11/08/09 (B511)  FreeDjibouti – > ‘L’autre face cachée de la crise politique djiboutienne : le tribalisme’

J’aborde ici un sujet délicat, sensible, mais combien important en tant que facteur pouvant expliquer la complexité du problème politique djiboutien. On pourrait ‘fermer’ les yeux sur ce facteur en donnant beaucoup d’exemples liés aux relations interpersonnelles ou à des collaborations entre hommes politiques ou encore en voyant la composition des partis politiques. Mais en réalité, certains le savent, le tribalisme est présent dans les esprits lorsqu’il s’agit de pouvoir, d’alternance, d’élection présidentielle…

D’où cette épineuse question : Alternance démocratique ou alternance ethnique ?

Merci de ne pas voir dans tout ce qui suit, ni une provocation ni une atteinte personnelle ou partisane. Ce que vous lirez n’est pas un genre de combat larvé que mènent en particulier des leaders politiques de l’opposition.

Ceci est plutôt une contribution pour préparer et éveiller les consciences à l’instauration d’une véritable démocratie à Djibouti. Je pourrais me tromper sur les faits ou mal les interpréter. Je fais une tentative pour faire comprendre la complexité de la crise politique djiboutienne en générale et surtout de l’opposition.

D’autres personnes plus compétentes peuvent continuer sur ce sujet pour bien déchiffrer ce poison « semé » par les colonisateurs pour leurs profits et que nous n’arrivons toujours pas à s’en débarrasser malgré nos palettes d’intellectuels et politiciens Djiboutiens.

Environnement dans lequel débuta le processus démocratique

Si les mouvements en 1992 visaient la démocratie, on ne peut affirmer que cela a été perçu comme telle d’une part par tous ceux qui participaient à ces mouvements et d’autre part par ceux qui se sentaient visés par ces mouvements.

Dans certaines têtes, on croyait que ces mouvements étaient une sorte de revendications des gens d’une certaine région ou ethnies du pays. Et pourtant, il semble que la première perception de la démocratie qu’avaient les gens soit restée. Cette perception a crée dans les cœurs du tribalisme pur et dur.

Combien de Djiboutiens comprenaient réellement la démocratie lors de ces mouvements libres (début du multipartisme à Djibouti) ?

Du fait des carences de notre système d’éducation et des conditions économiques difficiles, ils sont nombreux à n’avoir pas reçu la formation de base qui leur aurait permis de mesurer les enjeux de la démocratie et de ne plus la percevoir comme un outil de vengeance après tant d’années d’injustice, de brimade à caractère ethnique !

Plus grave, cette conception telle une tare était partagée par ceux qu’on désigne souvent comme « intellectuels » et cela a engendré une lutte voilée, sous couvert de partis politiques, pour la conservation du pouvoir à n’importe quel niveau de la société. Les gens étaient plus préoccupés par la question : « Il est de quel tribu » que par la question : « Fait-il bien son travail ? ».

Étant donné cette perception de la démocratie dans les différents camps, on n’était ahuri de voir les gens adhérer à de tels ‘mouvements de revendication’. C’était un sacrilège ! On était prêt à vous traiter comme un paria. Vous devenez un traître. Partager les vues ou rejoindre « ces opposants » était vu comme une haute trahison et on était prêt à vous dénigrer ! Ailleurs, dans d’autres camps, on disait ouvertement que l’heure a sonné de faire obstacle pour boucher la voie et empêcher ‘ces gens’ qui se sont accaparés le gâteau national !

Sans aucun doute La démocratie a été mal perçue au départ dans la majorité des couches sociales.

Nuance

Il est important de souligner que le Djiboutien n’est pas, à priori, tribaliste.

Quels que soient les défauts individuels que certains relient aisément à l’ethnie, il est agréable de constater l’accueil dont vous jouissez auprès des populations dans toutes les régions du pays. Mes propres relations interpersonnelles et bien d’autres témoignent de cette absence de considérations ethniques dans le cœur du Djiboutien en général.

Mais, lorsque l’on parle de pouvoir, d’alternance ou d’élection présidentielle, les esprits changent. La méfiance s’instaure dans les têtes. Le tribalisme notoire des uns et des autres est donc dû à une mauvaise conception de la démocratie.

Qui parle d’alternance parle de démocratie.

Peut-on lier le problème d’alternance au pouvoir à la mauvaise perception de la démocratie ?

