27/06/08 (B453) LE MONDE : Interview de Guelleh / « On ne laissera pas l’Erythrée occuper une partie de notre territoire »

Le président de la République de Djibouti revient sur les accrochages qui ont opposé le 10 juin ses troupes à celles d’Erythrée à la suite d’un conflit frontalier.

La situation entre les deux pays reste explosive. La France a envoyé près de 200 militaires près de la frontière. Le Conseil de sécurité des Nations unies a décidé, mardi 24 juin, de dépêcher sur place une mission d’enquête.

Quelle est la situation sur le terrain ?

Les forces érythréennes ont consolidé leurs positions dans la zone contestée de Ras Doumeira, alors notre armée avait décroché dans l’espoir que l’Erythrée suivrait et que l’on reviendrait au statu quo ante. Cela n’a pas été le cas.

Les Erythréens prétendent que la zone contestée est leur unique point de défense contre une incursion américano-éthiopienne. C’est ridicule. Comme si les Ethiopiens avaient besoin de passer par Djibouti pour attaquer l’Erythrée !

Mais le tracé de la frontière n’est pas clair. Il n’y a pas de carte, pas de bornage sur le terrain.

Je n’accepte pas ce type d’argument. Du temps de la présence française, un sultan a donné les deux montagnes contestées au colonisateur. Il a signé un papier. Cela nous suffit. J’ajoute qu’il y a aussi eu un accord ancien entre le roi Menelik d’Ethiopie et la France qui va dans le même sens. Nous sommes chez nous.

Vous n’avez pas eu de contact avec le président érythréen pour régler le contentieux ?

Aucun depuis les accrochages. qui ont fait chez nous une vingtaine de morts, des dizaines de blessés et quelques disparus, il a coupé tout contact et a refusé de me prendre au téléphone. J’ai essayé de renouer le dialogue par l’intermédiaire d’un ami commun, l’émir du Qatar. Isaias (Afwerki, le président de l’Erythrée) lui a menti, disant que tout allait s’arranger, qu’il ne fallait pas s’en faire.

Vous êtes prêt à recourir à la force armée si vous n’obtenez pas satisfaction par la diplomatie ?

J’attends une résolution contraignante de l’ONU. Si l’Erythrée ne s’y conforme pas on sera obligé de les déloger, quel que soit le prix à payer pour notre population. On ne les laissera pas occuper une partie de notre territoire, quel que soit le prix à payer pour notre population.

Vous espériez obtenir une résolution du Conseil de sécurité mais ce dernier s’est contenté de deux déclarations, dont la seconde a été adoptée le 24 juin à l’unanimité. Vous n’êtes pas déçu ?

Non. Nos amis au Conseil de sécurité nous ont dit qu’il fallait patienter le temps que les diverses missions d’information envoyées sur le terrain rendent leur copie. Une résolution n’avait aucune chance de passer mardi.

Vous êtes satisfait de l’appui de la France dans la crise ?

Oui. Dans le cadre de l’accord de défense, les Français nous ont fourni un soutien logistique et médical. Ils nous alimentent en informations. Il y a des patrouilles militaires conjointes. Et ils ont accepté de nous ravitailler en munitions.

Et les Américains, eux aussi installés à Djibouti, ils vous aident ?

Nous ne leur avons rien demandé mais ils ont été les premiers à condamner l’agression érythréenne. Le paradoxe c’est que le régime érythréen est une création des Américains…

La France va disposer d’une implantation militaire à Abu Dhabi. Vous ne redoutez pas que ce soit le signe d’un désengagement de la France de Djibouti ?

Ça ne nous dérange pas du tout. Les Français ne peuvent pas remplacer Djibouti. Ils sont bien, ici, chez nous ; on est bien avec eux. A Abu Dhabi, c’est tout juste si on leur dit bonjour. D’ailleurs, là-bas, ils n’auront que des facilités d’utilisation. Rien de plus.

Dans le cadre de l’affaire Borrel vous aviez saisi la Cour internationale de justice, qui a rendu un verdict nuancé il y a quelques semaines. Êtes-vous satisfait ?

Si ça peut arrêter cette affaire qui a empoisonné les relations entre nos deux pays c’est tant mieux. Mme (Elisabeth) Borrel a eu ce qu’elle voulait. J’ai lu que le Trésor public français lui avait accordé une pension puisque son mari était mort "en service commandé". J’imagine qu’elle est satisfaite. Ce qui importe c’est de préserver les relations entre Djibouti et la France.

Propos recueillis par Jean-Pierre Tuquoi