22/11/07 (B422) RUE 89 : Les réfugiés somaliens embarrassent le Kénya (Info lectrice)

Par Stéphanie Braquehais (Journaliste)

Au Kenya, l’afflux de Somaliens qui fuient la guerre civile embarrasse les autorités accusées par les organisations des droits de l’homme de plus d’une centaine de déportations extra judiciaires et d’expulsions violant le droit international des réfugiés.

Ils étaient au Kenya depuis le 12 novembre, mais les organisations des droits de l’homme n’ont eu connaissance de leur sort que lundi 20 novembre. Une centaine de Somaliens fuyant la guerre civile à Mogadiscio, venus par un avion de ligne de la compagnie somalienne Dallo, ont d’abord tenté de trouver refuge en Ouganda, d’où ils se sont fait expulser la semaine dernière, puis au Kenya, qui refuse également de les accueillir.

Selon Allamine Kimathi, le président de l’organisation musulmane des droits de l’homme, qui suit de près le dossier des réfugiés somaliens au Kenya, les autorités ougandaises auraient affirmé que la tenue du sommet du Commonwealth, auquel assiste la reine d’Angleterre, ne permettait pas de les accueillir pour l’instant. De retour à Nairobi, ils ont été placés dans la zone de transit, sans que le Haut commissariat aux réfugiés, ni aucune organisation ne puissent avoir accès à eux.

Quelques jours après leur déconvenue à Kampala, une cinquantaine d’entre eux ont été rapatriés à Mogadiscio, les autorités kenyanes ne les ayant pas autorisés à pénétrer sur le territoire. Dix-huit autres ont également été expulsés lundi. Et une trentaine attend le prochain charter à l’aéroport international Jomo Kenyatta de Nairobi, prévu pour jeudi 22 novembre.

Frontière fermée

En janvier 2007, quelques jours après la chute des tribunaux islamiques à Mogadiscio et la "victoire" du gouvernement de transition appuyé par l’armée éthiopienne, le Kenya a annoncé la fermeture de sa frontière, une mesure préventive contre la pénétration d’éléments terroristes dans le pays.

Le Haut commissariat aux réfugiés, qui gère un camp de réfugiés somaliens à Dadaab, au nord-est du Kenya, peuplé de 160000 réfugiés, a plusieurs fois demandé au gouvernement d’assouplir sa position, des milliers de personnes étant attroupées de l’autre côté de la frontière, côté somalien, sans accès à l’aide humanitaire.

Environ 15000 personnes, selon le HCR, ont toutefois réussi à passer entre les mailles du filet, la plupart glissant quelques billets aux policiers kenyans chargés de patrouiller la zone pour avoir le droit de traverser la frontière interdite.

Les autorités kenyanes sont toujours restées très fermes face aux demandes du HCR, laissant toutefois passer de temps à autre un camion d’approvisionnement de nourriture du Programme alimentaire mondial. L’argument avancé par les officiels étant de protéger le territoire contre de présumés terroristes liés à Al-Qaeda.

Il y a quelques mois, le porte-parole du gouvernement, Alfred Mutua, avait affirmé dans une conférence de presse:

"Le Kenya a été blessé dans sa chair lors de l’attentat contre l’ambassade américaine en 1998, qui a causé la mort de près de 250 personnes. Nous ferons tout pour protéger nos concitoyens du péril terroriste."

Le Kenya est en fait un allié précieux des Etats-Unis dans le cadre de la lutte contre le terrorisme dans la Corne de l’Afrique, tout comme l’Ethiopie, qui a bénéficié d’une aide substantielle pour reconquérir en 2006 une Somalie sous la férule de tribunaux islamiques, composés de plusieurs éléments radicaux réceptifs au discours extrémiste professé par Al-Qaeda.

"Le Kenya ne fait que violer le droit des réfugiés, tout particulièrement celui des Somaliens depuis le début de l’année, fulmine Allamine Kimathi. Personne ne réagit. Des femmes et des enfants, qui fuient le chaos dans leur pays, et qui craignent maintenant d’être emprisonnés ou assassinés, parce qu’ils appartiennent tous au même clan, celui des Hawiyé, fiché comme le clan ennemi par le gouvernement de transition."

"La Corne de la terreur"

Ce mercredi matin, Allamine est en compagnie de maître Harun Ndubi. Ils discutent dans les couloirs de la Haute cour de justice de Nairobi, au sujet de la décision du juge sur son incapacité à statuer sur le cas d’Abdulmalik Rajab Mohamed, de nationalité kenyane, arrêté en février par la police, détenu pendant plus de deux semaines, sans accès à un avocat, puis déporté à Guantanamo Bay début mars dans le plus grand secret.

"Comment un pays qui se dit démocratique, peut-il déporter ses propres citoyens en dehors de son territoire?", s’interrogeait Maina Kiai, le président de la commission nationale des droits de l’homme, à l’occasion de la publication d’un rapport en juillet dernier, intitulé "La Corne de la terreur". Le rapport faisait état de plus d’une centaine de personnes, dont plus d’une dizaine de nationalité kenyane, détenues pendant des semaines incommunicado dans plusieurs stations de police de la capitale kenyane, et déportées sans procès, ni procédures judiciaires vers la Somalie ou l’Ethiopie.