27/09/09 (B518) A lire sur Bakchich cette semaine (Info lectrice) Poubelle la vie, de lItalie à la SomalieLove Boat / mercredi 23 septembre par Enrico Porsia (amnistia.net)
Lien avec l’article original : http://www.bakchich.info/Poubelles-la-vie-de-l-Italie-a-la,08745.html
Le trafic de déchets toxiques mis au jour en Italie déborde bien au-delà de la Méditerranée. Et le lucratif commerce des bateaux-poubelles a prospéré jusquen Somalie.
La confession de Francesco Fonti, le membre de la ndrangheta qui a révélé que lorganisation mafieuse avait coulé des bateaux chargés de déchets toxiques en Méditerranée (nos éditions du 22 avril et du 17 septembre), se poursuit. « Il y a eu bien dautres naufrages, au moins trente. Les bateaux ont été coulés au large de la Calabre, mais aussi devant La Spezia et Livourne » » a précisé Fonti au procureur Bruno Giordano. Le « repenti » a en aussi affirmé que « différents acteurs politiques » seraient impliqués dans le trafic des déchets. Un trafic international.
« Je me suis rendu personnellement en Somalie en 1993 pour superviser un chargement de déchets toxiques », a précisé lancien membre de landrangheta.
En 1994, justement en Somalie, à Mogadiscio, 2 reporters de la télévision italienne furent assassinés : Ilaria Alpi et Miran Hrovatin. Ils enquêtaient sur le trafic de déchets toxiques. Une commission denquête parlementaire avait été créée pour élucider le meurtre des deux journalistes. Entendu, Gianpaolo Sebri un acteur du trafic de déchets, qui collabore depuis quelques années avec les magistrats italiens, avait déclaré : « Je ne sais pas combien de déchets ont été envoyés en Somalie. La Somalie était devenue une nouvelle poubelle, et aussi le pays de destination de plusieurs cargaisons darmes. Je sais que ces affaires pouvaient se réaliser grâce à lengagement des mafieux qui garantissaient la protection. Je sais que les Calabrais étaient très intéresses par la Somalie ». La Somalie, un pays au carrefour des trafics selon ce quavaient vraisemblablement découvert, les journalistes Ilaria Alpi et Miran Hrovatin.
La Somalie, décharge toxique contre armes à feu
![]() Voici le protocole daccord signé en 1987 qui est à lorigine du “Projet Urano”. Il sagit de lécoulement de déchets industriels toxiques provenant des pays industrialisés, principalement des USA, dans un énorme cratère naturel qui se trouve au Sahara Occidental. Cet accord a été signé par Nickolas Bizzio et Luciano Spada (homme de confiance de lancien Premier ministre italien, le socialiste Bettino Craxi) pour la société Instrumag et par Guido Garelli en tant que représentant de lAdministration Territoriale du Sahara et de la Compania Minera Rio de Oro |
« Ilaria Alpi a touché au secret le plus jalousement caché en Somalie. La décharge de déchets payée avec de largent et des armes », écrivit, dans une lettre adressée aux journalistes Barbara Carazzolo, Alberto Chiara, et Luciano Scalettari de Famiglia Cristiana , Guido Garelli, condamné à une peine de 14 ans pour escroquerie et recel. Il parle en connaisseur.
En effet Guido Garelli est à lorigine du projet « Urano », une opération denvergure qui prévoyait « lenvoi dune grande quantité de déchets dans un énorme cratère naturel qui se trouve dans le Sahara espagnol », comme le précise Gianpiero Sebri. |
Sebri affirme quil existe une organisation très structurée en Italie, avec des ramifications dans toute lEurope. A sa tête, selon Sebri « il y avait Nickolas Bizzio. Il était le chef du groupe grâce à ses entrées internationales ». Nickolas Bizzio est un richissime homme daffaires italo-américain résidant à Monaco. Il nest pas très connu du grand public mais nous lavions « croisé », dans lextrême sud de la Corse, sur lîle Cavallo. Sa luxueuse villa est située juste en face de celle de son ami le prince Vittorio Emanuele de Savoie. |
![]() En 1992 a été signée à Nairobi, Kenya, cette “lettre dintentions” classée “réservée” sur papier à en-tête de lAdministration Territoriale du Sahara. On peut y lire : “Les rencontres et les conversations que nous essaierons davoir et de conduire, avec luvre irremplaçable du Consul de Somalie en Italie, le professeur Ezio Scaglione, porteront sur la possibilité de développement du Projet Urano, pour la partie déjà connue, dans la Corne dAfrique ” Le “Projet Urano”, initialement destiné à écouler des déchets toxiques dans le Sahara Occidental, est “exporté” dans la Corne dAfrique. Ce document est signé par Guido Garelli, pour lAdministration Territoriale du Sahara, par Ezio Scaglione, consul de Somalie en Italie, et par Giancarlo Marocchino, entrepreneur italien vivant en Somalie. |
Les aventures de Berlusconi en Somalie
Sebri raconte que lors dune réunion de travail, qui se déroula à Milan pendant le printemps 1994, un homme des services secrets italiens, en parlant des « affaires » en Somalie, lui affirma « Nous avons arrangé cette journaliste communiste ». Ilaria Alpi et Miran Hrovatin venaient dêtre assassinés.
