29/10/07 (B419) Aujourd’hui l’Afrique / Diibouti : Entre importance stratégique et chaos politique

(Article publié dans la Revue « Aujourd’hui l’Afrique » N° 103 de mars 2007 – Revue de l’AFASPA – Avec l’aimable autorisation de la rédaction)

AVERTISSEMENT : le texte a été numérisé avec un logiciel de reconnaissance de caractères (OCR). Il est possible que des coquilles apparaissent et nous prions les lecteurs de nous excuser.

Ah Ibn Yussuf

La France maintient une présence militaire forte de 3000 soldats à Djibouti, tandis que les Etats-Unis renforcent leurs effectifs (2000 militaires) et étendent leur emprise toujours dans le cadre de la lutte antiterroriste. Les Etats-Unis mènent une lutte sourde pour grignoter les positions françaises, tout en utilisant les connaissances du terrain des Français.

Le Chef de l’Etat djiboutien, et dans une moindre mesure ses proches parents ont jusqu’à présent plutôt bien profité de la concurrence entre Américains et Français qui a permis d’augmenter leur manne financière. Les Français ont porté leur aide directe — une sorte de location pour la base militaire — à 30 millions d’Euros, à la hauteur de la contribution américaine, diminuant par la même occasion l’aide à l’éducation et à la santé. Pour éviter toute mauvaise surprise, le Président djiboutien a même installé les caisses du Trésor Public dans son palais de Haramous.

Malgré la concurrence des Etats-Unis, l’influence française reste prépondérante à Djibouti et le Président Chirac le principal soutien du dictateur Guelleh.

Djibouti reste à cet égard un révélateur de la politique africaine de la France qui consiste à porter à bout dcs bras des despotes corrompus (Deby, Eyedema fils, Biya etc…)

La présence de ces bases militaires ont des conséquences néfastes, elle consolide un pouvoir familial mafieux, verrouille la vie politique et aggrave ses tendances répressives sans pourtant enrayer la dérive chaotique du pays.

Le site de Djibouti conserve aussi une importance régionale du fait qu’il reste le principal débouché maritime de l’Ethiopie à cause de la guerre avec l’Erythrée. Mais les implications d’lsmael Omar Guelleh dans certains conflits de la Corne d’Afrique, notamment ses rapprochements avec l’Erytbrée risquent d’avoir des conséquences pour ce petit pays

La visite du Ministre de la Défense djiboutienne à Asmara fin Août 2006 précédée par celle de son homologue érythréen à Djibouti a illustré les nouveaux liens entre les deux pays irritant au plus haut point les autorités éthiopiennes. Ces dernières ont découvert avec stupéfaction le passage sur le sol djiboutien des combattants Oromos et d’Ogaden entraînés en Erythrée et en partance vers l’Ethiopie. Sans oublier le danger des interférences tout azimut de la petite Djibouti dans l’imbroglio somalien ; Guelleh semble avoir mis le pied plus loin que son tapis comme disent les Iraniens.

Un rapport des Nations Unies sur les violations de l’Embargo sur les armes à destination de la Somalie, de mi novembre 2006, pointe du doigt la République de Djibouti comme faisant partie des pays qui alimentent en armes l’Union des Tribunaux Islamiques en guerre contre le Gouvernement Fédéral de Transition, présidé par Abdillahi Youssouf. Compte tenu de la dépendance étroite de Guelleh à l’égard des Etats-Unis, il s’agit probablement d’une division de travail permettant d’armer les deux parties somaliennes procédant d’une stratégie de tension et de chaos qui semble arranger un certain nombre de pays.

L’intervention de l’armée éthiopienne fin décembre 2006 en soutien au Gouvernement de Transition, tout en étant un succès important dans la mesure où les troupes des Tribunaux Islamiques soutenues par les Erythréens semblent disloquées, est loin d’apporter une solution au calvaire de la population somalienne. Elle risque même d’alimenter l’anarchie dans ce pays et d’exacerber les tensions régionales.

Refus du changement et radicalisation du régime

Le régime se radicalise, alors même qu’il adopte un multipartisme en 2002. Ce vernis de façade démocratique s’est fissuré dès janvier 2003 lors des premières élections pluripartites qui furent massivement fraudées par le parti au pouvoir (UMP Union pour la Majorité Présidentielle) s’adjugeant tous les sièges du parlement.

Au scrutin Présidentiel d’Avril 2005, lsmael Omar Guelleh (président sortant) s’est trouvé seul candidat parce que boycotté par l’ensemble de l’opposition (partis légalisés et le Front pour la Restauration de l’Unité et la Démocratie FRUD). Ce qui ne l’a pas empêché de revendiquer 85% de score.

Les élections régionales de Mars 2006, toujours boudées par les forces de l’opposition ont fini par discréditer complètement le scrutin à Djibouti parce que le parti du Président n’a pas hésité à frauder ses propres alliés.

