays, lors de la plus importante manifestation du genre depuis l’éclatement de cette affaire qui empoisonne les relations franco-djiboutiennes.

15 000 à 20 000 personnes y ont pris part, a indiqué Said Daoud, président du comité d’organisation de la manifestation. La police a estimé le nombre de manifestants à 35 000. Djibouti compte environ 705.000 habitants, dont près de la moitié dans la capitale.

Les relations entre la France et Djibouti – ex-colonie française qui abrite la principale base militaire française en Afrique – sont gravement perturbées par l’affaire de la mort du juge Bernard Borrel le 19 octobre 1995 à Djibouti. Il travaillait, dans le cadre de la coopération, auprès du ministre de la justice de Djibouti. Le dossier est devenu une affaire d’Etat après la mise en cause par des témoins de l’actuel président djiboutien Ismaël Omar Guelleh et de dignitaires du régime. Le président français Nicolas Sarkozy s’est engagé à aider la veuve Borrel dans ses démarches pour connaître la vérité.

La marche, qui s’est déroulée à l’appel d’un collectif regroupant une trentaine d’associations culturelles, est passée devant l’ambassade de France à Djibouti, mais n’a pas pris la direction de la base militaire française. Ce collectif a appelé à deux marches similaires dimanche : à Ali-Sabieh, ville principale du Sud, à 100 km au sud-ouest de la capitale, et dans la localité d’Arta, située à 30 km au sud de Djibouti.

DES MINISTRES DANS LE CORTÈGE

Les ministres de la communication, du commerce, de la jeunesse et de la promotion de la femme, des parlementaires, des chefs religieux et des représentants de la société civile se sont joints au cortège. Des slogans hostiles à la France et à sa justice ont été scandés. »Touche pas à mon président ! », « Honte à toi Sarkozy! », « Justice raciste », ont notamment lancé les manifestants.

Des slogans ont également critiqué la veuve du juge Borrel. Une Française résidant à Djibouti depuis six mois a confié avoir pour la première fois été « agressée verbalement et bousculée » alors qu’elle assistait au défilé. « Je me suis fait insulter et appeler Mme Borrel (…), j’ai vraiment ressenti de la haine (…). On a l’impression, nous Français, d’être des boucs émissaires dans cette affaire », a-t-elle dit.

Djibouti a conclu à un suicide dans l’affaire Borrel, mais l’enquête française privilégie la thèse d’un assassinat. Fin août, le procureur général de Djibouti Djama Souleiman et le chef des services secrets Hassan Saïd, proches du président Guelleh, ont été renvoyés pour la première fois devant la justice française dans ce dossier. Des mandats d’arrêt internationaux, valant mises en examen, avaient été délivrés le 27 septembre 2006 par la justice française contre ces deux responsables, soupçonnés d’avoir exercé des pressions sur deux témoins djiboutiens. M. Souleiman a affirmé mercredi que « cette affaire (Borrel) était le plus grand scandale judiciaire de la République française ».

Les autorités djiboutiennes ont récemment évoqué un possible lien entre la mort du juge et une affaire de « pédophilie » impliquant des Français. Plusieurs ressortissants français ayant résidé à Djibouti dans les années 90, dont des ex-diplomates, sont visés par une enquête judiciaire après une plainte de deux Djiboutiens en avril pour agressions sexuelles présumées sur mineurs.