15/06/08 (B452) 97ème Conférence du Travail (OIT) à Genève – Le rapport provisoire 4C qui dénonce les manoeuvres dilatoires de Guelleh et de ses sbires et les non-respect des engagements pris dans le passé. Extraits concernant Djibouti, envoyés par notre correspondant sur place.

Conférence internationale du Travail
Compte rendu provisoire 4C

97e session, Genève, 2008

Rapports sur les pouvoirs
Deuxième rapport de la Commission de vérification des pouvoirs

Composition de la Conférence

1. Depuis le 30 mai 2008, date à laquelle la Commission de vérification des pouvoirs a adopté son premier rapport (Compte rendu provisoire no 4B), la commission n’a pas reçu de nouveaux pouvoirs. Le nombre d’Etats Membres actuellement représentés à la Conférence internationale du Travail s’élève donc à 168. En ce qui concerne les Etats accrédités sans droit de vote mentionnés au paragraphe 14 du premier rapport, la République islamique d’Iran, la République démocratique du Congo, le Tchad, le Togo et Vanuatu ont récupéré le droit de vote.

2. La commission observe que, parmi les cinq Etats Membres mentionnés au paragraphe 21 de son premier rapport, seuls l’Afghanistan et Djibouti ont répondu à la demande d’informations relatives aux organisations et aux fonctions de chacun des membres des délégations des employeurs et des travailleurs, tandis que la Guinée, la Guinée-Bissau et les Philippines ne l’ont pas fait, ce que la commission regrette.

3. A ce jour, le nombre total de personnes accréditées à la Conférence s’élève à 4 838 (contre 4 657 en 2007 et 4 315 en 2005), parmi lesquelles 4 212 se sont inscrites (contre 4 003 en 2007, 3 828 en 2006 et 3 842 en 2005). La liste en annexe contient de plus amples informations sur le nombre de délégués et de conseillers
techniques inscrits.

4. La commission souhaite souligner que 170 ministres ou vice-ministres ont été accrédités à la Conférence.

Suivi

5. En vertu de décisions adoptées par la Conférence à sa 96e session (2007), la commission a été automatiquement saisie de trois cas, au titre de l’article 26quater, relatif au suivi, des Dispositions provisoires du Règlement de la Conférence en matière de vérification des pouvoirs (rapport de la Commission du Règlement, 92e session, 2004, CIT, Compte rendu provisoire no 16).

Djibouti

11. La Conférence, à sa 96e session (2007), a décidé de renouveler les mesures de suivi concernant Djibouti (Compte rendu provisoire no 25, 2007) et a ainsi invité le gouvernement à soumettre à la 97e session de la Conférence (2008), en même temps que la présentation des pouvoirs de la délégation de Djibouti, un rapport détaillé et étayé de documents pertinents sur la procédure utilisée pour désigner le délégué des travailleurs et ses conseilleurs techniques, indiquant notamment les organisations qui auront été consultées à ce sujet et selon quels critères, la date et le lieu des consultations, ainsi que les noms des personnes désignées par les organisations en question au terme de ces consultations.

Cette demande a été faite sur la base d’une proposition de la Commission de vérification des pouvoirs (Compte rendu provisoire no 4C, 2007) qui, à l’unanimité, a estimé que la procédure relative à la composition de la délégation des travailleurs de Djibouti à la Conférence devait faire l’objet d’un nouveau suivi en vertu des dispositions de l’article 26bis, paragraphe 7, des Dispositions provisoires du Règlement de la Conférence en matière de vérification des pouvoirs.

Le Bureau international du Travail a également rappelé au gouvernement cette demande de la Conférence par une lettre datée du 15 mai 2008. Un autre rappel a été adressé au nom de la commission le 28 mai 2008.

12. Malgré ces rappels, le gouvernement n’a pas présenté le rapport demandé par la Conférence.

En guise de rapport, il a fourni la copie de lettres dans lesquelles le Directeur du travail et des relations avec les partenaires sociaux demande respectivement au Président de l’Association des employeurs de Djibouti, à celui de l’Union djiboutienne du travail (UDT) et au Secrétaire général de l’Union générale des travailleurs djiboutiens (UGTD) de désigner leurs représentants à la présente session de la Conférence et de lui communiquer leurs noms avant le 20 avril 2008. Le gouvernement a aussi fourni la réponse de ces organisations.

13. La commission note que le gouvernement s’est limité à lui adresser une copie des lettres échangées entre le Directeur du travail, d’une part, et l’Association des employeurs de Djibouti, l’UGTD et l’UDT, d’autre part, aux fins de la désignation des délégués de ces dernières à la Conférence. La commission note que ces lettres, à l’évidence, ne sauraient faire office de rapport au sens des dispositions de l’article 26bis, paragraphe 7, des Dispositions provisoires du Règlement de la Conférence.