Monsieur Toulabor chercheur à l’IEP de Bordcaux estimait « qu’on pcut démocratiser un Etat autoritaire mais démocratiser une hande.. relève de l’inconscience et de la gageure (…) ».

Comme pour faire écho à cette thèse, l’ancien Chef de Sécurité refusant tout changement a même accentué la répression surtout depuis son deuxième mandat, renouant avec ses vieux démons.

Répresson du mouvement syndical en plein essor

Depuis Septembre_ 2005, le mouvement syndical a pris une ampleur importante qu’il n’a pas connue depuis la grève de 1995.

Cette dernière grève générale a été déclenchée à l’époque par les deux syndicats les plus importants I’UGTD (Union généralc dcs travailleurs djiboutiens) et l’UDT (Union djiboutienne du travail) réunis en intersyndicale contre les mcsures de réduction de 20% des revenus des travailleurs. Tous les dirigeants de l’intersyndicale UGTD/UDT ont été licenciés. Ces syndicats décapités, le régime a suscité quelqucs syndicats maisons qui n’ont pas fait long feu.

Malgré les recommandations de l’OIT et du BIT, le pouvoir a refusé de réintégrer les syndicalistes licenciés. C’est dans ce contexte, que les travailleurs du Port de Djibouti organisés au sein du syndicat des travailleurs du port (STP) membre de l’UDT, ont déclenché une grève générale du 14 au 17 Septembre 2005 contre les mauvaiscs conditions de travail et les licenciements abusifs. La répression a été dure 200 arrestations et licenciement dc 34 syndicalistes. Cela n’a pas dissuadé deux syndicats de transport (Minibus et Bus) de déclencher, à leur tour un mouvement de grève le 22 octobre 2005 pour protester contre les hausses importantes du prix des carburants, paralysant pendant deux semaines la capitale. Les forces de l’ordre ont tiré sur les manifestants faisant 1 mort et plusieurs dizaines de blessés.

Surpris par l’ampleur et l’unité du mouvement syndical, le pouvoir tente de le désorganiser, en arrêtant quatre dirigeants syndicaux de l’UDT (Union Djiboutienne de Travail) dont le secrétaire général monsieur Adan Mohamed Abdo et en les inculpant d’intelligence avec une puissance é±rangère en Mars 2006.

Libérés suite à des pressions internationales après deux mois de détention, ils restent inculpés sans possibilité de voyager.

A la rentrée scolaire de 2006, ce sont les lycéens et les étudiants qui ont déclenché un mouvement de grève pour protester contre la fenneture de certaines sections et contre les hausses des prix d’inscription aux tollèges, aux lycées et au pôle universitaire (beaucoup d’élèves ont d’ailleurs abandonné l’école faute de moyens).

D’importantes manifestations se sont déroulées le 21 Septembre 2006 dans le centre ville de Djibouti. La Police et la Garde Républicaine ont réagi violemment brutalisant et blessant plusieurs manifestants, et en arrêtant 300 d’entre eux qui resteront en détention 21 jours au centre de Nagade (situé à 10 km de Djibouti).

Massacre des civils, ratissage militaires et blocus de la région nord

Les forces de l’ordre ont visé une nouvelle fois le quartier pauvre de la capitale, habitée essentiellement par les Mars la cité Arhiba tuant 8 personnes et blessant 25 autres le 30 novembre 2005. Il ne s’agit pas de bavure policière c’est le ministre de l’intérieur, monsieur Yaeine Elmy Bouh proche du Président de la République qui en aurait donné l’ordre.

Le 12 Mai 2006, le Chef de l’Etat envoie 2000 soldats commandés par le Colonel Abdo Abdi Dembil, chef de la Garde Républicaine pour ratisser les districts d’Obock et de Tadjourah. Une population déjà affectée par des années de guerre et de sècheresse a été durement réprimée

Selon l’Humanité du 1er Juin 2006, l’objectif affiché est l’éradication de la tendance du FRUD qui avait refusé de prendre pour argent comptant le « traité de paix du 12 Mai2001 ».

Blocus alimentaire et sanitaire a été instauré dans les régions Nord, des dizaines d’arrestations, plusieurs personnes furent torturées, accusées de soutenir le FRUD.

Situation de « Ni paix, ni guerre » risque d’explosion

Cette escalade de la répression se déroule dans un contexte d’impasse politique et de risque d’explosion. Il est symptomatique que le pouvoir inaugure le 5ème anniversaire du Traité de Paix du 12 Mai 2001 par un vaste ratissage des districts du Nord.

