18/03/09 (B490-B) Affaire de l’assassinat du Juge Borrel. La presse a largement « couvert » la Conférence de presse de Mme Borrel et les nouvelles révélations à la suite des perquisitions qui avaient été effectuées à l’Elysée. (5 articles en Français)

_______________________________ 5 – Le Monde

La veuve du juge Borrel demande la réouverture de l’enquête pour subornation de témoin

Elisabeth Borrel, la veuve du juge Bernard Borrel tué en 1995 à Djibouti, demande la réouverture d’une enquête pour subornation de témoin, sur la base de documents inédits de l’ex-cellule « Afrique » de l’Elysée saisis par des juges en août 2008, a annoncé mardi une source proche du dossier confirmant une information parue dans Libération de mercredi.

« Il apparaît que ces actes d’instruction ont été extrêmement fructueux, montrant combien l’Etat français, à son plus haut niveau, a tout tenté sous la présidence de M. Jacques Chirac pour étouffer la recherche de la vérité », écrit Mme Borrel dans sa demande adressée le 16 mars au procureur de la République de Versailles.

Le juge Borrel avait été retrouvé mort en 1995 à Djibouti, le corps à demi-calciné. Djibouti a conclu à un suicide mais l’enquête française menée à Paris par la juge Sophie Clément privilégie la thèse d’un assassinat. Des témoignages, dont celui de l’ex-membre de la garde présidentielle Mohamed Saleh Alhoumekani, mettent directement en cause le président Ismaël Omar Guelleh et son entourage.

Parallèlement à l’enquête criminelle, deux enquêtes judiciaires ont été menées en France. La première pour « pression sur la justice », dans le cadre de laquelle des documents élyséens ont été saisis, est toujours en cours à Paris. La seconde pour « subornation de témoins », que Mme Borrel voudrait voir réouvrir, s’est conclue par le renvoi en correctionnelle à Versailles de deux proches du président Guelleh.

L’actuel procureur de Djibouti, Djama Souleiman, et le chef des services secrets djiboutiens, Hassan Said, absents au procès, ont été condamnés respectivement le 27 mars 2008 à dix-huit mois et douze mois de prison ferme. Ces deux hauts responsables ont été reconnus coupables en première instance d’avoir fait pression sur deux témoins clés pour annuler ou discréditer le témoignage visant le président djiboutien.

Un procès en appel est prévu les 25 et 26 mars 2009.

_______________________________ 4 – TF1 – LCI

Affaire Borrel – Des preuves aux « manipulations » de l’Elysée ?

La veuve du juge tué en 1995 à Djibouti affirme avoir « des preuves écrites » aux « manipulations » orchestrées par l’Elysée pour dédouaner « les personnes mises en cause ».

Ces documents, qui proviennent de la cellule Afrique de l’Elysée, ont été remis aux juges qui avaient tenté sans succès de perquisitionner à l’Elysée le 2 mai 2007.

« Une manipulation qui a été faite au sommet de l’Etat français. » C’est en ces termes qu’Elisabeth Borrel, la veuve du juge Bernard Borrel tué en 1995 à Djibouti, met en cause l’Elysée et l’équipe de Jacques Chirac, qui selon elle a coopéré avec les autorités de Djibouti pour étouffer l’enquête sur le crime. Mercredi, elle a dénoncé « des manipulations » orchestrées par l’Elysée visant, selon elle, à dédouaner « les personnes mises en cause dans l’assassinat de son mari ».

La veuve du juge assassinée, qui est également magistrate, s’est exprimée devant la presse au cabinet de son avocat, Me Olivier Morice, sur le contenu de documents saisis par des juges en août 2008 à l’Elysée et dont Libération a publié mercredi des extraits. « Nous avons maintenant des preuves écrites sur le fait que l’Elysée de l’époque était systématiquement avisé de ce qui se passait dans le dossier criminel de mon mari, mais également des interventions directes de l’Elysée dans ce dossier », a affirmé Elisabeth Borrel. « C’est une manipulation qui a été faite au sommet de l’Etat français. On s’en doutait, maintenant on a les preuves de cette volonté de dédouaner les personnes mises en cause dans l’assassinat de mon mari », a-t-elle ajouté.