Une fois de plus, elle déplore vivement l’absence de coopération des autorités gouvernementales, d’autant plus que, cette année encore, la désignation de la délégation des travailleurs à la Conférence fait l’objet d’une protestation concernant la légitimité des représentants des travailleurs accrédités (voir infra paragr. 25 à 37).

A la lumière de ce qui précède et au vu des problèmes récurrents qui affectent le mouvement syndical dans le pays, la commission propose à la Conférence, en vertu des dispositions précitées, de demander à nouveau au gouvernement de Djibouti de soumettre, pour la prochaine session de la Conférence, en même temps que la présentation des pouvoirs de la délégation de Djibouti, un rapport détaillé et étayé de documents pertinents sur la procédure utilisée pour désigner le délégué des travailleurs et ses conseilleurs techniques, indiquant notamment les organisations qui auront été consultées à ce sujet et selon quels critères, la date et le lieu de ces consultations, ainsi que les noms des personnes désignées par ces organisations au terme de ces consultations.

La commission s’attend à ce que le gouvernement désigne la délégation tripartite de Djibouti à la Conférence en conformité avec les dispositions de l’article 3, paragraphe 5, de la Constitution de l’OIT.

Protestation concernant la désignation de la délégation des travailleurs de Djibouti

25. La commission a été saisie d’une protestation concernant la désignation de la délégation des travailleurs de Djibouti, présentée par MM. Adan Mohamed Abdou, Secrétaire général de l’Union djiboutienne du travail (UDT), et Kamil Diraneh Hared, Secrétaire général de l’Union générale des travailleurs djiboutiens (UGTD).

Les auteurs de la protestation allèguent que, en dépit de ses engagements pris devant la commission en 2006 et de l’accord intervenu sous l’égide de la mission de contacts directs de l’OIT qui s’est rendue à Djibouti en janvier 2008, le gouvernement continue à désigner à la Conférence des personnes qui ne représentent pas les syndicats. Ils demandent l’invalidation des pouvoirs de la délégation des travailleurs.

26. Par une communication additionnelle, les auteurs de la protestation allèguent que le conseiller technique des travailleurs, M. Mohamed Youssouf Mohamed, utilise abusivement l’en-tête de l’UDT avec de fausses signatures sur ordre du gouvernement.

Ils précisent que l’Intersyndicale UDT/UGTD a désigné, à cette session de la Conférence, MM. Adan Mohamed Abdou, Secrétaire général de l’UDT, et Hassan Cher Hared, Secrétaire aux relations internationales de l’UDT. Ces derniers ne sont pas accrédités à la Conférence dans la délégation de Djibouti et leur présence est assurée grâce à l’appui de la Confédération syndicale internationale (CSI).

27. Ayant pris connaissance de pièces selon lesquelles M. Adan Mohamed Abdou aurait été démis de ses fonctions syndicales, la commission lui a demandé de faire parvenir ses observations à cet égard.

En réponse à cette demande, l’intéressé affirme que les documents relatifs à la suspension de ses fonctions de secrétaire général – dont il a pris connaissance à son arrivée à la Conférence – sont des faux, signés par le soi-disant président de l’UDT, M. Mohamed Youssouf Mohamed, qui n’est autre qu’un ancien dirigeant du syndicat clone de l’UDT spécialement créé en 1999 par le gouvernement pour nuire à l’Intersyndicale UDT/UGTD, qui regroupe les deux centrales syndicales légitimes.

La réunion extraordinaire du bureau exécutif dont il est fait mention dans lesdits documents n’a jamais eu lieu et bon nombre des personnes signataires de ces documents sont inconnues à l’UDT comme dans le monde syndical djiboutien.

Selon lui, le gouvernement cherche à faire obstacle à la normalisation de la situation à Djibouti et à la mise en oeuvre des derniers accords tripartites mentionnés dans le rapport de la mission de contacts directs de janvier 2008.

28. Dans une communication écrite adressée à la commission en réponse à sa demande, le gouvernement s’est limité à fournir des informations générales sur les modalités de désignation des délégués, accompagnées des communications échangées à cette fin entre le gouvernement, d’une part, et l’Association des employeurs de Djibouti, l’UDT et l’UGTD, d’autre part.

29. Les éclaircissements demandés par la commission ont été fournis oralement au nom du gouvernement par M. Guedi Absieh Houssein, Directeur du travail et des relations avec les partenaires sociaux et conseiller technique à la Conférence. Il était accompagné de M. Djama Mahamoud Ali, Conseiller auprès de la mission permanente à Genève et conseiller technique à la Conférence.

M. Houssein a indiqué que, dans la mesure où il n’y avait pas eu d’élections sociales dans le pays depuis longtemps, il ne pouvait pas fournir d’éléments sur l’importance numérique de l’UDT et de l’UGTD. Il a en revanche souligné que les deux centrales étaient bien reconnues par le gouvernement, contrairement à l’Intersyndicale UDT/UGTD.

