22/06/09 (B504) Les traits de l’Erythrée: la fin du silence radio. Ignoré du reste du monde, l’Erythrée brime impudemment ses journalistes (Slate.fr)

Pourquoi ne parle-t-on jamais de l’Erythrée?

Comment se fait-il que de longs dossiers soient parfois consacrés à la personnalité de Kim Jong-Il, comme celui diffusé dans l’émission «Enquête exclusive» sur M6, tandis que le nom d’Issaias Afeworki n’évoque rien à personne?

Le drame de l’Erythrée est qu’on ne parle pas d’elle. Dans l’indifférence quasi-générale, près de trois millions de personnes sont privées de liberté. De liberté d’entreprise, de liberté de mouvement. Et bien sûr de liberté d’expression. Alors que la Journée mondiale des réfugiés était célébrée ce 20 juin, plusieurs journalistes érythréens en exil viennent de lancer Radio Erena («Notre Erythrée»), une station basée à Paris émettant par satellite en Erythrée. Un projet original qui porte un coup de projecteur sur ce pays et le scandale qui s’y déroule.

Certes l’Erythrée ne constitue pas un enjeu commercial important. Coincé entre le Soudan, l’Ethiopie, Djibouti et la Mer Rouge, ce petit pays africain n’est pas non plus une place géostratégique majeure. Que ce soit dans les domaines intellectuel, artistique ou économique, l’Erythrée ne compte pas de figure mondialement connue, comme peuvent l’être par exemple Aung San Suu Kyi en Birmanie ou Muhammad Yunus au Bangladesh. Il est évident que l’Erythrée ne fera pas demain la Une des principaux journaux de la planète et il y a fort à parier qu’elle ne sera pas davantage inscrite sur l’agenda politique international.

Mais tout de même, un tel désintérêt dérange. Pour Reporters sans frontières, l’Erythrée est une priorité. Pourquoi? Parce que la liberté de la presse y est tout simplement inexistante. De plus, le pays est la première prison d’Afrique pour les journalistes. Au début de l’année 2009, 17 d’entre eux au moins étaient emprisonnés dans le pays. Depuis une nouvelle vague d’arrestations menée en février, quelques dizaines de journalistes sont venus s’ajouter à ceux déjà détenus.

Dans la plupart des cas, leur lieu d’incarcération est inconnu. Beaucoup croupissent dans des containers ou des geôles souterraines. Le principal responsable ?

Le chef de l’Etat.

Hier héros de la libération, aujourd’hui dictateur maniaco-répressif oppressant son peuple, le très autoritaire Issaias Afeworki a progressivement anéanti les espoirs que les Erythréens avaient placés dans l’indépendance de leur pays. En septembre 2001, à l’issue de grandes rafles qu’il avait ordonnées, d’anciens compagnons d’armes, des ministres, et des généraux influents ont été jetés en prison. La poignée de journaux indépendants qui paraissaient à Asmara ont été suspendus. Depuis cette date, toute critique du régime est taxée de « trahison » et condamnée pour « atteinte à la sécurité nationale ».

Pour s’en convaincre, il suffit de regarder l’interview accordée par Issaias Afeworki à un journaliste suédois, fin mai, dans les jardins du palais présidentiel à Asmara, à l’occasion du dix-huitième anniversaire de la libération de l’Erythrée. Le chef de l’Etat érythréen estime que la liberté de la presse n’a aucune signification et qu’il n’existe nulle part dans le monde de média indépendant. Interrogé sur le cas du journaliste suédo-érythréen Dawit Isaac, emprisonné depuis 2001, Issaias Afeworki répond qu’il se «fiche de savoir où il est détenu», que «jamais le journaliste ne sera jugé» et qu’à aucun moment Asmara ne négociera avec le gouvernement suédois sa remise en liberté.

En l’absence d’une presse libre, la population érythréenne n’est informée dans sa langue nationale que par les médias d’Etat, Eri-TV, Radio Dimtsi Hafash (La Voix des Masses) et le quotidien Hadas Eritrea, qui relaient le discours belliqueux et ultranationaliste du régime. Sous l’étroite surveillance du ministère de l’Information, les employés de ces médias sont transformés en fonctionnaires zélés de la propagande gouvernementale.

Aucun écart n’est toléré.

Comme des dizaines de leurs concitoyens fuyant le pays chaque mois, de nombreux journalistes des médias publics ne supportent plus l’étouffoir imposé par le gouvernement et choisissent la route de l’exil. La plupart s’échappent, à pied, au risque d’être arrêtés ou abattus par les patrouilles de gardes-frontières qui ont reçu l’ordre de tirer à vue. Certains peuvent y perdre la vie, comme Paulos Kidane, en 2007. D’autres ont plus de chance. Une fois au Soudan, en Ethiopie ou ailleurs, beaucoup se tournent vers Reporters sans frontières en quête d’assistance, d’aide juridique, ou d’appui en vue d’une demande d’asile. C’est ainsi que l’organisation a soutenu environ une vingtaine de journalistes érythréens en l’espace de trois ans.

Parmi eux, Biniam Simon. Ancien présentateur du journal télévisé sur la chaîne publique, il est le rédacteur en chef de Radio Erena, cette station qui vient de voir le jour à Paris. Réfugié politique en France depuis 2007, Biniam se réjouit de reprendre une activité journalistique et d’être à nouveau en prise directe avec son pays, en contact permanent avec ses concitoyens.

Indépendante de toute organisation politique et de tout gouvernement, Radio Erena propose des bulletins d’information, ainsi que des émissions culturelles, musicales et de divertissement. Elle repose sur un réseau de contributeurs basés aux Etats-Unis, en Italie, au Royaume-Uni ou aux Pays-Bas fournissant des programmes à la rédaction à Paris, qui les diffuse sur le satellite Badr-6 d’Arabsat. L’objectif étant d’offrir aux Erythréens de l’intérieur une information libre, équilibrée et objective sur leur pays.

Soucieux de contrôler l’opinion, le pouvoir érythréen, on l’a vu, ne tolère aucun média privé ni indépendant. Avec la naissance de Radio Erena, cette injustice est en partie réparée.

Akberom Petros
pour Reporters sans frontières