14/11/08 (B473-B) LE MONDE / Les islamistes somaliens regagnent du terrain au sud de Mogadiscio (Info lectrice)

Jamais depuis qu’ils ont été chassés du pouvoir en Somalie voici deux ans les islamistes n’ont étendu leur zone de contrôle aussi près de Mogadiscio. A l’aube du mercredi 12 novembre, quelques centaines de miliciens appartenant au groupe de chabab ("jeunes" en arabe) ont ainsi pris possession du port de Merka, situé à 100 km au sud de la capitale somalienne après avoir encerclé la ville pendant la nuit.

Le soir même, ils annonçaient à la population l’instauration de la charia : interdiction d’ouvrir les commerces aux heures de prière et de collecter des taxes, "obéissance aux ordres d’Allah".

Armés de mitrailleuses et de lance-roquettes et circulant dans des pick-up, les chabab semblent n’avoir rencontré aucune résistance et avoir été bien accueillis par la population qui souffre d’une terrible insécurité. La Somalie, en dehors de Mogadiscio, contrôlée par l’armée du "gouvernement de transition" (officiel) et les troupes éthiopiennes qui ont chassé les islamistes en décembre 2006, est un pays sans Etat aux mains de milices claniques locales. Au fil des combats, quelque 500 000 habitants de Mogadiscio ont fui, transformant partiellement la ville en cité fantôme. Le pays est en guerre civile depuis 1991.

La prise de Merka, 35 000 habitants, intervient trois mois après celle de Kismayo, autre grand port, à 500 km au sud de Mogadiscio. Dans cette ville, la deuxième du pays, une jeune femme avait été jugée coupable d’adultère et lapidée à mort le 28 octobre par une cinquantaine d’hommes. L’Unicef avait ensuite révélé que la victime était en réalité âgée de 13 ans, qu’elle avait été violée puis mise en accusation alors qu’elle était allée chercher la protection des autorités.

Depuis mercredi, les nationalistes islamistes chabab, classés comme proches d’Al-Qaida par les Etats-Unis contrôlent ainsi le centre et le sud du pays, s’appuyant sur l’impopularité des soldats éthiopiens, perçus par une partie de la population comme des occupants étrangers. La prise de Merka apparaît comme particulièrement stratégique. Le port constitue en effet le principal accès pour l’aide que fournit le Programme alimentaire mondial (PAM) de l’ONU. En octobre, 800 000 personnes ont été nourries par les aliments débarqués à Merka et les Nations unies estiment à 3,2 millions le nombre de Somaliens nécessitant une assistance humanitaire. Un porte-parole du PAM, organisation qui est déjà amenée à travailler dans des zones contrôlées par les islamistes, a affirmé, jeudi, qu’il prévoyait que le port de Merka pourrait continuer à être utilisé.

Les miliciens chabab sont issus des groupes de jeunes extrémistes ayant combattu aux côtés des Tribunaux islamiques qui ont contrôlé le pays en 2006 ; ils figuraient aussi aux avant-postes de l’insurrection du printemps 2008 matée dans le sang par les Ethiopiens. Depuis deux ans, la guérilla, incessante, a causé le mort de milliers de civils.

Face aux chabab, le gouvernement de transition apparaît incapable de contrôler le pays. Des alliés du président Abdullahi Yusuf Ahmed reprochent à son premier ministre d’aider les islamistes. Les autorités accusent les chabab de vouloir torpiller l’accord de paix signé en octobre à Djibouti avec des islamistes modérés. Dans un climat d’indifférence internationale, les Ethiopiens, eux, ont annoncé le retrait progressif de leurs soldats de Somalie, tout en avertissant qu’"en cas de menace" ils "reviendraient pour briser les chabab".

Philippe Bernard