10/09/08 (B464-B) METRO / « Les pirates n’ont rien à perdre » – Le livre écrit par le Capitaine du Ponant.

Le capitaine du Ponant raconte dans un livre la prise d’otages d’avril dernier au large de la Somalie…

Le 4 avril dernier, le Ponant était attaqué par des pirates au large de la Somalie. La prise d’otages a duré une semaine, avant que l’équipage du trois-mâts ne soit relâché. Le capitaine du Ponant raconte les événements dans un livre édité par Michel Lafon. Entretien.

Vous êtes le capitaine du Ponant, victime de piraterie au large de la Somalie en avril dernier. Pourquoi avoir écrit un récit de cette prise d’otages ?
Durant la prise d’otages, j’avais déjà pris des notes dans l’idée de la raconter par la suite. L’issue étant heureuse, je me suis dit ‘pourquoi ne pas partager cette expérience avec d’autres’. J’avais deux conditions toutefois pour sortir un livre : obtenir l’accord de ma femme, car je décris un peu ma vie de famille dedans ; et obtenir l’accord de ma compagnie.

Avec le recul, comment jugez-vous ce livre ?
Il reflète assez bien les émotions que l’on a vécues à bord. Je pense que ça a été une bonne thérapie. Et puis cela laisse une trace, en particulier pour mes trois filles, qui sont encore jeunes pour qu’on leur raconte ce qui s’est passé.

Comment vivez-vous depuis la fin des événements ?
Juste après notre libération, j’ai eu trois semaines de break. En fait, une seule car il a fallu répondre aux nombreuses sollicitations médiatiques. Puis le retour à bord du Ponant s’est fait assez naturellement, sans aucune appréhension. J’étais même assez content de revenir à bord.

Revenons sur les événements d’avril. Dans votre livre, on sent, tout au long des jours précédents, comme un pressentiment. Vous aviez une vraie appréhension d’être attaqué ?
Il y avait quelques signes, en effet, qui montraient qu’on était dans une période plus ‘chaude’. Les attaques dans cette zone reviennent de manière endémique. Il y a des pics, puis des pauses. Là, on était clairement en état d’alerte.

Comment peut-on expliquer cette recrudescence de la piraterie ?
Par la misère et l’état de la Somalie. Ce n’est pas le seul endroit du monde où l’on rencontre ce genre d’attaques, mais d’autres pays ont fait des efforts pour les stopper.

La Somalie, c’est un Etat de non-droit. Durant les temps d’attente, j’ai essayé de discuter avec les preneurs d’otages. Ils m’expliquaient que leur seul moyen de survivre, c’était de taxer des bateaux étrangers. Après, c’est un engrenage. Il y a du poisson dans ces mers, ils pourraient pêcher, mais ils n’imaginent plus de vivre d’une activité honnête. D’autant qu’ils sont prêts à mettre leur vie en danger. Ils n’ont rien à perdre.

On sent que vous tentez de les comprendre. Quel est votre sentiment à l’égard de vos preneurs d’otage ?
J’ai essayé de les comprendre, mais attention, je fais bien la différence. Nous ne sommes pas du même côté. Nous n’appartenons pas au même monde. Un exemple du décalage entre nous, c’est la mort d’un des leurs, tombé à l’eau durant la prise d’otages. Dix ou quinze minutes plus tard, c’était évacué, oublié.

Comment analysez-vous les événements actuels, avec la prise d’otages d’un voilier (avec deux Français à bord) ?
Aujourd’hui, il y a une dizaine de bateaux détenus. Ces prises d’otages ont lieu en permanence. Les tactiques des pirates évoluent, ils ne ciblent pas toujours les mêmes types de bateaux, ils s’aventurent de plus en plus loin. Leur organisation semble assez structurée. Nos preneurs d’otage m’avaient indiqué qu’ils faisaient partie d’une organisation de 300 à 400 personnes. Et durant les négociations, quelqu’un à terre tirait les ficelles.

Y a-t-il des solutions à ce problème ?
Après l’affaire du Ponant, une résolution a été adoptée aux Nations Unies pour autoriser les navires de guerre à entrer dans les eaux territoriales somaliennes. C’est un premier pas. Mais si les attaques se poursuivent, la communauté internationale risque de frapper du poing sur la table. Et la Somalie risquerait gros.

Dans le livre, vous racontez en détails les négociations. Vous n’avez subi aucune pression pour taire certains événements ?
Non. Il y a en effet une transparence totale sur les négociations. J’ai pu tout dire, raconter quels étaient les montants en jeu (un accord avait été trouve pour une rançon de 2,15 millions de dollars, ndlr) et quels ont été les rebondissements.

Les relations avec votre équipage semblaient très fortes. Ce type d’événements doit encore les renforcer ?
Oui, on apprend beaucoup sur soi et sur les autres. J’étais l’interlocuteur privilégié des preneurs d’otages malgré moi. J’avais des responsabilités à assumer, mais tous ont été extraordinaires dans cette épreuve. Dans ces moments là, on a tous besoin les uns des autres.

Avez-vous imaginé changer de vie, arrêter de naviguer ?
Non, à aucun moment. Cela ne m’a même pas effleuré l’esprit. D’autant plus que des relations extraordinaires se sont nouées avec mon armateur. J’ai comme un engagement moral.

Le livre
Prise d’otages sur le Ponant, de Patrick Marchesseau
Editions Michel Lafon
265 pages, 18,90 euros