27/11/08 (B475-B) La Grande époque avec Reuters / Le monde peu enclin à s’impliquer dans le chaos somalien

Écrit par Mark John et David Clarke, Reuters

Tout en dépêchant des escadres dans les eaux infestées de pirates qui baignent la Somalie, le monde paraît peu enclin à s’impliquer dans le rétablissement de la sécurité dans l’ex-colonie italienne.

La communauté internationale est de plus en plus préoccupée par les risques d’instabilité régionale causés par le chaos chronique régnant dans l’«Irak de la Corne de l’Afrique», les États-Unis craignant plus particulièrement qu’un retour des islamistes au pouvoir ne fasse de la Somalie un havre pour Al-Qaïda.

Mais la conviction que la Somalie n’est pas encore au bout de dix-sept ans d’absence de pouvoir étatique, le souvenir douloureux d’interventions passées et l’urgence d’éteindre d’abord d’autres incendies, en Afghanistan ou au Congo-Kinshasa, ont eu pour le moment raison de toute velléité d’immixtion.

Même si elle a dépêché une flottille de bâtiments de guerre dans la région dans l’espoir d’intimider les flibustiers, l’OTAN n’a engagé aucun débat sur le traitement de la «racine du mal, à savoir l’instabilité politique», confirme un porte-parole de l’Alliance atlantique.

«Assez à faire ailleurs»
Le même silence règne dans les couloirs des Nations Unies, de l’Union européenne et du Pentagone, où l’on reste traumatisé par la mort de dix-huit soldats américains en 1993 dans une bataille avec les chefs de guerre somaliens, qui avait sonné le glas d’une intervention commune américano-onusienne visant à rétablir l’état de droit.

«Je ne connais personne qui parle d’intervention militaire américaine en Somalie. Nous observons la situation. Mais nous nous en tenons à une attitude de stricte non-intervention. Nous avons assez à faire ailleurs», confie un responsable du Département américain de la Défense.

Formellement, le Conseil de sécurité de l’ONU a demandé au secrétaire général, Ban Ki-moon, de hâter la préparation de plans d’urgence pour remplacer par des Casques bleus les 3000 hommes mal préparés du contingent de l’Union africaine en Somalie, en vue de superviser un accord de paix remontant au 18 août.

Mais l’aile la plus radicale des islamistes a rejeté cet accord et la violence fait rage entre les insurgés et les forces du fragile gouvernement fédéral transitoire somalien, reconnu par la communauté internationale, mais soutenu à bout de bras par l’armée éthiopienne.

Véritable armada
Les efforts de l’Italie et de l’Afrique du Sud pour que cette mission des Nations Unies voie le jour ont été contrariés par Londres et Washington qui estiment qu’à l’heure actuelle en Somalie il n’y a tout simplement pas de paix à maintenir.

«Au moins, au Congo, il y avait un processus politique auquel nous pouvions nous raccrocher», souligne un responsable de l’UE, dressant un parallèle avec l’engagement dans l’ex-Congo belge, où la paix est aujourd’hui sérieusement menacée par une rébellion tutsie, dans l’Est.

L’inaction internationale en Somalie est d’autant plus criante que nombre de pays, de l’Inde aux États-Unis en passant par la Russie, la France ou la Grèce, ont dépêché une véritable armada au large de ses côtes pour protéger les navires marchands de pirates de mieux en mieux armés.

Cela n’a pas empêché le détournement inédit, la semaine dernière au large du Kenya, d’un pétrolier géant transportant deux millions de barils de brut saoudien destiné aux États-Unis, un coup de main audacieux qui inquiète la communauté internationale et annonce une flambée des coûts de transports maritimes.

Descente aux enfers
L’OTAN, qui soutient que la présence de son escadre dans la région est cruciale pour la protection des navires du Programme alimentaire mondial (PAM) acheminant l’aide destinée au million de civils déplacés par les combats, se dit prête à étendre son opération l’an prochain en parallèle avec une action analogue de l’UE.

Mais les analystes ne voient aucune perspective d’engagement européen ou occidental à terre.

Quant au Conseil de sécurité, il a promis d’envisager une opération de paix «en fonction du processus politique et de l’amélioration de la situation sécuritaire», une promesse peu contraignante.

Ces dernières années, l’aviation américaine est parfois intervenue en Somalie pour frapper des cibles censées être liées à Al-Qaïda. Mais, au Pentagone, on exclut toute intervention en fin de mandat de George W. Bush.

Et si nombre de Somaliens désespérés placent leurs espoirs en son successeur Barack Obama, celui-ci a fait savoir que sa priorité serait l’Afghanistan et les analystes ne s’attendent pas à ce qu’il prête de sitôt quelque attention à un pays dont la descente aux enfers se poursuit inexorablement.

Besoin d’un règlement politique
La capture du superpétrolier par des pirates souligne plus que jamais la nécessité d’un règlement politique dans ce pays de la Corne de l’Afrique.

Se moquant des bâtiments de guerre déployés en urgence ces dernières semaines par multiples gouvernements et organisations multilatérales, les pirates se sont tout simplement emparés au large du Kenya d’un navire grand comme trois porte-avions transportant le quart des exportations journalières de pétrole brut de l’Arabie saoudite.

«C’est à l’évidence une escalade», estime Roger Middleton, un spécialiste de la région travaillant au sein de l’institut de recherches Chatham House à Londres. «Il n’existe pas de capacité navale pour couvrir la région qu’ils menacent. La solution militaire n’est donc pas une réponse.»