Il a insisté sur le fait que la désignation des membres de la délégation des travailleurs répondait à la recommandation de la mission de contacts directs de janvier 2008 d’inclure l’UDT dans la délégation de Djibouti pour la présente session de la Conférence, dans l’attente de l’organisation d’élections sociales.

Quant à la présence de M. Mohamed Youssouf Mohamed dans la délégation des travailleurs, il a été indiqué que la nomination de ce dernier était le résultat de la procédure de consultation écrite habituellement utilisée et que le gouvernement n’avait fait que prendre acte du nom communiqué par lui même en tant que président de l’UDT.

M. Mohamed Youssouf Mohamed avait bien rencontré les membres de la mission de contacts directs en cette qualité et si son nom n’apparaissait pas dans le rapport de la mission il devait vraisemblablement s’agir d’un oubli.

M. Houssein a indiqué qu’il n’était pas au courant des responsabilités syndicales actuelles de M. Adan Mohamed Abdou. Néanmoins, il a dit avoir eu connaissance des documents relatifs à la suspension de ce dernier de ses fonctions de secrétaire général, tout en rappelant qu’il ne lui appartenait pas de les commenter, au nom du principe de non-ingérence dans les affaires syndicales.

30. M. Adan Mohamed Abdou a fourni oralement des éclaircissements à la commission en réponse à sa demande.

Il était accompagné de M. Hassan Cher Hared, Secrétaire aux relations internationales de l’UDT. Il a indiqué que l’UDT avait été constituée en 1992, à la suite d’une scission au sein de l’UGTD, et qu’elle avait bénéficié d’une reconnaissance internationale dès 1994. Il en est le secrétaire général depuis l’origine. Il a déclaré être un simple membre d’un parti politique appartenant à l’Union pour l’alternance démocratique (UAD) et que l’incompatibilité entre l’exercice d’un mandat syndical et d’un mandat politique telle que prévue par le nouveau Code du travail était appliquée de manière sélective uniquement à l’encontre de l’UDT.

Il a rappelé que l’Intersyndicale UDT/UGTD avait été créée en 1995 à l’occasion d’une grève générale et qu’elle avait continué à mener des activités jusqu’à ce jour. L’Intersyndicale, reconnue par le gouvernement jusqu’en 1999, est représentée par deux coprésidents, issus chacun de l’UDT et de l’UGTD, et M. Adan Mohamed Abdou en est le porte-parole.

M. Hassan Cher Hared a précisé que l’Intersyndicale n’avait pas de personnalité juridique propre et que les deux centrales avaient conservé leur statut juridique. Il a été indiqué que M. Mohamed Youssouf Mohamed avait été nommé président de l’UDT «clone» en 1999 à la suite d’un Congrès convoqué par le gouvernement.

Par la suite, la véritable UDT lui a offert la vice-présidence afin de mettre un terme à la scission, mais il a été démis de ses fonctions en mai 2008. S’agissant des documents produits relatifs à la suspension de ses fonctions de secrétaire général de l’UDT, M. Adan Mohamed Abdou, en présentant le statut de l’organisation, a affirmé que la réunion extraordinaire en question du Bureau exécutif de l’UDT n’avait jamais eu lieu et que le président de l’UDT n’avait pas compétence pour convoquer une telle réunion, ce pouvoir revenant au secrétaire général.

Il a aussi fait savoir que M. Mohamed Youssouf Mohamed n’avait pas rencontré la mission de contacts directs et que les membres de la délégation des travailleurs à la présente session de la Conférence avaient été désignés par le gouvernement sans consultation aucune.

31. M. Mohamed Youssouf Mohamed, conseiller technique des travailleurs à la Conférence, a également été entendu par la commission. Il a déclaré avoir reçu, en qualité de président de l’UDT, la mission de contacts directs de janvier 2008 au siège des syndicats des travailleurs du secteur de l’électricité. Son nom aurait donc dû figurer dans le rapport de la mission qui a réservé une large place à M. Adan Mohamed Abdou, alors qu’il s’exprimait au nom de l’Intersyndicale et non pas au nom de l’UDT. Toutefois l’Intersyndicale n’existerait pas et serait uniquement utilisée par M. Adan Mohamed Abdou à des fins personnelles.

Celui-ci serait le porte-parole d’un parti politique d’opposition. Il a fourni une copie des statuts de l’UDT, datés de 1992, c’est-à-dire de l’époque où l’UDT s’appelait «Union démocratique du travail» avant de devenir «Union djiboutienne du travail» en 1995. M. Mohamed Youssouf Mohamed a indiqué être devenu président de l’UDT vers la fin de l’année 2004, à la suite de la démission de son prédécesseur.