Ce traité sensé mettre un terme •à un conflit qui dure depuis 1991 malgré son caractère partiel est devenu caduc par le refus du pouvoir djiboutien d’appliquer ses clauses, en dépit de l’engagement solennel pris par le président djiboutien devant le peuple et la communauté internationale de respecter ce traité. Le régime a même refusé d’appliquer le volet de reconstructions et de réhabilitations de zones détruites lors du conflit que l’union Européenne était prête à financer.

La dénonciation de cet accord (déjà rejeté par une partie de FRUD à cause de son contenu mutilé) le 15 Septembre 2005 par l’autre partie signataire ( ARD Alliance des Républicains pour le Développement), n’est pas sans conséquence sur la paix précaire qui prévaut à Djibouti.

Le risque d’un nouveau conflit n’est pas loin. D’autant plus que cette situation a incité plusieurs dizaines de jeunes (y compris des militaires) à rejoindre le FRUD qui maintient des combattants au Nord et au Sud Ouest du pays.

La tenue d’un important séminaire du FRUD à la mi- septembre 2005 (regroupant des combattants, des cadres et des dirigeants) dans le Nord de Djibouti appelant au rassemblement des forces défnocratiques et à l’intensification des luttes multiformes contre la dictature de Gnelleh constitue à la fois un encouragement aux forces de l’opposition et un défi pour le pouvoir

Ce dernier, ne cesse de son côté d’obliger les militaires à mener des expéditions surtout dans les régions Nord pour empêcher la réorganisation et le renforcement du FRUD. Quelques accrochages dont certains meurtriers ont eu lieu entre les combattants de cette organisation et les soldats réguliers depuis ces deux dernières années.

Les civils restent les principales victimes de cet environnement dangereux.

Des centaines de personnes fuyant les persécutions des soldats gouvernementaux ont rejoint entre 2005 et 2006 les milliers de réfugiés déjà installés enflthiopie et qui se trouvent dans des conditions très difficiles, toujours en quête du statut de réfugié.
Les effets de cette crise se font sentir sur la situation sanitaire des habitants du Nord et du Sud Ouest où les ONG sont interdites d’accès. Une épidémie de choléra a fait en quelques jours une vingtaine de victimes à Yoboki et à Hanlé (district de Dikhil) au début Janvier 2007.

Tentative de rassembernent de ‘opposition

Face à cette situation explosive, une partie de l’opposition légalisée privée de moyens d’action, des représentants de l’organisation politico-militaire cible de tous les ratissages et des associations de la diaspora djiboutienne de plus en plus nombreuse et active se sont réunis à Paris le 22 Juillet 2006. Quelques dirigeants de l’opposition ont renoncé aux derniers moments à participer à la conférence, par crainte de la répression du régime.

Les participants qui ont exploré les voies et moyens pour la sortie de crise en République de Djibouti ont adopté l’Appel du 22 juillet de Paris prônant entre autres un dialogue national, la tenue d’une conférence nationale et la mise en place d’un mécanisme de transition.

L’Appel a été soumis aux forces démocratiques, aux acteurs sociaux, aux associations et aux syndicats pour permettre le plus large rassemblement.

Cet Appel peut être entendu par la population djihoutienne toutes catégories sociales confondues, que trente années d’une dictature mafieuse ontrendue exsangue.

En dépit de flux financiers générés par la présence des bases militaires (françaises et américaines) et des proclamations tapageuses d’Ismael Gellch de faire de Djibouti le Dubaï de la Corne d’Afrique, la paupérisation s’étend à des catégories sociales jusque là épargnées (Instituteurs, professeurs, employés dont beaucoup ont déjà pris le chemin de l’exil) et une pré-famine s’installe dans certaines régions.

L’introduction de certaines sociétés de Golfe Arabique dans l’opacité la plus totale dans les secteurs importants de l’économie de Djibouti comme le Port et l’Aéroport participe plutôt d’une prédation mafieuse au détriment des intérêts du pays et de la Région.

Le désir de changement a des échos jusqu’au sein du régime qui commence à donner de signes de déliquescence et où se font jour de mécontentements.

Les commerçants, même ceux qui sont réputés comme étant le pilier du système commencent à perdre patience tellement ils sont asphyxiés par une oligarchie familiale.

Même la majorité des ministres, se sentent marginalisés par des interventions de proches parents du Président et son épouse Kadra Mahmoud qui impose ses proches à des postes clés.

Mais incontestablement, c’est l’affaire Borrel (magistrat coopérant français assassiné à 60 km de Djibouti en Octobre 1995) qui dérange le plus le Président Ismael Guelleh, accusé d’avoir commandité l’assassinat de ce coopérant.

Les mandats d’arrêt internationaux émis par la justice française à l’encontre de deux hauts dignitaires du régime monsieur Hassan Saïd dit Modobé, chef de la Sécurité, et monsieur Djama Souleiman, Procureur Général de la République pour subornation des témoins dans le cadre de l’affaire Borrel, ont fortement ébranlé l’homme fort de Djibouti.