Car même si le ministre saoudien des Affaires étrangères a promis d’employer les grands moyens face à ces flibustiers d’un nouveau genre, les navires se heurtent à un grand nombre d’obstacles : couvrir, donc, une région d’une taille équivalente à celle de la mer Rouge et de la Méditerranée, identifier les pirates avant leurs assauts ou protéger les otages sur les bateaux détournés.

La piraterie découle en grande partie de l’absence d’autorité centrale à Mogadiscio, ce qui assure une sorte d’impunité aux clans qui s’en partagent les bénéfices.

«La communauté internationale doit réfléchir avec l’esprit ouvert au genre de gouvernement possible en Somalie. Le gouvernement fédéral intérimaire [soutenu par l’Occident] n’a pas apporté la paix et le développement comme espéré», souligne Roger Middleton.

L’envoi d’une force navale dans le golfe d’Aden, l’une des principales routes maritimes commerciales de la planète qui évite aux navires de contourner l’Afrique par le cap de Bonne-Espérance, a certes réduit à 31 % le nombre d’assauts réussis par les pirates en octobre, contre 53 % en août.



Mais «les opérations de sécurité maritimes dans la région ne sont qu’un emplâtre, elles répondent aux symptômes, pas aux causes», insiste Jason Alderwick, expert à l’Institut international d’études stratégiques.



«Le gouvernement intérimaire ne remplit pas ses obligations d’État sur le maintien de l’intégrité dans ses propres eaux territoriales. Il lui faut un plan pour l’aider dans cette tâche, ou bien choisir une autre option.»



Cette option pourrait prendre la forme d’un accord de partage du pouvoir soutenu par les Nations Unies entre l’actuel gouvernement et les islamistes modérés.

 

Activité lucrative


Les islamistes, qui sont aux portes de la capitale Mogadiscio en partie contrôlée par le gouvernement intérimaire soutenu par l’armée éthiopienne, assurent que s’ils prenaient le contrôle du pays, ils mettraient fin à la piraterie comme ils l’ont fait pendant leur brève mainmise sur le sud du pays, pendant six mois en 2006.



«Nous sommes contre la piraterie, car elle impose des pénuries économiques au peuple somalien affamé», déclare un porte-parole des islamistes, Abdirahim Isse Adow, par allusion à l’impact négatif de ces actes sur les prix alimentaires locaux.



«Nous ne pouvons rien faire contre les pirates à moins que nous retrouvions notre puissance de 2006, quand nous protégions la terre et la mer.»



Les experts soulignent pourtant que toutes les parties prenantes au conflit somalien retirent des bénéfices de cette activité lucrative et Washington redoute qu’un gouvernement islamiste en Somalie ne transforme le pays en sanctuaire du terrorisme international.



Mais certains experts font valoir qu’en cas de marginalisation de l’aile la plus radicale, Al-Shabaab, l’arrivée au pouvoir d’islamistes modérés pourrait constituer la solution la plus réaliste.



«Étant donné les autres options, qui ne sont pas très reluisantes, l’administration Bush et son allié éthiopien pourraient désormais faire preuve de souplesse pour accepter une participation islamiste au gouvernement, à condition qu’il n’y ait pas de liens avec les terroristes internationaux», estime Philippe de Pontet, analyste au groupe Eurasia.



«Pour l’instant, cependant, il est probable que la Somalie et la piraterie en Somalie ne feront que s’aggraver.»



Un problème plus large


Le premier ministre somalien, Nour Hassan Hussein, estime que la piraterie au large des côtes de son pays participe d’un phénomène international qui va au-delà de la région de la Corne de l’Afrique.



Dans une interview à l’agence Reuters, Hussein estime que les patrouilles maritimes internationales ne suffiront pas à éradiquer le phénomène de la piraterie et assure que celui-ci n’est pas cantonné à la Somalie.



«Nous sommes désolés, mais ce problème de piraterie n’est pas cantonné seulement à la Somalie; il affecte l’ensemble de la région, il affecte le monde.»



Selon les experts, les pirates ont montré qu’ils pouvaient frapper sur une large étendue maritime puisque la zone de leurs agissements dépasse plus d’un million de km2.



«Les opérations navales à elles seules ne sont pas suffisantes, car les pirates disposent d’un réseau, ce qui veut dire un réseau opérationnel en mer, à terre et aussi parfois à l’étranger», affirme-t-il.



«Je crois que tout cela est lié à d’autres organisations. Je ne pense pas qu’il s’agisse purement et simplement de piraterie somalienne.»



«Il y a des groupes criminels, assurément, du moins c’est une hypothèse. Mais, bien sûr, on y verra plus clair dans les mois qui viennent.»



Un certain nombre d’experts de la région n’excluent pas que les pirates somaliens bénéficient de l’aide de hors-la-loi yéménites et nigérians et que les butins – notamment les rançons obtenues des armateurs des bateaux détournés – finissent entre les mains de groupes terroristes internationaux.



C’est pourquoi ils estiment que, en plus de dépêcher des navires de guerre dans la région, la communauté internationale devrait se pencher sur les réseaux financiers susceptibles de recycler les dizaines de millions de dollars de rançon perçus rien que cette année.



Hussein fait valoir que son fragile gouvernement fédéral de transition somalien n’a pas les moyens de s’attaquer au phénomène et il réclame à la communauté internationale qui le soutient une aide pour mettre sur pied une garde-côtes digne de ce nom.



«Nous sommes très satisfaits de constater que le problème de la piraterie est devenu un problème commun et que des efforts communs sont déployés pour y faire face. Nous jouerons bien sûr notre rôle, mais nos moyens sont très limités», ajoute-t-il.