20/01/08 (B431) Les Afriques / Said Djinnit : « En Somalie, l’Union africaine s’est retrouvée seule »

Saïd Djinnit, commissaire à la Paix et à la Sécurité de l’Union africaine, a décidé de ne plus briguer de mandat au sein de l’organisation panafricaine. Une décision qui intervient après une année 2007 riche en événements. Entretien.

Les Afriques : L’Union africaine commence l’année 2008 avec de nombreux défis… Mais le plus important reste le Darfour. La Force hybride Union africaine/Nations unies sera-t-elle effectivement déployée au Darfour ?

Saïd Djinnit :
La Mission de l’Union africaine au Soudan (AMIS) a été récemment renforcée par deux bataillons additionnels provenant du Rwanda et du Nigeria, à raison d’un bataillon chacun. Cependant, le déploiement des troupes connaît des lenteurs. Mais dès le début de janvier 2008, les éléments précurseurs éthiopiens et égyptiens seront sur le terrain pour préparer leurs bataillons respectifs, qui seront eux-mêmes suivis par d’autres contingents. Au cours du mois de janvier, les efforts seront réactivés pour accélérer le processus de déploiement de la force hybride de l’Union africaine et des Nations unies au Darfour (UNAMID).

« Nous avons tous pensé que l’éviction des tribunaux islamiques avait offert une opportunité unique à la communauté internationale. Contre toute attente, la suite ne s’est pas déroulée comme convenu. »

Au regard de ce qui s’est passé à Haskanita, avez-vous les assurances que la force hybride aura un arsenal approprié pour protéger les populations civiles au Darfour et se protéger si elle est visée ?

SD : Au moment de l’adoption du concept de l’opération de l’UNAMID, sa composition, son armement et sa posture ont été déterminés dans une optique visant non seulement à lui permettre de se défendre efficacement en cas d’attaque, mais aussi à apporter une plus grande protection aux populations civiles et aux personnes déplacées. A ce jour, certaines unités clé, y compris des hélicoptères de transport et d’attaque, ainsi que des compagnies de transport, qui sont autant d’éléments constitutifs de la force de la mission, font encore défaut.

Votre département Paix et Sécurité a été créé en 2003. Avez-vous l’impression qu’il a fait avancer la cause de la paix sur le continent ?

SD : En dépit de ses moyens limités, l’Union africaine est intervenue au Darfour et en Somalie, consacrant ainsi la mise en œuvre de son principe de non indifférence. Par ailleurs, de grandes avancées ont été enregistrées dans la mise en place de l’architecture continentale de paix et de sécurité, notamment le Système continental d’alerte rapide, la Force africaine en attente et le Groupe des sages.

L’Union africaine semble s’enliser en Somalie. Le contingent ougandais reste coincé dans son camp… Malgré les bonnes intentions de l’union, on ne voit pas comment régler le syndrome somalien…

SD : Je partage votre interrogation à laquelle j’ajoute mes propres inquiétudes. En effet, nous avons tous pensé que l’éviction des tribunaux islamiques vers la fin de l’année dernière, à la suite de l’intervention éthiopienne, avait offert une opportunité unique à la communauté internationale pour une intervention collective, concertée et efficace en vue de trouver une solution durable au conflit somalien qui n’a que trop duré.

C’est, en tout état de cause, sur cette base que l’Union africaine a décidé de déployer une opération de paix en Somalie avec le soutien appuyé du Conseil de sécurité, étant entendu qu’elle serait relayée, à court terme, par les Nations unies.

Contre toute attente, la suite ne s’est pas déroulée comme convenu et l’Union africaine s’est retrouvée seule. En dépit du soutien logistique ou financier apporté par certaines nations, l’Union africaine n’a pu déployer que deux bataillons ougandais. Au moment où je me prête à votre interview, les éléments précurseurs du bataillon burundais ont été déployés à Mogadiscio. Nous espérons terminer le déploiement du premier bataillon burundais assez rapidement et chercher les moyens pour le déploiement du deuxième bataillon et, par la suite, des contingents nigérians et ghanéens. Il faut, au passage, regretter que nous n’ayons pas reçu suffisamment d’offres de la part de nos Etats membres.

« Il faut, au passage, regretter que nous n’ayons pas reçu suffisamment d’offres de la part de nos Etats membres. »

L’une des dernières réunions du Conseil de Paix et de Sécurité a porté sur le dossier ivoirien. On a comme l’impression que les faucons des deux camps ont mis beaucoup d’eau dans leur vin…

SD : Nous nous réjouissons, en effet, que, de part et d’autre, les faucons, comme vous dites, aient mis de l’eau dans leur vin. Ce qui nous réjouit davantage, c’est, d’abord, la bonne entente et la coopération étroite qui prévalent au sommet de l’Etat, notamment entre le président de la République Laurent Gbagbo et le Premier ministre Guillaume Soro.

Quels sont les autres dossiers importants qui attendent l’Union africaine dans le domaine de la paix et de la sécurité en 2008.

SD : A mon avis, l’Union africaine devra continuer à s’investir très fortement dans la mobilisation des pays africains et de la communauté internationale dans son ensemble pour faire face à la crise somalienne, qui constitue l’un des plus grands défis pour notre continent. Il conviendrait également de poursuivre les efforts visant à stabiliser le Soudan, aussi bien au niveau de la situation au Darfour que celle de la mise en œuvre de l’Accord global de paix dans le sud Soudan. Par ailleurs, l’Union africaine doit continuer à s’investir à la mise en place de l’architecture continentale de paix et de sécurité.

Le terrain a été suffisamment balisé pour faire en sorte que l’année 2008 soit une période de consécration de progrès tangibles en ce qui concerne la mise en place du Système continental d’alerte rapide et de la Force africaine en attente, ainsi que du lancement des activités du Groupe des sages.

Propos recueillis par Charles Bambara

Pourquoi je ne brigue pas un nouveau mandat

Après dix huit années passées au service de notre continent, j’ai la conviction d’avoir apporté ma contribution au développement du rôle de notre organisation continentale. Qu’il s’agisse de la transformation du mandat de l’OUA pour qu’elle soit à l’écoute des problèmes africains, de la promotion de l’Agenda pour la paix et la sécurité ou de la promotion de l’Agenda pour la démocratie, la bonne gouvernance et les droits de l’homme, ou de la mise en place de l’architecture continentale de paix et de sécurité, sur tous ces chantiers, je crois avoir apporté ma pierre à l’édifice.

Je suis fier d’avoir fait partie de l’équipe qui a contribué à l’avènement de l’Union africaine. J’ai eu également le privilège de servir l’Union africaine sous la direction du président Alpha Oumar Konaré, à qui on doit reconnaître une contribution fondamentale dans l’affirmation de l’Union africaine, à laquelle il a donné une réalité et une visibilité.