23/10/07 (B418-B) L’EXPRESS : Affaire Borrel Manifestations contre la France à Djibouti (Info lectrice)
Vincent Hugeux
Trois défilés anti-français ont été orchestrés ce week end par le régime djiboutien. Les manifestants protestaient contre l’enquête de la justice française sur la mort du juge Borrel en 1995, qui met en cause des proches du président Ismaïl Omar Guelleh.
“Justice raciste !”, “Honte à toi, Sarkozy !”, “Touche pas à mon président !”: ce bref florilège reflète assez fidèlement la bourrasque hargneuse qui a soufflé, les 20 et 21 octobre, sur les trois défilés anti-français orchestrés par le régime djiboutien, ministres et députés en tête.
Il sagissait, pour le “collectif dassociations” -paravent commode- censé sonner lheure de la révolte, de flêtrir lacharnement judiciaire dont serait victime le président Ismaïl Omar Guelleh, à lheure où la vérité officielle sur lassassinat en octobre 1995 du juge français Bernard Borrel, hâtivement maquillé en suicide au terme dune enquête bâclée, fait eau de toutes parts.
Sil y eut acharnement dans cette affaire tortueuse, ce fut dabord celui que Paris déploya pour dédouaner son protégé Guelleh, patron dun Etat de la Corne de lAfrique qui, du fait de sa situation, constitue un enjeu géostratégique majeur. Au point que la France, désormais exposée à la concurrence américaine, y entretient sa base militaire la plus imposante du continent.
Mais le vent a tourné. En recevant le 20 juin dernier à lElysée Elisabeth Borrel, la veuve du magistrat disparu, Nicolas Sarkozy a donné quelque consistance au serment de rupture avec lère des turpitudes françafricaines, tellement malmené par ailleurs. Il la fait avec dautant plus dentrain que le meurtre de Borrel, alors coopérant technique détaché auprès du ministre de la Justice djiboutien, fut le prologue de lun des épisodes les plus sinistres de lère Chirac.
Dautres indices attestent le changement de cap.
A commencer par les mandats darrêts délivrés en octobre 2007 pour “subornation de témoins” contre le procureur général Djama Souleiman et le chef des services secrets de Djibouti, Hassan Saïd, renvoyés lun et lautre devant le tribunal correctionnel de Versailles, puis contre deux des exécutants présumés de la liquidation du juge, Awalleh Guelleh et Hamadou Hassan Adouani.
Autre indice, les perquisitions conduites en juillet -et contre lavis du Parquet- aux domiciles parisien et provençal de Michel de Bonnecorse, patron de la cellule africaine de lElysée sous Chirac et avocat opiniâtre de la thèse du suicide, quil défendit notamment devant lauteur de ces lignes au printemps 2006. Expédition menée deux mois après que les gendarmes de lElysée eurent interdit aux deux juges laccès au “Château”.
Opportunément rediffusé dimanche soir sur “Canal + décalé”, la troublante enquête menée par léquipe de Lundi Investigation recense de manière implacable les failles de lune des fables les plus faisandées de la Chiraquie.
On y voit, document consternant, les deux juges initialement chargés de lenquête, tituber le long dune corde de rappel sur là-pic au pied duquel le cadavre à-demi carbonisé de Bernard Borrel fut découvert, pour conclure que le défunt avait parfaitement pu descendre en pleine nuit, et de son plein gré, ce toboggan rocailleux avant de se donner la mort puis de simmoler par le feu…
On y entend les récits, convergents, de plusieurs témoins djiboutiens ; notamment celui dun ex-membre de la Garde présidentielle, Mohamed Saleh Alhoumaneki, aujourdhui exilé en Belgique, qui jure avoir entendu en décembre 1996 le commando supposé rassurer en ces termes Ismaïl Omar Guelleh, alors directeur de cabinet de son prédécesseur à la présidence, et qui dailleurs avait, en cette qualité, reçu Ayman al-Zawahri, lidéologue dal-Qaïda : “Le juge fouineur est mort, il ny a pas de traces”.
On y découvre que lun des deux hommes de main présumés sest évadé de la prison de Djibouti peu après les faits pour se réfugier en Ethiopie, et que lautre coule des jours tranquilles dans sa Tunisie natale. On y apprend que les notes de la DGSE -le renseignement extérieur français-, qui dépeignaient Guelleh sous les traits dun affairiste dénué de scrupules, seront au fil du temps édulcorées sur ordre, jusquà vanter sa clairvoyance et son intelligence.
On y voit le chef de lEtat djiboutien en détresse, battre en retraite sous les questions incisives dun journaliste de Canal lors dune conférence de presse donnée à Paris au Centre daccueil de la presse étrangère, avant de filer à lElysée où Chirac sempressera dépingler une Légion dhonneur au revers de son veston.
Reste à savoir ce qui valut à Bernard Borrel une fin si funeste. Il enquêtait de trop près sur des trafics auxquels Guelleh était mêlé, avancent les uns ; une affaire de négoce clandestin de matières nucléaires, supposent les autres.
Avant de recourir à larme des manifs, Djibouti a tenté dallumer un contre-feu. Suggérant que le juge Borrel fait partie des douze Français, dont deux diplomates, un enseignant, deux militaires, un prêtre et “un coopérant technique”, poursuivis pour agressions pédophiles sur des enfants des rues. Loin de nous la volonté de nier que de tels crimes aient pu être commis, hélas, là comme ailleurs. Mais la ficelle de cette diversion tardive a la finesse dun cable de marine.
A lévidence, il est une vérité qui échappe aux milliers de porteurs de pancartes djiboutiens, aussi sincères soient-ils : ce nest pas la justice qui est raciste, mais linjustice.