L’Elysée perquisitionné dans succès

Ces documents proviennent de la cellule Afrique de l’Elysée, dirigée sous Jacques Chirac par le diplomate Michel de Bonnecorse. Ils avaient été remis en août dernier par son successeur aux juges Fabienne Pous et Michèle Ganascia, qui avaient tenté sans succès de perquisitionner à l’Elysée le 2 mai 2007.

Le juge Borrel avait été retrouvé mort en 1995 à Djibouti, le corps à demi calciné. Djibouti a conclu à un suicide, mais l’enquête française menée à Paris par la juge Sophie Clément privilégie la thèse d’un assassinat. Des témoignages, dont celui de l’ex-membre de la garde présidentielle Mohamed Saleh Alhoumekani, mettent directement en cause le président Ismaël Omar Guelleh et son entourage.

_______________________________ 3 – Rue 89

Affaire Borrel : « Chirac a tout fait pour étouffer les choses »

Par David Servenay

Libération révèle comment l’Elysée a fait pression pour imposer la thèse du suicide. Entretien avec la veuve du juge Borrel.

Quartorze ans bientôt que la justice cherche à savoir comment et pourquoi Bernard Borrel, magistrat détaché au service de la coopération française, est mort, dans la nuit du 18 au 19 octobre 1995, à Djibouti.

Trois dossiers judiciaires sont en cours : celui sur l’assassinat du juge (les expertises ayant prouvé l’impossibilité du suicide), celui sur une subornation de témoins (deux responsables djiboutiens ont été condamnés l’an dernier) et celui sur les pressions sur la justice.

Comme le révèle Libération ce mercredi, l’ancien chef de la cellule africaine de Jacques Chirac, Michel de Bonnecorse, ainsi que l’ancien conseiller juridique du président, Laurent Le Mesle, actuel Procureur général de Paris, ont tout fait pour freiner les juges, afin de privilégier, contre toute vraisemblance, l’hypothèse du suicide. Pour Rue89, Elisabeth Borrel revient sur ces quatorze ans de combat, seule contre l’Etat.

Libération révèle ce mercredi de nouveaux éléments sur les manoeuvres des conseillers de l’Elysée, sous Jacques Chirac, pour étouffer le travail des juges d’instruction qui ont enquêté sur la mort de votre mari. Quel sentiment cela vous inspire ?

C’est presque un sentiment de dégoût, parce que pour moi le président de la République -qui est dans nos institutions le garant de l’indépendance de la magistrature- a en fait utilisé ces informations pour, à partir de 2004 en tout cas, essayer de manipuler les journalistes… pour faire pression et éviter que le dossier aille à son terme.

Quelle manoeuvre vous a le plus choquée ?

Ce qui m’a le plus choqué, c’est la demande de M. Lafaille [ex-journaliste, Chris Lafaille est l’auteur de « Aux portes de l’enfer – L’inavouable vérité sur le juge Borrel », ndlr] à M. de Bonnecorse [chef de la cellule africaine de l’Elysée, ndlr], en lui expliquant le projet de contre-enquête qu’il avait, qui était très clair dans son esprit, en donnant la parole à des gens qui ne l’avaient jamais eue.

On met alors des fonctionnaires à son service, à qui on dit qu’on les lève de tout secret, pour qu’ils puissent parler à cet individu. C’est ce qui m’a le plus choqué : que l’Elysée puisse donner des éléments à un journaliste pour qu’il instruise une contre-enquête sans s’assurer des éléments contraires à ce qu’il racontait et alors que l’Elysée savait parfaitement que c’était une affaire criminelle…

Vous voulez dire que le projet de ce livre, le synopsis, a été validé par la présidence de la République ?