Je réponds sans hésiter oui. Cependant, notons que le problème d’alternance peut-être également lié au fait que le RPP ait peur de ne plus reconquérir le pouvoir une fois perdu par les urnes. Ce problème peut aussi s’expliquer par la perception que certains ont de la démocratie. La complexité du problème politique djiboutien semble donc avoir pour fondement, en partie, le tribalisme engendré par la mauvaise compréhension de la démocratie. Il y a crise politique à Djibouti du moment où la démocratie telle que le souhaite la majorité des Djiboutiens peine à être une réalité. La complexité de cette crise pourrait s’expliquer par cette compréhension erronée de la démocratie.

La responsabilité engagée des Politiques

Il y a des faits qui portent à croire qu’effectivement certains Djiboutiens au moment de la « démocratie » cherchaient également une sorte de justice tribale et régionale. Pour ces Djiboutiens, la démocratie devrait signifier la fin du règne «d’un clan» et aussi une chasse de tous ces « incompétents » qui peuplent les différents secteurs de l’administration djiboutienne. Ces propos apparemment anodins engendrent des considérations tribalistes dans les têtes des uns et des autres.

Pendant longtemps, j’ai ressassé la question de savoir Pourquoi certains Djiboutiens réclamaient t-ils une sorte de justice régionale et ethnique en 1994 ?

Pourquoi voyaient t-ils en la démocratie une solution pour « stopper » une inégalité régionale ? Y avait-il discriminations à caractère tribal et régional ?

Une autre question qui vient à l’esprit en abordant ce sujet est de savoir si le Président Gouled était tribal dans sa gestion dans les affaires du pays? Bien que la réponse à cette question puisse paraître évidente pour certains, à cause des mentalités actuelles, je la trouve hautement sensible ! Pourtant, il faut à un moment donné dire ce qu’on n’en pense, se forger sa propre conviction de l’homme.

La réponse à cette question pourrait être fausse mais se prononcer là-dessus ne peut faire d’un individu un ennemi ou appartenant à un camp donné. C’est cela aussi la liberté d’expression de nos démocrates !

Feu Gouled avait, sans aucun doute, un souci d’équilibrage régional dans la gestion du pays. Ceci est facilement observable. Bien qu’étant préoccupé par le souci d’égalité régionale, on peut penser qu’il était, subtilement et foncièrement tribaliste.

La raison étant ses critères purement subjectifs dans les nominations des ‘Issas et surtout Mamassan (j’emprunte l’expression) à des hauts postes de responsabilité tant dans l’armée et dans les fonctions civiles. Certains pensent que ces critères subjectifs sont fondés sur du tribalisme. A ceux qui disent que cette élite à le mérite de sa place, on répond maladroitement : « Sont-ils les seuls si méritants dans un pays de quelques centaines de milliers d’habitants ? ».

Certains Djiboutiens disent que ce tribalisme camouflé du Président Gouled s’expliquait par sa volonté de faire, à un moment donné de l’histoire, la promotion de l’élite de son clan malheureusement au détriment des autres ethnies. Certains ont donc vu de l‘injustice dans ses desseins inavoués. Et je crois beaucoup de Djiboutiens ont été témoins ou se sont senti victimes de ces injustices à caractère tribal. Tant que les critères utilisés dans la gestion du patrimoine national ne sont pas objectifs et clairement définis, on n’est en droit de penser au tribalisme.

Je ne rentrerai pas dans le faux débat de savoir qui de Gouled ou Ali Aref était plus tribaliste. J’avoue que je connais plus du Président Gouled que de Ali Aref. Néanmoins, on le sait aujourd’hui, Ali Aref n’était pas un ange comme voudraient le ‘canoniser’ certains.

Le règne sanguinaire de Ali Aref a favorisé les Afars du pays et a connu des dérives dictatoriales notoires et ses propos peuvent parfois s’assimiler à du tribalisme. Pareillement, feu Président Gouled a commis des fautes en tant qu’homme politique à la tête de Djibouti. A cause de sa longévité au pouvoir, il a probablement fait pire que Ali Aref.

Tout le monde sait qu’à l’étranger ce n’est pas tellement le courant entre Djiboutiens à cause parfois de ces clivages ethniques au pays. Assurément, on peut affirmer que Gouled à une part de responsabilité dans la division observée auprès de certains Djiboutiens au pays et parfois dans la diaspora. Ne pas admettre ces vérités flagrantes serait faire preuve de mauvaise foi et d’une compréhension puérile, émotionnelle vis-à-vis de l’histoire et de la réalité politique djiboutienne.

Pour ce qui de Guelleh, il est dans le chemin de la continuité de cette politique tribale en version III.

