05/02/09 (B484-B) Courrier International avec The Times / ZIMBABWE • Un dictateur en cachait un autre

A Harare, le Mouvement pour le changement démocratique (MDC) veut extrader Mengistu Hailé Mariam, l’ami de Mugabe, vers l’Ethiopie, où il est accusé de génocide.

Pendant dix-sept ans, Mengistu Hailé Mariam, l’ancien dictateur éthiopien qui a éliminé ses opposants à une échelle industrielle au cours de la « terreur rouge », a vécu au Zimbabwe en tant qu’invité d’honneur de Robert Mugabe, partageant son temps entre une villa sévèrement gardée à Harare, une ferme près de la capitale et une retraite sur le superbe lac Kariba. En 2008, un tribunal éthiopien a condamné à mort le « Boucher d’Addis » après l’avoir inculpé de génocide par contumace.

Mais Mugabe a froidement refusé d’extrader l’homme qui avait livré des armes à la guérilla du ZANU-PF durant la guerre de libération du Zimbabwe, dans les années 1970.

Pourtant, l’avenir de l’un des pires tyrans qu’ait connus l’Afrique paraît compromis avec l’entrée du Mouvement pour le changement démocratique (MDC), le parti d’opposition zimbabwéen, dans un gouvernement d’union avec le ZANU-PF. Le 4 février, Nelson Chamisa, son principal porte-parole, a déclaré que l’extradition de Mengistu vers l’Ethiopie serait « une des priorités » du nouveau cabinet. « Le Zimbabwe ne saurait servir de refuge ou de zone de villégiature à des criminels contre l’humanité comme M. Mengistu. Nous ne pouvons pas donner asile aux responsables de telles injustices. »

Rares sont les Zimbabwéens qui verseront une larme si Mengistu, âgé de 71 ans, est renvoyé dans son pays pour y finir derrière les barreaux. Mugabe a dépensé des millions de dollars pour lui trouver une villa dans une impasse barricadée du quartier de Gun Hill, ainsi qu’une protection 24 heures sur 24 et bien d’autres avantages. En échange, Mengistu a conseillé son hôte sur les questions de sécurité et aurait été à l’origine de l’opération Murambatsvina, au cours de laquelle, en 2006, les forces de sécurité et les gros bras du ZANU-PF ont rasé des bidonvilles où vivaient 700 000 personnes considérées comme des partisans du MDC.

Il s’agit, en effet, d’un domaine où Mengistu bénéficie d’une expérience considérable. C’est en 1974 qu’il a pris le pouvoir, à l’issue d’un coup d’Etat militaire qui mit fin au règne de quarante-quatre ans de l’empereur Hailé Sélassié. Il imposa alors l’un des régimes les plus sanguinaires qu’ait subis le continent. En 1976, il déclencha la campagne dite de la « terreur rouge », contre les opposants à son régime. Debout dans le centre d’Addis-Abeba, il hurla « Mort aux contre-révolutionnaires ! » et fracassa des bouteilles pleines de sang de porc pour montrer le sort qui les attendait.

Au cours des années qui suivirent, plus de 500 000 personnes auraient perdu la vie, le pouvoir pratiquant « l’un des massacres les plus systématiques jamais perpétrés en Afrique ». Les proches étaient contraints de verser une taxe dite de la « balle perdue » pour récupérer les corps de leurs morts. Au nombre des victimes, citons l’ancien empereur et de nombreux membres de la famille royale. Mengistu en aurait exécuté certains personnellement. Il a fait de l’Ethiopie un Etat marxiste soutenu par l’Union soviétique, ce qui lui a valu le surnom de « Staline noir ». Il a mis en place d’immenses fermes collectives qui ont, sur la production agricole, les mêmes effets désastreux que les saisies de terres ordonnées par Mugabe au Zimbabwe, causant une famine terrible.

Equipée par les Soviétiques, son armée a cherché à écraser le mouvement sécessionniste en Erythrée, ainsi qu’un soulèvement dans la province du Tigré, mais, avec l’effondrement de l’Union soviétique, Mengistu a perdu ses bailleurs de fonds. En 1991, le dictateur s’est enfui au Zimbabwe alors que le Front de libération des peuples du Tigré et le Front populaire de libération de l’Erythrée cernaient Addis-Abeba. Washington a alors demandé à Robert Mugabe de l’accueillir pour que prenne fin le bain de sang.

L’ancien dictateur éthiopien s’est fait tout petit. En 1998, il a déclaré à un journaliste être un « réfugié politique » et passer son temps à écrire, lire et regarder la télévision. En 1999, grâce à son passeport diplomatique zimbabwéen, il s’est rendu à Johannesburg pour recevoir des soins médicaux et donner une de ses très rares interviews à un journal sud-africain. Sa révolution socialiste, avait-il déclaré, était nécessaire pour en finir avec le « système arriéré, archaïque et féodal » de Sélassié et avait été bénéfique à des millions d’agriculteurs. Par la suite, Mengistu n’a plus fait parler de lui. Ses gardes armés étaient invisibles, le 4 février, à proximité de son domicile. Nous avons remonté toute l’impasse en voiture, avant que des soldats n’apparaissent et ne nous intiment l’ordre de partir. On dit que Mengistu, confronté à la chute spectaculaire de la popularité de Mugabe, aurait échafaudé un plan de repli en Corée du Nord. Le temps est probablement venu pour lui de le mettre à exécution – si ce n’est déjà fait.

Martin Fletcher
The Times