En tout cas, la présidence de la République a apporté une aide et un concours particulièrement efficace au journaliste. Sur le fond, je ne dirai pas que c’est particulièrement efficace, parce que le livre est à mon avis très partial, ce dont je me suis toujours bien gardée. J’ai toujours essayé de garder la tête froide, de réfléchir et d’envisager beaucoup d’hypothèses, ce qui n’est pas du tout le cas de ce journaliste-là.

Un des enjeux était-il que la vérité judiciaire de l’assassinat -qui existe depuis 2002- ne sorte pas du cabinet des juges d’instruction ?

Je pense qu’ils ne voulaient absolument pas que l’assassinat soit démontré et qu’ils ont toujours, toujours nuit à l’instruction. Soit par une instruction partiale et orientée, soit en essayant de nuire aux éléments de preuves qu’on avait de l’assassinat. Il fallait absolument détruire cette vérité.

Dans ces manipulations, il y a aussi des avocats qui sont mis à contribution, à Djibouti et en France…

C’est assez amusant de voir que notamment l’un d’entre eux, entendu dans la plainte pour subornation de témoins, a dit au juge d’instruction qu’il ne s’occupait pas de politique et que dans ce dossier, il était intervenu juste pour accompagner un témoin rédiger une attestation chez un notaire, pour démolir le témoignage d’Alhoumekhani.

Juste avant, il se rend chez l’ambassadeur de France, pour dire que M. Guelleh (le président djiboutien, ndlr) est furieux, que les autorités djiboutiennes sont scandalisées de ce qui se passe en France, que les autorités françaises sont responsables de tout ça. Et deux jours plus tard, cet avocat est à l’Elysée dans le bureau du général Bentegeat (chef de l’état-major particulier du Président, ndlr), pour expliquer que ce témoin vu à Bruxelles est manipulé. Et que des avocats s’occupent « d’organiser la riposte » et notamment maître Szpiner…

Parlons de la subornation de témoins. Deux hauts responsables djiboutiens ont été condamnés l’an dernier. Et aujourd’hui, vous affirmez que le commanditaire de cette opération est le président djiboutien, Ismaël Omar Guelleh…

Nous le savons. Nous avons des documents qui démontrent que maître Martinet s’est beaucoup agité auprès de l’ambassade de France à Djibouti, en expliquant que ce témoin de Bruxelles raconte n’importe quoi… et qu’on allait bientôt prouver autre chose.

On a aussi un courrier de maître Szpiner, du 19 janvier 2000, donc sur les quelques jours entourant la déposition d’Alhoumekhani à Bruxelles. Maître Szpiner écrit : « M. Iftin pourrait utilement être entendu, c’est quelqu’un qui peut coopérer et dire ce qui s’est passé. » M. Iftin est celui qui fera un témoignage contre Alhoumekhani (militaire qui a fait des révélations sur l’assassinat, ndlr) à Djibouti. (Voir la vidéo tournée en mars 2008)

Pourquoi Jacques Chirac, alors président de la République, soutient une telle position ?

J’ai la conviction, maintenant que l’assassinat a été reconnu et que Djibouti n’a pas renvoyé de coopérants, que ce n’est pas le problème des relations en Djibouti et la France. Parce que si c’était ça, il y a longtemps qu’on ne serait plus à Djibouti. Donc, je ne sais pas. C’est une bonne question qu’il faut peut-être aller lui poser à lui.

Allez-vous demander à ce que Jacques Chirac soit convoqué par la justice ?

Il y a déjà pas mal de personnes à entendre avec les éléments que mes collègues de l’instruction ont obtenu. Bien qu’on ait tout fait pour qu’elles n’aillent pas les chercher. Ensuite, je pense que ça serait intéressant d’entendre M. Chirac. Ce que je n’arrivais pas à concevoir, c’est pourquoi M. Chirac voulait à tout prix donner la copie du dossier criminel de mon mari à Djibouti.