Une perspicacité pour en parler

Je pense qu’il n’y a aucun mal de parler ou de dénoncer des pratiques qui engendrent des divisions dans la société djiboutienne. Néanmoins, j’ai noté qu’en parler franchement tend non pas à résoudre le problème mais à renforcer davantage ce clivage. En fait, lorsque les gens en parlent, on le perçoit comme une menace et non comme une éducation.

On devrait dénoncer, en parler dans un esprit d’éducation. C’est dans cette perspective que je trouve lamentable certains écrits parmi nos leaders politiques.

Au-delà du coté excessivement personnel qui caractérisent leurs ‘billets’, je trouve qu’ils dénoncent des faits avérés mais malheureusement non pas dans l’intention d’éduquer ceux qui se retrouvent derrière cette perception erronée de la démocratie.

Le défi de la nouvelle génération de Djiboutien qui percevrait la démocratie comme il se devrait serait de résoudre cet énorme problème de communication au niveau des couches sociales de toutes les régions du pays et de la diaspora djiboutienne partout dans le monde. Je suis toujours mal à l’aise qu’on soit obligé de se voir en « frère» des individus d’une même région. Le concept de « frère » doit être vu autrement.

Tout Djiboutien est mon frère.

Le travail d’explication, de sensibilisation incombe à tous les djiboutiens. Je serai heureux de voir un Djiboutien d’une région aller expliquer ce qu’est la bonne conception de la démocratie dans une autre région. Tout Djiboutien est bien placé pour faire ce travail. surtout les leaders politiques et les intellectuels !

Absence d’une Nation djiboutienne

Beaucoup s’accordent à reconnaître aujourd’hui qu’il n’y véritablement pas une nation djiboutienne. Selon la conception ‘moderne’, une Nation serait un groupe d’individus liés volontairement par une « solidarité de sacrifices » pour la réalisation de buts communs. Cette définition de la nation fait clairement entrevoir que l’on peut avoir un appareil d’Etat sans Nation. L’Etat djiboutien existe bien mais sans encore une nation. Ni l’indépendance ni encore moins le petit moment de la démocratie n’a jusqu’à présent permis de bâtir une véritable Nation.

Quand à l’avenir, je suis très très pessimiste tant que certains leaders des partis politiques de l’opposition continuent inconsciemment ou volontairement la même politique tribale qu’ils combattent.

Alternance démocratique ou alternance ethnique ?

La mauvaise perception de la démocratie qui prévaut dans les mentalités jusqu’à aujourd’hui permet de se poser cette question : Rechercherait-on de l’alternance démocratique ou ethnique à Djibouti ? Je crois que bien que cela ne se dit pas ouvertement, sauf dans certains milieux fermés, beaucoup de politiques pensent plus à une alternance ethnique que démocratique ! Et ce penchant est parfois partagé dans certaines couches de la population djiboutienne du pays et de la diaspora. Cette vue est purement anti-démocratique et montrent comment certains politiques ou soi-disant intellectuels pensent une chose et disent son contraire.

J’ai été surpris des écrits séparateurs de certains sites politiques djiboutiens. Même si c’est une réalité revendiquée par certains leaders, c’est à mon avis contradictoire au message de rassemblement prôné dans leur programme politique. Certains leaders politiques pensent donc l’alternance au pouvoir de façon ethnique et mettent stratégiquement en avant une alternance démocratique de façade.

Est-ce moi qui comprends mal la démocratie ?

N’est-ce pas le pouvoir du peuple par le peuple ? Doit-on éduquer le peuple à vouloir une alternance ethnique ou démocratique ? En démocratie, n’appartient-il pas au peuple seul de choisir ses dirigeants sur la base de sa foi dans le programme de société des candidats ? Doit-on inciter le peuple à penser à une répartition équitable des pouvoirs politiques et économiques en fonction de sa tribu.

Une anecdote :, quel est le message politique dont a voulu passer Daf au forum du Canada lors de son intervention (audio) émis à l’occasion du 27 juin 2009 en excluant feu Hassan Gouled de la longue liste des hommes qui ont combattu pour l’indépendance. Tribalisme quant tu nous tiens !

(Lien du message audio :

Chers compatriotes de l’opposition, comment pourrez-vous menez au sein de vos partis la même politique tribale de Guelleh dont vous combattez farouchement depuis des années ???? Peut être était-ce le point de la crise politique de l’opposition.

Il est franchement triste que ce que les leaders politiques de l’opposition dont je respecte beaucoup leurs engagements écrivent sur leurs sites, ils le pensent vraiment. Je dirai, à mon avis, que bien que ces messieurs soient capables de citer théoriquement les éléments indispensables pour une démocratie, ils perçoivent malheureusement mal la démocratie (je ne pense pas) soit ils le font pour influencer et amener à eux beaucoup plus de sympathisants attirés par ce genre de discours. Cette dernière est une façon de penser qui est décidément une tare chez certaine soi-disant élite djiboutienne et africaine en générale.

