27/07/08 (B458) Marrakech News (Frankie Martin CGNews) Le temps est venu de faire attention… (Somalie)

Frankie Martin : Pendant que le monde regarde ailleurs, la Somalie brûle. Ce pays vient d’être mis en tête de la liste des pays les plus instables du monde par le magazine Foreign Policy et selon les Nations Unies la situation humanitaire y est “pire qu’au Darfour.”

D’ici trois mois, le nombre de ceux qui réclament une aide alimentaire urgente atteindra 3,5 millions de personnes. Ils sont plus d’un million de réfugiés à avoir abandonné leurs maisons. En raison de l’insurrection qui fait rage contre le gouvernement de transition actuel – et qui est soutenu aussi bien par l’Occident que par l’Éthiopie — Mogadiscio a mérité le surnom « Bagdad sur mer. »

En Somalie, il n’y a point de superstar diplomatiques comme Condoleezza Rice ou Kofi Annan, qui s’était précipité au Kenya pour régler la crise électorale ; point de célébrité comme Mia Farrow, Stéphane Spielberg, ou Jim Carrey pour pousser la communauté internationale à agir et à prendre conscience de la situation, comme ils l’ont fait au Soudan et en Birmanie.

Au contraire, la Somalie n’a suscité qu’un bâillement général d’indifférence. Il suffit de prononcer le nom du pays pour que le diplomate le plus consacré ou le travailleur humanitaire le plus dévoué lève les bras au ciel en signe de désespoir.

Paradoxalement, et à la différence des conflits au Kenya, en Birmanie ou au Soudan, la crise actuelle en Somalie est due en partie à la « la guerre à la terreur » menée par les Etats-Unis et au fait que les Américains sont incapables de saisir certaines des nuances d’Isla

Le monde musulman n’est pas monolithique ; parmi les musulmans il y a un conflit en cours sur les interprétations différentes de leur religion. La Somalie est traditionnellement un pays soufi – le soufisme étant la forme mystique, ouverte, d’islam, distinct d’interprétations plus conservatrices comme celle qu’on voit dans des pays comme l’Arabie Saoudite.

Reste qu’en Somalie, un mouvement plutôt conservateur s’est affirmé sous la dictature laïque du président Siad Barre et pendant la période d’anarchie qui a suivi son bannissement en 1991. L’Union des Tribunaux Islamiques (UIC) qui en est issue a mis en oeuvre une loi fondée sur la charia et bien que ses adeptes les plus rigoristes aient rencontré l’opposition de nombreux Somaliens, ce mouvement aux racines populaires s’est renforcé parce que, dans un pays ravagé par la famine, par la violence des seigneurs de la guerre et les conflits tribaux, les gens aspiraient à l’ordre et à la justice

Malgré des différences internes quant à l’interprétation d’islam, l’UIC a instauré une relative stabilité relative, qui a favorisé la relance des affaires en Somalie.Il a aussi réconcilié des tribus rivales et mis fin à la piraterie le long des périlleux rivages de la Somalie.

Mais l’ascension de l’UIC a inquiété les Etats-Unis, qui ont cru que cette formation donne abri à des membres d’Al Qaeda en quête d’un lieu sûr en Somalie. Les Etats-Unis sont intervenus en soutenant contre l’UIC des chefs militaires laïcs – ceux-là même, pour certains, qu’ils avaient combattus en 1993, lors de l’épisode du Black Hawk. Le résultat fut non pas l’isolement, mais le renforcement de l’extrémisme en Somalie.

Et malgré leur très grande puissance, les seigneurs de la guerre, sous l’étiquette « Alliance pour la Restauration de la Paix et le Contre-terrorisme », ont été défaits par l’UIC au milieu de l’année 2006.

En décembre 2006, les extrémistes de l’UIC ont lancé des menaces contre l’Ethiopie, la rivale traditionnelle de la Somalie, l’accusant d’intervention dans les affaires intérieures de celle-ci. Déjà préoccupée par la possibilité que l’UIC y soutienne un soulèvement ethnique, l’Ethiopie a envahi la Somalie.

Les Etats-Unis ont soutenu l’invasion de la Somalie par l’Ethiopie, ainsi que l’occupation qui s’ensuivit, en fournissant à ce dernier pays des renseignements, l’appui de raids aériens, des forces spéciales, et en déportant à Guantanamo ceux qu’on soupçonnait d’activités terroristes.

Un soulèvement dans le style irakien n’a pas tardé à se déclarer en Somalie, mené surtout par des éléments de l’UIC, mais aussi par les membres du clan Hawiye, qui est la base tribale de l’UIC. Ceux-ci sont persuadés que les Etats-Unis et les Ethiopiens les attaquent en soutenant le gouvernement provisoire de la Somalie, dirigé en grande partie par les membres d’une tribu rivale, les Daarood. Parce qu’ils sont musulmans, ils croient que c’est l’islam qui est attaqué et ils cherchent à le défendre.

La Somalie est confrontée à des problèmes considérables, mais un cessez-le-feu récent – appelant à la fin du soulèvement avant un retrait de troupes éthiopiennes éventuel au profit d’un contingent de l’ONU – a apporté optimisme et espoir.

L’impulsion donnée récemment en Somalie à un regain du conservatisme religieux – et parfois d’un extrémisme militant – reflète des changements analogues dans le monde musulman tout autour. Cependant, par une action rapide et responsable, les Etats-Unis peuvent encore contribuer à la contrecarrer.

Les Etats-Unis devraient d’abord faire pression sur l’Ethiopie pour que celle-ci retire ses troupes et fasse venir toutes les factions somaliennes à la table de négociations.

Ils peuvent aussi oeuvrer à l’intérieur des structures tribales traditionnelles pour se faire entendre du peuple de Somalie, effectuer des changements politiques et distribuer de l’aide. En gagnant la confiance des Somaliens modérés, qui seraient heureux de contrer eux-mêmes les extrémistes, et en finançant des programmes de développement respectueux des cultures et de la religion locales, les Etats-Unis peuvent aider à renverser le mouvement et à discréditer des extrémistes qui prêchent que c’est à l’islam que l’Occident s’en prend.

Pour ce faire, les Etats-Unis doivent immédiatement renoncer à une politique qui a échoué. Au lieu de se battre contre des individus qui cherchent à nuire à l’Amérique d’une façon intelligente, efficace, ils doivent aborder les Somaliens de front. Les Etats-Unis devraient tirer les leçons de leurs désastres en Irak, en Afghanistan et au Pakistan : employer la force aveugle, en écrasant des « terroristes » au grand dam de populations entières ne fait que renforcer les extrémistes.

Ces jours-ci toute marque d’attention envers la Somalie serait encourageante. Mais pour créer une société stable qui soulagerait la souffrance des Somaliens et apporterait une réponse au souci de sécurité des Occidentaux, il faut quelque chose en plus : une vraie compréhension de ce qui a mal tourné et la volonté qui, seule, opérera des changements dans le bon sens.

Frankie Martin est attaché de recherches à la chaire Ibn Khaldun de l’American University School of International Service à Washington. Il a fait du travail de terrain parmi les Somaliens au Kenya pour le livre Journey into Islam: The Crisis of Globalization d’Akbar Ahmed (Brookings, 2 007). Article paru à l’origine dans le Washington Post/Newsweek’s Post Global et écrit pour le Service de Presse de Common Ground (CGNews).

Frankie Martin – CGNews