C’est quelque chose que je n’arrive pas à comprendre : c’est rare un assassinat de magistrat. Bernard est intervenu dans un dossier terroriste. Et le chef de l’Etat fait tout dans un premier temps pour étouffer les choses. Et s’applique, une fois la vérité de l’assassinat apparue, à mettre à bas cette vérité qu’il ne veut pas voir perdurer. Je ne sais pas dans quel but, je ne sais pas ce qu’il fallait cacher, mais manifestement, mon mari avait eu connaissance de dossiers pas très reluisants.

En juin 2007, Nicolas Sarkozy vous avait donné des assurances en vous recevant à l’Elysée. A-t-il tenu parole ?

Absolument. Il a demandé mon audition à la Cour internationale de La Haye, qu’il n’a pas obtenue car les Djiboutiens s’y sont opposés. Sur le secret défense, il s’était engagé à le lever. Depuis, Mme Clément (juge d’instruction en charge du dossier principal, ndlr) a demandé la levée du secret défense sur certains documents, elle l’a obtenue. Je pense qu’il en reste encore à déclassifier, notamment toute la période 1994-1997.

Quatorze ans après les faits, vous attendez encore quelque chose de la justice française ?

J’attends qu’on aille au bout de ce dossier, parce qu’on a les moyens d’y aller. Il y a beaucoup de Français -et parmi eux des autorités- qui ne parlent pas. Quand on a connaissance d’un crime, chacun doit le dénoncer. Je crois que tous les documents que l’on a maintenant sont quand même très graves au regard de ces faits-là, car on a le sentiment que le chef de l’Etat s’est bien gardé de dénoncer quoi que ce soit et, au contraire, a fait perdurer une version officielle qui était complètement délirante.

A gauche comme à droite, peu de responsables politiques vous ont soutenue, à de rares exceptions près. Vous attendez un sursaut de leur part ?

Ecoutez, soit on est dans une démocratie, soit on n’y est pas. S’il n’y avait pas eu de juge d’instruction, il n’y aurait pas eu de dossier Borrel. C’est une certitude. Quand on voit le temps qu’il a fallu pour que le parquet accepte de dire qu’il s’agit d’une affaire criminelle. Les premières expertises datent de novembre 2002. Le communiqué est du 19 juin 2007. Cinq ans après… en laissant passer plein d’articles sur des mobiles au « suicide » de mon mari, les plus infamants possibles. On a parlé de sa « pédophilie ». C’est dramatique.

Moi, j’ai le sentiment qu’on est encore dans une démocratie. Il faut qu’on y reste et je me battrai pour cela, dans ce dossier là comme dans les autres.

_______________________________ 2 – Libération

Affaire Borrel Révélations sur les manips de l’Elysée

Après le meurtre du juge Borrel à Djibouti, le pouvoir chiraquien met tout en œuvre pour accréditer la thèse du suicide. «Libération» dévoile les cinq hommes clés de ce dossier.

Par GUILLAUME DASQUIÉ

Libération est en mesure de révéler les détails d’un transport judiciaire peu banal. Le 6 août, dans la plus grande discrétion, deux magistrates se présentent à l’Elysée dans le cadre d’une plainte pour des pressions sur la justice dans l’affaire Bernard Borrel – du nom de ce juge victime d’un meurtre non élucidé, en octobre 1995 à Djibouti.

Les juges Fabienne Pous et Michèle Ganascia entendent déterminer la nature des initiatives de la cellule Afrique de la présidence de la République dans ce dossier. En particulier mettre en évidence d’éventuelles interventions politiques pour (dés)orienter les enquêtes sur les circonstances de la mort de Bernard Borrel. Car depuis au moins 2004, les enquêteurs soupçonnent des dignitaires de Djibouti, allié stratégique de la France dans l’océan Indien. De quoi affoler les diplomates et leurs réseaux.