Il a regretté que M. Adan Mohamed Abdou refuse de saisir la main tendue du gouvernement en vue d’une réconciliation, ce qui lui a valu d’être démis de ses fonctions le 24 avril 2008. Il a estimé qu’il n’y avait qu’une seule UDT et que d’après ses statuts son président était habilité à convoquer une réunion extraordinaire du Bureau exécutif.

Il a reconnu que le nouveau secrétaire général figurait parmi les signataires de la suspension de M. Adan Mohamed Abdou, bien qu’il n’ait pas encore été élu à cette date, et estimé qu’il aurait dû signer en tant que secrétaire aux affaires juridiques de l’organisation. S’agissant de sa présence dans la délégation des travailleurs à cette session de la Conférence, il a dit avoir été invité par le gouvernement, bien que tardivement, alors que par le passé les courriers du gouvernement étaient adressés au secrétaire général de l’UDT.

Selon lui, l’UDT reste l’organisation la plus représentative et si l’UGTD est représentée à la Conférence depuis de nombreuses années c’est en raison des bonnes relations qu’elle entretient avec le gouvernement.

32. La commission regrette vivement que le gouvernement n’ait pas fourni le rapport détaillé demandé par la Conférence en 2007 dans le cadre des mesures de suivi (voir paragr. 11-13) sur la procédure utilisée pour désigner le délégué des travailleurs et ses conseillers techniques.

33. La commission note qu’elle est en possession d’informations contradictoires qui portent sur la qualité des membres appartenant à l’UDT, ses statuts, la fonction exacte de M. Mohamed Youssouf Mohamed dans l’organisation et sur les conditions dans lesquelles son secrétaire général, M. Adan Mohamed Abdou, aurait été démis de ses fonctions. Elle a eu à connaître de pièces dont l’authenticité est fortement mise en cause. Les demandes d’informations complémentaires fournies oralement n’ont pas permis d’apporter les éclaircissements
nécessaires sur les conditions requises pour convoquer une réunion extraordinaire du bureau exécutif de l’UDT.

La commission note aussi que l’un des signataires de la décision du 24 avril 2008 relative à la suspension de M. Adan Mohamed Abdou a signé en qualité de secrétaire général de l’UDT, alors qu’il n’est pas établi qu’il avait déjà été élu à cette date. En outre, certaines signatures diffèrent de celles figurant sur la liste de présence des membres convoqués à la réunion.

34. La commission note avec intérêt que la recommandation de la mission de contacts directs de janvier 2008 d’inclure l’UDT dans la délégation de Djibouti pour la présente session de la Conférence s’est traduite par l’inclusion de l’UDT dans la délégation des travailleurs, l’organisation ayant été représentée pour la dernière fois en 2003. Elle regrette néanmoins que la procédure de désignation des représentants des travailleurs ne se soit pas déroulée dans le cadre d’une procédure de consultations effectuées sur la base de critères objectifs et vérifiables et en toute indépendance.

Il est pour le moins étonnant que la correspondance du gouvernement relative à la désignation des représentants des travailleurs à la Conférence ait été adressée, dans le cas de l’UGTD, au secrétaire général de l’organisation, et dans celui de l’UDT, à son président directement. La commission a également reçu la confirmation que M. Mohamed Youssouf Mohamed n’avait jamais rencontré la mission de contacts directs de janvier 2008 en qualité de président de l’UDT.

35. Les éléments dont dispose actuellement la commission indiquent que le représentant de l’UDT à la Conférence n’a pas été choisi en toute indépendance par rapport au gouvernement. La conséquence aurait été de proposer à la Conférence l’invalidation des pouvoirs de M. Mohamed Youssouf Mohamed.

36. Néanmoins, la commission considère que la protestation soulève des questions qui vont au-delà de celles qui concernent exclusivement la désignation de la délégation des travailleurs à la Conférence. Certaines ont déjà été présentées devant les différents organes de contrôle de l’OIT et sont à l’origine de la mission de contacts directs de janvier 2008.

Elles font état du non-respect des principes de la liberté syndicale dans le pays et d’actes d’ingérence du gouvernement dans les affaires syndicales. En outre, il paraît maintenant évident qu’il existe un problème de légitimité des personnes supposées représenter l’UDT.

37. Partant, et au vu des éléments dont elle dispose, la commission exhorte le gouvernement à garantir dans les meilleurs délais la mise en place de critères objectifs et transparents aux fins de la désignation des représentants des travailleurs aux futures sessions de la Conférence.

Elle s’attend à ce que cette désignation puisse enfin se faire dans un esprit de coopération entre toutes les parties concernées et dans un climat de confiance qui respecte pleinement la capacité d’agir des organisations de travailleurs, en totale indépendance par rapport au gouvernement, conformément aux dispositions des conventions nos 87 et 98 de l’OIT.