Le peuple devra choisir son président sur la base de sa confiance dans le programme du candidat et non sur la base de son appartenance ethnique ou régionale !! Si le peuple devrait se baser sur une quelconque alternance ethnique, qui serait élu à Djibouti ? Qui serait le perdant ? Un Afar, un Arabe, un Gadabourci, un Issak, un Issa…… je vous laisse deviner.

Commencer à éduquer et préparer le peuple et surtout la diaspora djiboutienne à faire un choix de ses dirigeants sur des bases démocratiques doit être la vision des partis politiques et intellectuelles! Et c’est maintenant.

La méritocratie que devrait rechercher la lutte démocratique

Que ce soit au niveau de l’armée, de l’administration publique ou à n’importe quel niveau de la société, la lutte démocratique devrait chercher à mettre en place des critères objectifs pour offrir une chance égale à tout Djiboutien. On ne peut bâtir durablement une Nation sur du favoritisme ou sur des considérations ethniques.

La méritocratie dans la société djiboutienne doit être ce que les démocrates recherchent. S’il est vrai que des personnes ont accédé à des postes de décision sur une base tribale, la lutte démocratique devrait se préoccuper plus de leur compétence à ces postes et moins de leur origine ethnique tout en veillant qu’à l’avenir l’allocation des postes de responsabilité soit faite sur une base objective et transparente à tous les citoyens et non sur des bases tribales.

La démocratie créant un environnement concurrentiel, on ne serait accepter à terme que des gens dont l’incompétence serait notoire puissent occuper des postes alors que le pays regorgerait de personnes plus compétentes. Ce n’est donc pas dans un esprit de démocrate que des personnes évoquent souvent le fait que l’administration publique ou l’armée soit tribale ! Cela ne contribue pas à l’instauration d’une véritable démocratie dans le contexte djiboutien.

Bâtir une Nation djiboutienne

Il n’y a, à mon avis aucun signe de faiblesse, ni honte à reconnaître les erreurs du passé. Pour ceux qui souffrent d’un complexe de supériorité, il est important de rappeler que tout homme, tout système est faillible et le reconnaître en vue de se corriger n’a jamais été une faiblesse.

A mon avis, ni Gouled que certains adulaient, ni Guelleh que d’autres idolâtrent et sont prêts à défendre au prix de leur vie, n’ont pas su bâtir une Nation telle que définie plus haut. Ce travail revient donc à la nouvelle génération de politicien Djiboutien et les intellectuels qui doivent comprendre les erreurs du passé et poser des actes politiques courageux en vue de l’édification d’un Djibouti réellement démocratique.

Merci à Dieu de ce que je rencontre et lis parfois cette « race » de Djiboutien qui comprennent ce que devrait être la démocratie dans un pays tel que le notre. J’en rencontre qui partagent cette conception de la démocratie à Djibouti. Il y a donc de l’espoir.

Pour ma part, qu’importe la personne qui arrivera au pouvoir par la voie honorable. Ce qui compte c’est d’obtenir sa légitimité auprès du peuple et non d’ailleurs. Mon désintéressement de l’ethnie de cette personne se justifie par la foi que j’ai dans les institutions républicaines de mon pays. Nous avons des institutions et des lois à Djibouti (pourvu qu’elles fonctionnent bien !). Et la foi dans ces dernières devrait éloigner la peur fallacieuse de l’alternance au pouvoir par la voie tribale.

L’alternance pour une alternance…. tribale ne veut rien dire et sera une suite de la politique de Ali Aref (version I), Gouled (version II), Guelleh (version III) qui nous mènera à la version IV.

Non décidément, le tribalisme n’a pas d’avenir. Ou bien les populations djiboutiennes se rassembleront autour d’une idée et d’une volonté nationale fortes ou bien le pays continuera à stagner dans ses querelles tribales sans issue.

Les grandes démocraties européennes ont parcouru un chemin identique. A partir de diversités régionales, elles ont réussi à faire subsiter à la fois le sentiments et les cultures locales avec la fierté d’appartenir à une nation unie et ayant des objectifs collectifs et communs. (Exemples : la France, avec ses "tribus", bretons, alsaciens, basques, … mais aussi l’Italie avec ses régions ou l’Allemagne avec ses land ..). Le chemin a certes été long et parfois douloureux, mais les résultats obtenus justifient les sacrifices …

A bon entendeur, lisez bien entre les lignes.

Djiboutiennement

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