Placards. Les 9 et 10 juillet précédents, Fabienne Pous et Michèle Ganascia ont déjà perquisitionné deux domiciles de Michel de Bonnecorse, le chef de cette cellule Afrique de 2002 à 2007, sans succès (voir ci-dessous). Perspicaces, elles ont contacté le 30 juillet son successeur à l’Elysée, Bruno Joubert, un ex du Quai d’Orsay passé par les services secrets de la DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure). Elles insistent pour obtenir l’intégralité des documents susceptibles de les intéresser et qui seraient classés dans les placards de l’Elysée.

Une semaine plus tard, le 6 août, elles obtiennent gain de cause. De 13 h 10 à 18 h 30, à la présidence de la République, elles saisissent près de 150 pages d’un «dossier Borrel» que la cellule Afrique détenait. Elisabeth Borrel, la veuve du magistrat, que nous avons interrogée, ne cache pas sa satisfaction.

Ce dossier, que nous avons pu consulter en totalité, montre que le pouvoir politique s’est compromis de manière systématique en tentant de privilégier les intérêts de Djibouti, au détriment des intérêts de la justice. Grâce à la complicité de hauts magistrats tels Laurent Le Mesle, devenu procureur général près de la cour d’appel de Paris (voir ci-contre), des diplomates ont pu violer le secret de l’instruction. Avec un objectif constant : tenter de promouvoir la thèse du suicide de Bernard Borrel pour innocenter les Djiboutiens. Un courrier du 17 janvier 2004 de Laurent Le Mesle pour Michel de Bonnecorse signale qu’à cette date leur connaissance du dossier ne laissait pas de doute sur l’origine criminelle de la mort de Bernard Borrel. Quinze jours plus tard, le 3 février 2004, Le Mesle ordonne à la hiérarchie judiciaire un «point complet sur le dossier», pour le compte de l’Elysée.

«Communication». Pourtant, un an plus tard, dans un télégramme diplomatique du 17 octobre 2005, on se félicite que les Djiboutiens «adoptent une nouvelle stratégie de communication» pour contrer «la thèse du crime politique». Contactés par Libération, les avocats d’Elisabeth Borrel, Mes Olivier Morice et Laurent de Caunes, se sont refusés à commenter ces révélations. La veuve du magistrat tiendra pour sa part une conférence de presse ce matin au cabinet de ses défenseurs.

Michel de Bonnecorse, diplomate de carrière de 69 ans, a coordonné les affaires de la Françafrique de 2002 à 2007. Lors du deuxième mandat de Jacques Chirac, il dirigeait la cellule Afrique de l’Elysée. Le 4 septembre, devant les juges Fabienne Pous et Michèle Ganascia, l’ambassadeur a confié : «J’étais le chef de file sur le dossier Borrel puisqu’à 90 % ce dossier était diplomatique.»

Cette audition est intervenue à la suite d’une plainte de la veuve de Bernard Borrel pour faire pression sur la justice. Dans le cadre de cette procédure, le domicile de Michel de Bonnecorse dans les Bouches-du-Rhône avait été perquisitionné un an plus tôt, le 9 juillet 2007. Une visite infructueuse. A l’époque, les magistrats cherchaient à déterminer s’il profitait d’une série de violations du secret de l’instruction afin de sans cesse adapter la thèse du suicide du juge Borrel, pour plaire aux Djiboutiens. Or, quelques heures après la fin de la perquisition, les enquêteurs ont enregistré une drôle de conversation entre son épouse, Danielle de Bonnecorse, et leur fils de 27 ans. Extraits.

Le chef de file de la Françafrique

«C’était impressionnant parce qu’il y a huit personnes qui sont arrivées dans deux voitures […]. Enfin, ils venaient voir si papa avait pas de papiers sur l’affaire Borrel», commence la mère.

