26/12/07 (B427) LIBERATION : Mogadiscio entre peur et survie.

Somalie. Un an après la chute des Tribunaux islamiques, les combats se poursuivent.

STÉPHANIE BRAQUEHAIS

Sur un mur défraîchi, des cornets de glace à la fraise et à la vanille sont peints à côté de l’inscription «Welcome boqoljirow» («bienvenue chez le très vieil homme»). Des dessins bariolés couvrent les murs criblés d’impacts de balles, comme ceux de la plupart des bâtiments de Mogadiscio. Un an après la chute des Tribunaux islamiques, le 27 décembre 2006, la capitale somalienne reste en proie à des affrontements quotidiens entre les insurgés et les troupes du gouvernement de transition, appuyées par l’armée éthiopienne.

Un bruit tonitruant s’échappe des trois générateurs de 270 kW que Hirsi Oumar, homme d’affaires d’une cinquantaine d’années, s’est procurés il y a dix ans. Il a acheté un congélateur pour vendre des pains de glace et a fait creuser un puits dans sa concession.

Palliant l’absence d’Etat et de services publics depuis 1991, il procure désormais de l’eau et de l’électricité à plus de 1 000 foyers dans le quartier Medina, dans le sud de la ville, relativement épargné par les combats. Ceux-ci ont surtout lieu au marché de Bakara, autrefois poumon économique de la ville et désormais déserté.

A Medina, quelques grenades explosent bien de temps à autre, suivies par des rafales de kalachnikovs… «mais ce n’est que le murmure familier de Mogadiscio», sourit Hirsi Oumar avec fatalité.

Porte close.

Pour la plupart des habitants qui ont choisi de rester dans la capitale somalienne, vidée de la moitié de sa population depuis janvier (600 000 personnes ont fui, selon les Nations unies), le quotidien se réduit à une lutte pour la survie et à la crainte des pillages.

«Nous sommes en sécurité ici, mais nous ne pouvons pratiquement pas bouger et tous les jours on a la peur au ventre», reconnaît une voisine, Fatma Mayor Mohamed, 45 ans, mère de 8 enfants, qui a acheté un four à pain et monté une petite boulangerie. Elle ajoute, fataliste : «On ne peut plus rien vendre, tout le monde est parti.»

Les maisons environnantes affichent pour la plupart porte close et volets fermés. Si elle s’installait à son tour provisoirement dans un camp de déplacés, elle sait qu’elle perdrait tout du jour au lendemain. «Ils seraient même capables de me voler le toit et les murs. Alors je reste», dit-elle. «Ils», ce sont les troupes régulières, les bandits isolés, n’importe qui possédant une arme, c’est-à-dire presque tout le monde.

«Seigneurs de guerre».

Aux abords de Mogadiscio, les camps de fortune se multiplient. A Daymarudi, vers la sortie nord, 30 000 personnes vivent sous des tentes de plastique et de branchages, attendant d’hypothétiques distributions de nourriture. Certains se risquent à faire de brefs allers-retours pour vérifier l’état de leur maison.

Ubah Sharif Ibrahim, jolie jeune femme de 28 ans et mère de 5 enfants, n’en a plus l’occasion. Elle évoque sa fuite du quartier Black Sea : «Les tirs avaient commencé le jeudi. Le lendemain, j’ai décidé de partir en prenant les enfants avec moi. Dix minutes après, j’ai su qu’un obus avait atterri sur ma maison.

J’ai toujours vécu à Mogadiscio, même au temps des seigneurs de guerre ou des Tribunaux islamiques, je n’ai jamais dû tout abandonner !» Ici, on ne se gêne pas pour afficher un soutien massif aux insurgés. «Tout ça, c’est à cause d’Abdullahi Yusuf [président du gouvernement de transition, ndlr], fulmine-t-elle. Il a appelé les Ethiopiens à nous envahir, et c’est pour cela qu’il est fort. Mais sans eux nous saurions le chasser. Nous avons l’habitude, depuis dix-sept ans !»

«Coma».

Chaque jour à Mogadiscio voit son lot de civils blessés, tués, victimes des échanges de tirs. Le Comité international de la Croix-Rouge, qui gère deux hôpitaux, a reçu 4 000 blessés de guerre cette année, soit le double de l’année dernière. A l’hôpital Medina, la mort est devenue un non-événement. Le docteur Osmane Abdulahi explique qu’une vingtaine de blessés sont arrivés aujourd’hui. Il passe d’un patient à l’autre, énumérant les blessures.

Il s’arrête au-dessus d’un jeune homme, entouré de bandages ensanglantés. «Celui-là a une vingtaine d’années, il marchait avec ses frères à Bakara quand un obus a atterri sur une échoppe. Il est dans le coma.» A peine a-t-il achevé sa phrase que le blessé s’agite.

Les infirmières se précipitent pour lui enfoncer une sonde et tenter de lui dégager les voies respiratoires. Un homme se met à gémir et à prier. C’est trop tard. Les infirmières enroulent le corps menu dans un drap. Ce jour-là, les familles sont allées récupérer les corps de huit autres personnes mortes lors de l’explosion de plusieurs obus à Bakara.