22/04/08 (B444) UNICEF : Somalie : des conditions de plus en plus dures. Enfant dans un camp pour personnes déplacées, à Mogadiscio. La violence redouble, la sécheresse gagne, les déplacés sont plus d’un million. Trois questions à Bastien Vigneau, coordinateur des urgences de notre bureau de Somalie.

La situation s’est-elle dégradée ces derniers mois ?

Oui.

Dans le pays, la violence redouble dans les zones où elle était déjà importante, comme à Mogadiscio, ou bien ressurgit là où la tendance était plutôt à l’apaisement, comme à Galkayo, au centre du pays, une ville où deux clans ont recommencé à s’affronter, ou à Jowhar, située a 90 km de Mogadiscio (où nous avons notre base opérationnelle principale).

L’impunité qui règne a cause de l’incapacité de faire respecter la loi est un problème majeur. Les exactions commises à l’encontre les populations par l’ensemble des acteurs nourrissent le sentiment des Somalis qu’ils sont une fois de plus abandonnés à leur sort. Pour Mogadiscio, depuis octobre 2007, on estime que 600 000 personnes ont quitté la ville, près de 20 000 par mois. Les combats dans la capitale atteignent des quartiers qui étaient jusque là épargnés, comme le marché de Bakara et les abords du palais présidentiel.

À Mogadiscio, ce sont toujours les plus pauvres qui restent : ceux qui n’ont aucun moyen de s’enfuir.

Et pourtant ceux qui sont partis vivent dans des conditions misérables.

Le corridor qui va de Mogadiscio à Afgoye compte près de 250 000 déplacés, principalement des femmes et des enfants. C’est le plus grand rassemblement de déplacés au monde. Beaucoup vivent dans des cabanes qu’ils se construisent avec du bois et de vieux vêtements.

90 000 enfants malnutris.
Quelle est la situation en terme de malnutrition ?

Une enquête menée l’année dernière dans toute la Somalie par une cellule de sécurité alimentaire a révélé que 90 000 enfants de moins de 5 ans souffraient de malnutrition aiguë, dont 13 000 nécessitaient une prise en charge d’urgence en centre de récupération nutritionnelle.

L’Unicef et ses partenaires gèrent 110 centres, avec également des équipes mobiles pour accéder aux zones les plus reculées.

Les enfants reçoivent des soins médicaux et une prise en charge nutritionnelle, de la farine enrichie (unimix), peut-être bientôt des produits nutritionnels très spécifiques à usage rapide (comme le plumpy doz ©) qui nous permettront de tenter d’être plus efficaces (en utilisant de nouvelles stratégies pour lutter contre la malnutrition grandissante).

Cependant de tels produits coûtent très chers et nous serons obligés de commencer par des projets pilotes. Pour l’ensemble des urgences en Somalie sur 2008, nous avons lancé un appel de 47 millions de dollars : 5,6 millions seulement étaient pourvus fin mars. Il faudra cesser l’activité de la moitié de ces centres si nous ne recevons pas un minimum de 10 millions de dollars supplémentaires rapidement.

De plus, le départ des personnels internationaux de certaines ONG partenaires, pour cause d’insécurité, handicape le fonctionnement des centres. Or la crise nutritionnelle est renforcée par une sécheresse très préoccupante, surtout dans la région centre et au le nord dans les provinces de Sool et Sanaag.

Dans quelles conditions, les humanitaires travaillent-il en Somalie ?

Entre janvier et mars, 6 travailleurs humanitaires ont été tués, 14 ont été attaqués et quelquefois blessés, souvent pour des vols de véhicules.

Le 25 mars, une quarantaine d’ONG ont fait une déclaration commune pour alerter sur l’extrême difficulté qu’il y avait à travailler en Somalie. Les barrages se multiplient, tenus par des administrations qui ne se coordonnent pas et qui réclament des taxes à chaque fois.

Un seul exemple : il y a sept barrages sur les 13 km qui séparent Mogadiscio d’Afgoye.

Nos propres régulations, internes aux Nations unies, sont parfois un frein aux activités humanitaires. Le département de sécurité des Nations unies manque de ressources humaines et les agences manquent de ressources logistiques (financement des compounds aux normes, véhicules blindés etc…)

Mais l’Unicef ne se décourage pas. 450 000 enfants ont été vaccinés l’an dernier contre la rougeole, aucun cas de polio n’a ressurgi après avril 2007. De plus, 7 500 enfants ont été scolarisés dans les 30 écoles d’urgences des camps de déplacés, 80 000 enfants ont bénéficié de l’accès aux centres nutritionnels que nous appuyons, 500 000 litres d’eau par jour sont fournis par camions citernes au niveau d’Afgoye grâce à l’Unicef, et nous augmentons nos programmes d’urgence dans la région centre et au nord.

Ce ne sont que quelques unes des réalisations qui incitent à continuer les efforts malgré les difficultés rencontrées.