– Oui, il n’avait rien du tout, non ? répond le fils.

– Heureusement il avait rien, oui. Rien, il avait tout brûlé.

– Mais tais-toi, arrête de dire ça maman, t’es bête ou quoi ? […] Arrête de parler de ça maman, parce qu’on ne sait jamais. T’es peut-être sur écoute […]. Commence pas à parler de ce genre de truc au téléphone.

– Non.

– C’est tellement sensible ce genre de truc qu’il ne faut pas en parler […]. Bon et donc ils sont repartis bredouilles, mais ils ont fouillé partout ?

– Oui, oui, toute la maison…

– Mais ils sont repartis bredouilles quoi ?

– Oui, bredouilles. Ils étaient gentils, enfin ils étaient… Le procureur était très sympa […]. D’ailleurs, le procureur est du côté de papa. Il le défend.

– Ouais, ils se connaissent quoi.

– Oui.

– Bon bah, c’est bien.»

Le 4 septembre, dans le bureau des juges, Michel de Bonnecorse a été interrogé sur le contenu de cette conversation familiale. Selon lui, il s’agit de propos humoristiques qui ne doivent pas être pris «au premier degré».

Le conseiller justice de Chirac

Laurent Le Mesle, haut magistrat, a joué un rôle qui a rendu possibles les violations répétées de la séparation entre le pouvoir judiciaire et le pouvoir exécutif dans l’affaire Borrel.

Les actes qui prêtent le plus le flanc à la critique remontent à la période de 2002 à 2004, quand il officiait comme conseiller justice du président Jacques Chirac. Comme les documents saisis à la cellule Afrique de l’Elysée le révèlent, ses interventions ont permis aux décideurs politiques de connaître en permanence le contenu de l’instruction du dossier Borrel par la juge Sophie Clément.

En organisant une violation quasi-systématique du secret de l’instruction, il a donné la possibilité aux diplomates français de conseiller les décideurs djiboutiens mis en cause pour le meurtre du juge Bernard Borrel. Ainsi, Laurent Le Mesle assurait une sorte d’interface entre la cellule Afrique et la hiérarchie judiciaire.

En introduction d’une note adressée à Michel de Bonnecorse, le chef de cette cellule Afrique, en date du 17 janvier 2004, il écrit : «Ci-joint la synthèse sur les faits et le dossier de l’instruction Borrel. Tu trouveras en conclusions les perspectives. Elles ne m’apparaissent pas très favorables.» Et pour cause, lesdites «perspectives» invalident clairement l’hypothèse d’un suicide et plaident en faveur d’un meurtre.

La suite du document prouve que Laurent Le Mesle, à cette date, a profité d’un accès exhaustif aux rapports des experts judiciaires. «Les éléments de ces expertises, conclut le conseiller juridique, renforcent l’hypothèse d’une piste criminelle [laquelle vise, notamment, l’entourage du président de Djibouti, Ismaël Omar Guelleh, ndlr].» De quoi rendre fou de rage l’allié djiboutien et inciter l’appareil diplomatique français à lui prêter assistance.

Lors de son audition par la justice le 4 septembre, Michel de Bonnecorse a confirmé que le magistrat accueillait avec bienveillance une telle démarche. Pour lui, Laurent Le Mesle «s’est rendu à l’évidence qu’il s’agissait plus d’une affaire diplomatique que d’une affaire judiciaire».

Laurent Le Mesle est actuellement procureur général près la cour d’appel de Paris, poste qu’il occupe depuis octobre 2006. Dans le cadre de notre enquête, Libération a invité Laurent Le Mesle à réagir à ces informations. Il n’a pas répondu.

