18/01/08 (B430) Le monde diplomatique / La France, puissance du Golfe ?

Le président Nicolas Sarkozy serait-il un « va-t-en-guerre », un adepte de la confrontation sur les terrains les plus « chauds » du monde ? Après l’Afghanistan, où il a multiplié ces derniers mois les gestes d’un engagement plus actif, le Golfe — où il vient de conclure un accord pour l’installation d’une nouvelle base militaire permanente à Abou Dhabi, près du détroit stratégique d’Ormuz, face à l’Iran.

L’arrangement signé le 15 janvier avec les autorités des Emirats arabes unis, lors d’une visite de quelques heures du chef de l’Etat français, est un « accord de présence », qui ouvre la voie à l’installation d’une base interarmées (1) avec un effectif de 4 à 500 militaires, dont un tiers seraient installés dans l’actuel port de commerce d’Abou Dhabi.

La base assurera le soutien des navires de la marine nationale en mission dans le Golfe et l’Océan Indien, ainsi que l’accueil de l’ensemble des moyens militaires que la France déploie régulièrement dans le cadre d’exercices interarmées menés en coopération avec les armées des pays du Golfe.

Si l’on en croit M. Sarkozy, les Emirats arabes unis, liés à la France par un accord de défense réciproque depuis 1995, demandaient l’implantation de cette base, « pour que la France participe à la stabilité de cette région du monde ». Ils auraient exprimé « le souhait qu’une partie des forces qui sont stationnées à Djibouti migrent dans le Golfe, une région essentielle ».

Les responsables français font valoir que les petits Etats sunnites du versant sud du Golfe — îlots de prospérité, emportés par un développement fulgurant dû à l’augmentation des prix du pétrole, mais inquiétés par l’activisme et l’intransigeance de l’Iran chiite, la grande puissance du Golfe « persique » — sont à la recherche de garanties de sécurité auprès de leurs partenaires occidentaux, notamment américains.

Les Etats-Unis sont très présents : l’état-major de la Ve flotte est installé à Bahreïn ; le quartier général du Central Command et le Centre d’opérations aériennes pour tout le Proche-Orient sont au Qatar ; des garnisons et des dépôts sont stationnés au Koweït ; les Emirats arabes unis et Oman offrent des facilités aériennes à leur aviation…

Cette création d’une base française dans le Golfe peut être interprétée comme un nouvel indice de l’alignement de M. Sarkozy sur la stratégie américaine au Proche-Orient. Mais aussi comme le désir de certains de ces émirats d’échapper à une emprise américaine totale, en diversifiant leurs partenaires ou « parrains ». L’école militaire supérieure de Saint-Cyr ouvrira prochainement à Doha une branche qui formera les officiers des armées de terre du Qatar et de plusieurs autres Etats du Golfe.

Des navires de la marine nationale française font déjà escale aux Emirats une trentaine de fois par an. L’armée de l’air y organise deux fois par an un stage pour les pilotes de chasse. L’armée de terre effectue dans la région vingt-cinq exercices annuels, avec échanges d’unités et d’officiers. Un exercice inter-armée Gulf Shield (Bouclier du Golfe) mettra aux prises, en février et mars, 1 400 militaires émiratis et qataris, ainsi que 400 français.

C’est en tout cas la première fois que la France sera implantée dans le Golfe, qui plus est dans l’un des secteurs les plus stratégiques : le détroit d’Ormuz, par où transite 40 % du pétrole mondial. Le chef d’état-major particulier du président français, l’amiral Edouard Guillaud, y a vu « une petite révolution géopolitique », la France ouvrant pour la première fois depuis cinquante ans une nouvelle base, et de plus hors de son ancien domaine colonial africain.

Le « dépouillement » partiel de la garnison de Djibouti — actuellement la principale implantation militaire française en Afrique, et qui devrait le rester — préfigure sans doute une reconversion du réseau des bases militaires françaises en Afrique, d’un entretien coûteux et objet de nombreuses critiques sur le continent noir.

Cette reconversion pourrait être évoquée dans le prochain Livre blanc sur la défense et la sécurité, prévu pour fin mars.

L’ouverture de cette base d’Abou Dhabi — qui ne devrait pas être entièrement opérationnelle avant le début de l’an prochain — suscite d’autres interrogations : est-ce un changement de politique de la France, qui jusqu’ici avait choisi d’être au Proche-Orient « une puissance d’équilibre diplomatique et non une puissance militaire » (M. François Bayrou, président du Mouvement démocrate) ?

Y a-t-il un risque d’être entraîné dans un conflit local ou régional, notamment avec l’Iran, qui souhaiterait contrôler le détroit d’Ormuz ? Cette décision, prise sans consultation, n’est-elle pas en contradiction avec le souhait affiché d’associer plus étroitement le Parlement au suivi et à l’approbation des opérations extérieures ?

Philippe Leymarie

(1) Commun à plusieurs armées : de terre, de mer, de l’air.