18/10/08 (B470) RFI / Affaire Borrel : la thèse de lassassinat renforcée
La juge dinstruction chargée denquêter sur la mort du magistrat français Bernard Borrel, en 1995, demande la levée du secret sur des documents de larmée. Selon les éléments dont dispose Sophie Clément, la thèse de lassassinat est renforcée et celle du suicide, jusqualors privilégiée, devient douteuse.
La thèse du suicide a du plomb dans laile. Celle de lassassinat en revanche est considérablement renforcée. La juge dinstruction Sophie Clément veut en tout cas pousser ses investigations sur cette piste-là sur la foi des dernières informations dont elle dispose. Les examens pratiqués après lexhumation du corps de Bernard Borrel en 2002 ont permis de déceler que la victime avait subi une série dépreuve qui doivent conduire à envisager plus sérieusement lhypothèse du crime. « Les expertises techniques et médico-légales réalisées dans le cadre de linstruction concluent à lassassinat de Bernard Borrel », estime la magistrate.
La dépouille de Bernard Borrel a été retrouvée le 19 octobre 1995 à Djibouti, à 80 kilomètres de la capitale, au pied dune falaise. Le magistrat français avait été aspergé dessence et le corps était partiellement calciné. Les autorités djiboutiennes avaient hâtivement conclu au suicide du juge français. Les autorités françaises se félicitaient de la coopération de leurs collègues djiboutiens dans cette affaire qui, malgré la volonté de la veuve, menaçait de senliser. Mais les examens pratiqués sur le corps de la victime exhumée, il y a deux ans, ont révélé une fracture du crâne, une fracture de lavant-bras gauche (dite « de défense », cest à dire pour se protéger dun coup porté), et des traces de deux liquides inflammables. Le scénario du suicide devenait invraisemblable.
« Ismaël Omar Guelleh pourrait être le commanditaire de lattentat »
Indépendamment des modalités, la disparition du juge français intervient dans un contexte denquête effectuée sur lattentat perpétré en 1990 contre le Café de Paris, à Djibouti. Lexplosion dune bombe avait fait 1 mort et 14 blessés. Laffaire nest toujours pas élucidée, mais il savère que la victime collaborait, à lépoque des faits, avec le magistrat chargé de lenquête, le juge Roger Le Loire, qui le confirmait jeudi au quotidien Libération. Or, selon la veuve de Bernard Borrel, lenquête de ce dernier aurait révélé une relation entre lattentat du Café de Paris et les services djiboutiens. Selon la juge Sophie Clément, « les policiers (
) ont mis à jour lhypothèse dune manipulation de lenquête par les Services spéciaux djiboutiens dirigés par Ismaël Omar Guelleh », aujourdhui chef de lEtat, hier chef de cabinet de lancien président djiboutien. « Grotesque et scandaleux », déclare de son côté au quotidien Le Monde lavocat français Francis Szpiner, défenseur de la partie djiboutienne.
La juge dinstruction rappelle que, lors de linstruction, plusieurs témoins ont mis directement en cause M. Guelleh. Madame Clément dispose également dun document émanant de la Direction générale des services extérieures (DGSE) faisant part de témoignages incriminant « le clan de lactuel président de la république » et, sous réserve dauthentification, dune note rédigée au lendemain de lattentat de 1990, qui proviendrait de larmée, et selon laquelle « Ismaël Omar Guelleh pourrait être le commanditaire de lattentat du Café de Paris. Le dossier présenté par les autorités locales sur cet attentat serait en fait une manuvre dintoxication ».
En conséquence, Sophie Clément demande aux ministères de lIntérieur et de la Défense laccès à des documents jusqualors classés secrets et attend du président Pierre Lelong de la Commission consultative du secret de la défense nationale quil se livre « à toutes investigations préalables utiles à la recherche des documents relatifs à la disparition du juge Borrel et à léventuel rôle des autorités djiboutiennes ».
Le travail des « petits juges » français
En France, côté officiel, la brièveté des réponses trahit lembarras. Lancienne colonie française demeure en effet un confetti stratégique qui défend notamment lentrée de la mer Rouge et où sont déployés quelque 2 700 soldats français. Paris ny a plus le monopole de la présence militaire depuis que les Américains sy sont installés, à leur tour, après le 11 septembre. Après laffaire congolaise du Beach, toujours en cours, le travail des « petits juges » français place Paris en position inconfortable, entre nécessité de justice et impératifs diplomatiques, alors que la France subit une très vive concurrence dans son pré-carré. Lors de la venue en France du président djiboutien, au mois daoût à loccasion du 60ème anniversaire du débarquement de Provence, les autorités avaient du réaffirmer limmunité diplomatique de M. Guelleh, dont Elisabeth Borrel avait réclamé quil soit entendu par la justice.
Pour lavocat dElisabeth Borrel, dans cette affaire, la question de la raison dEtat est centrale. « Il est temps de savoir si lEtat français aura le courage de connaître la vérité sur lassassinat dun de ses magistrats, ou si lon refuse, pour de basses raisons diplomatiques, daller jusquau bout », déclare Olivier Morice.
Interrogé jeudi, le ministère français des Affaires étrangères est resté sur un laconique « nous navons pas lhabitude de commenter les affaires dont la justice est saisie. Nous avons eu néanmoins loccasion de souligner la totale coopération des autorités djiboutiennes dans cette affaire ». Sur lantenne de RFI ce matin, le ministre français de Justice a limité ses commentaires au strict minimum. Dominique Perben a néanmoins insisté sur la préservation de la notion de présomption dinnocence.