L’interlocuteur du parquet

Jean-Claude Marin, l’actuel procureur de la République de Paris, a permis la circulation des éléments du principal dossier judiciaire instruit à Paris. Dans la pratique de l’appareil judiciaire, l’affaire Borrel s’appelle en effet un «dossier signalé». Ce qui signifie que le parquet assure une veille discrète sur le travail du juge et informe la direction des affaires criminelles et des grâces – dépendant du cabinet du ministre de la Justice – des principales évolutions. Si dès janvier 2004, Laurent Le Mesle à l’Elysée a pu obtenir tous les détails de l’affaire Borrel, c’est grâce au concours du seul destinataire des rapports du parquet sur le dossier Borrel, le directeur des affaires criminelles et des grâces. Un poste occupé par Jean-Claude Marin de novembre 2002 à novembre 2004.

L’avocat de Djibouti

Alain Martinet est l’avocat français de Djibouti ami des diplomates. Sur place, ce notable conseille le président djiboutien, Ismaël Omar Guelleh, dans la gestion de l’affaire Borrel. Son nom avait été cité dans une affaire de subornation de témoin. Sans être inquiété jusqu’à ce jour.

Il s’agissait de pressions contre des témoins accusant l’entourage du chef de l’Etat d’avoir orchestré l’assassinat de Bernard Borrel. Dans ce dossier, deux officiels de Djibouti ont déjà été condamnés par le tribunal de Versailles. Parmi les papiers saisis à l’Elysée, les magistrats ont découvert une note du 25 janvier 2000 du général Henri Bentegeat, chef de l’état-major particulier du président Jacques Chirac, montrant qu’Alain Martinet aurait pris plusieurs initiatives pour discréditer ces mêmes témoins gênants. Elisabeth Borrel, la veuve du juge, adressera aujourd’hui une requête au procureur de Versailles pour rouvrir le dossier sur ce point.

Le journaliste

Chris Lafaille, 52 ans, auteur et journaliste, collaborateur régulier de Paris Match, a relancé la thèse du suicide de Bernard Borrel dans un livre paru en janvier 2008. Elisabeth Borrel y voit une manœuvre pour satisfaire les décideurs djiboutiens. A l’appui de ce grief, elle cite une note de Chris Lafaille saisie à l’Elysée, où il expose en octobre 2006 à la cellule Afrique le sujet de son reportage : «L’objet de cette contre-enquête est d’enrayer, au moins temporairement, l’interventionnisme de madame Borrel.» Puis, il demande à l’Elysée de le mettre en contact avec des militaires et des diplomates français en poste à Djibouti au moment du drame. Contacté par Libération, Chris Lafaille s’explique : «Quand j’ai commencé à travailler sur l’affaire Borrel, tous les fonctionnaires refusaient de répondre. J’ai demandé à Michel de Bonnecorse et à Claude Chirac de m’ouvrir des portes. Je me suis jeté dans la gueule du loup pour obtenir des introductions.»

Chronologie

Octobre 1995 : le corps calciné du juge Borrel est retrouvé à Djibouti.

Novembre 1995 : les autorités de Djibouti concluent au suicide.

Décembre 1999 : selon un ancien officier djiboutien réfugié en Europe, le pouvoir de Djibouti a voulu supprimer Borrel.

Janvier 2004 : les expertises des légistes plaident pour un meurtre.

Juin 2007 : pour la première fois en public, le procureur de Paris ne favorise plus la thèse du suicide.

Août 2008 : deux juges saisissent le dossier Borrel à l’Elysée.

_______________________________ 1 – Le Figaro avec AFP

Affaire Borrel : l’État français montré du doigt

Jérôme Bouin

Des documents saisis en 2008 à la cellule Afrique de l’Élysée étaieraient la thèse d’une subornation de témoins destinée à écarter la thèse de l’assassinat du juge, mort en 1995. Sa veuve demande la réouverture d’une enquête.

