14/03/08 (B439) 20 minutes.fr / Pour tout comprendre sur l’affaire Borrel

D’une enquête sur la mort d’un homme, l’affaire Borrel s’est transformée en un scandale public. Notre questions-réponses pour comprendre enfin une affaire qui pourrait être le procès de la raison d’Etat.

Qui est le juge Borrel?

Bernard Borrel est un magistrat français qui travaillait auprès du ministre de la justice de Djibouti dans les années 1990. Au titre de la coopération, il aidait à la réforme du code pénal de ce petit Etat de la corne africaine. Le 19 octobre 1995, son corps est découvert en partie carbonisé. L’ambassade de France diffuse immédiatement une information selon laquelle le juge s’est immolé. Une version qui restera longtemps la thèse officielle.

Comment la justice est-elle passée de la thèse du suicide à celle de l’assassinat?

Les deux premiers juges chargés de la plainte pour assassinat déposée en mars 1997 par Elisabeth Borrel, la veuve du juge, défendaient la thèse du suicide. Ils s’apprêtaient à clore leur instruction par un non-lieu lorsqu’ils ont été dessaisis par la cour d’appel de Paris pour des dysfonctionnements en juin 2000. Le juge Jean-Baptiste Parlos, qui les remplace, réalise la première autopsie du corps après exhumation. Une reconstitution sur place et des expertises valident la piste criminelle.

Pourquoi a-t-on tué le juge Bernard Borrel?

Elisabeth Borrel estime que son mari a été éliminé pour avoir eu accès à des informations compromettantes pour Djibouti. Parmi les pistes évoquées, mais non-prouvées, figurent l’implication présumée du président djiboutien Ismaël Omar Guelleh dans des trafics d’armes ou dans l’attentat du café de Paris à Djibouti, qui avait tué un Français et fait 11 blessés en 1990, ou encore un trafic de matières nucléaires transitant par Djibouti.

Un témoin clef du dossier, Mohammed Saleh Aloumekani, ex-officier de la garde présidentielle de Djibouti, a mis directement en cause le président. Il dit avoir vu cinq hommes venir lui rendre compte de l’élimination «du juge fouineur». Le 5 mai 2003, une information judiciaire est lancée en France contre le procureur et le chef des services secrets de Djibouti pour «subordination de témoins».

Quel rôle a joué la France?

Les autorités françaises ont répondu favorablement aux demandes djiboutiennes de transmission du dossier d’instruction sur la mort du juge. Sophie Clément, qui a succédé au juge Parlos, s’y oppose. Selon les avocats de la femme du juge Borrel, la transmission du dossier à Djibouti aurait permis d’enterrer l’affaire et de «faire condamner des potiches et éviter aux véritables commanditaires d’être mis en cause».

Pourquoi la France souhaiterait-elle aider Djibouti quitte à ne pas faire triompher la vérité?

Partenaire économique de Djibouti, la France dispose dans son ancienne colonie de sa première base militaire en Afrique avec 2.700 hommes. Elle est en concurrence avec celle de Washington (1.500 soldats) qui souhaite développer sa présence dans cette place stratégique de la corne de l’Afrique. «Nous sommes votre premier partenaire au développement, votre premier partenaire commercial. Il n’existe qu’une seule ombre au tableau: l’affaire Borrel», écrivaient en mai 2005 des conseillers de Jacques Chirac dans des notes que l’AFP a consultées. Bref, la raison d’Etat est au cœur de l’affaire.

Alexandre Sulzer