Elle s’est expliquée mercredi matin au cabinet de ses défenseurs. Elisabeth Borrel, la veuve du juge français Bernard Borrel, mort en 1995 à Djibouti, demande la réouverture de l’enquête pour subornation de témoin ouverte en France après la mort de son mari. Elle s’était conclue par le renvoi devant la justice française de deux proches du président djiboutien Guelleh, condamnés en première instance. Parallèlement à l’enquête criminelle, une autre enquête judiciaire a été ouverte pour «pression sur la justice». Dans le cadre de cette dernière, toujours en cours, des documents élyséens ont été saisis.

Elisabeth Borrel dénonce mercredi «des manipulations» orchestrées par la présidence française, visant, selon elle, à dédouaner «les personnes mises en cause dans l’assassinat de son mari». «Nous avons maintenant des preuves écrites sur le fait que l’Elysée de l’époque (le président était alors Jacques Chirac, ndlr) était systématiquement avisé de ce qui se passait dans le dossier criminel de mon mari, mais également des interventions directes de l’Elysée dans ce dossier», affirme-t-elle.

«La recherche de la vérité» étouffée

Pour appuyer sa demande, Elizabeth Borrel, qui cherche à montrer que son mari ne s’est pas suicidé mais a été assassiné à Djibouti, se base donc, selon une source proche du dossier, sur des documents inédits de l’ex-cellule Afrique de l’Elysée saisis par des juges le 6 août 2008. À cette date, explique Libération mercredi, les juges Fabienne Pous et Michèle Ganascia ont obtenu du chef de cette cellule à l’Élysée, la possibilité d’obtenir l’intégralité des documents susceptibles de les intéresser dans le cadre de l’affaire Borrel. Dans sa demande de réouverture de l’enquête, adressée le 16 mars aux services judiciaires, Elizabeth Borrel explique : «Il apparaît que ces actes d’instruction ont été extrêmement fructueux, montrant combien l’Etat français, à son plus haut niveau, a tout tenté sous la présidence de M. Jacques Chirac pour étouffer la recherche de la vérité».

Dans sa requête, Elizabeth Borrel se réfère à deux documents saisis à l’Elysée, inconnus du juge qui a mené l’enquête sur les deux proches du président Guelleh : un télégramme diplomatique confidentiel du 23 janvier 2000 émanant de l’ambassadeur de France à Djibouti, et une note du chef d’Etat major particulier du président Chirac, le général Henri Bentegeat, du 25 janvier 2000. Ces deux documents font état de démarches d’un avocat français, Alain Martinet, présenté comme un proche du président Guelleh, visant à discréditer le principal témoin à charge du dossier. En plus de la réouverture du dossier, la veuve du juge demande l’audition par un juge de l’avocat, de l’ambassadeur de France à Djibouti et d’Henri Bentegeat.

«Violations de la séparation entre judiciaire et exécutif»

Parallèlement, le quotidien Libération porte, dans son édition de mercredi, de sérieuses accusations sur le rôle trouble qu’auraient joué plusieurs conseillers de l’Élysée sous la présidence de Jacques Chirac, dans le but d’accréditer la thèse du suicide de Borrel. Le journal déplore des «violations répétées de la séparation entre pouvoir judiciaire et exécutif, avec la complicité de hauts magistrats tels Laurent Le Mesle», actuellement procureur général près la cour d’appel de Paris, ancien conseiller juridique de Jacques Chirac entre 2002 et 2004.

Des diplomates auraient ainsi pu violer le secret de l’instruction pour innocenter les Djiboutiens. Est également montré du doigt Jean-Claude Marin, actuel procureur de la République de Paris, à l’époque directeur des affaires criminelles et des grâces, et Michel de Bonnecorse. Ce diplomate a dirigé la cellule Afrique de l’Élysée. Selon Libération, l’enregistrement d’une conversation faite en 2007 à son domicile après une perquisition infructueuse des magistrats, porterait à croire que le diplomate était proche de l’autorité judiciaire et qu’il possédait des documents sensibles, qu’il aurait fait disparaître. Michel de Bonnecorse a démenti