Depuis les années 80, le magistrat italien Carlo Palermo enquêtait sur un trafic international darmes et de drogue, dont la péninsule italienne figurait comme un centre névralgique important. Au cours de son enquête, Carlo Palermo eut aussi loccasion dinterroger le « frère » de la loge P2 Giovanni Nistico, qui occupa la fonction de responsable du service de presse de lancien président du Conseil italien Bettino Craxi. Nistico déclara au juge que lancien patron des services secrets italiens, le général et « frère » de la loge P2 Santovito, lui avait longuement parlé de la Somalie et, plus particulièrement, de ses intérêts en Somalie.
« Berlusconi aussi, toujours selon ce que ma confié Santovito », affirma Nistico au magistrat, « était intéressé à avoir une présence commerciale en Somalie ». (Commission denquête parlementaire sur la loge P2, volume 7, tome 4).
Le juge Palermo fut contraint dabandonner son enquête. Le 2 avril 1985 il fut visé par un attentat à la voiture piégée, bourrée dexplosif. Le magistrat eut la vie sauve, mais un passant ainsi que ses deux fils furent tués par lexplosion.
« Vous rappelez-vous les noms de certaines sociétés utilisées par votre organisation ? »
A cette question, posée par nos confrères de Famiglia Cristiana, Sebri répond sans détours : « Pour les trafics avec Haïti, la société Bauwerk, dont le siège est au Liechtenstein et une filiale est au Liberia, fut utilisée. Pour le projet Urano, il a été utilisé la société Instrumag, et pour dautres affaires la société Bidata, dont le siège est à Lugano. Je suis lun de quatre associés de lInternational Waste Group Europe, IWG Europa.
Cette société dont le siège est à Dublin a lexclusivité pour toutes les expéditions au départ du vieux continent. Il existe aussi deux autres sociétés qui opèrent [toujours dans lécoulement des déchets toxiques, NDLR]. Il sagit de IWG Argentine et de lIWG Mozambique ». Pour ce qui concerne lIWG Europe, les autres associés de Sebri sont Luis Ruzzi (directeur dune clinique privée à Rome et consultant de lambassade argentine en Italie), le financier Diego Colombo et Nickolas Bizzio, lhomme daffaires italo-américain, qui selon Sebri était le véritable chef de lorganisation « grâce à ses connaissances importantes, même si elles sont dangereuses ».
Les bons plans de la ndrangheta
Il est vrai que Nickolas Bizzio fréquente beaucoup de monde. Très proche de lancien membre de la loge P2 Vittorio Emanuele de Savoie, il a aussi ses entrées dans la haute société monégasque, pays où il est résident. Mais les fréquentations de Bizzio ne sarrêtent pas dans les luxueuses et discrètes demeures de la principauté. En effet, toujours selon Sebri, Bizzio entretient aussi des rapports avec le trafiquant darmes international Mozner Al Kazar.
« Je lai connu à loccasion des tractations concernant le Mozambique. Il ma été présenté comme larmateur qui devait fournir les navires pour le transport des déchets. Je ne lai vu que pendant une demi-heure, mais je ne savais pas vraiment qui il était », confirme Bizzio lors dune interview accordée à Famiglia Cristiana en octobre 2000. Pourtant, dans la même interview, lhomme daffaires sempresse de démentir toutes les déclarations faites par Sebri à son encontre. A commencer par lenvoi de déchets toxiques au Mozambique : « Il sagissait dune hypothèse de travail. Il na jamais été possible de faire quoi que ce soit, car les normes pour lexportation de déchets sont telles, de nos jours, quelles rendent la chose impossible dun point de vue financier ».
Des bateaux à 50 millions
« – Mais vous, monsieur Bizzio, vous êtes-vous déjà occupé de déchets toxiques ? lui demandent nos confrères de Famiglia Cristiana.
Jaurais aimé le faire. Savez-vous combien dargent on gagne dans des affaires pareilles ? Chaque bateau, selon sa cargaison, peut valoir jusquà 50 millions de dollars de bénéfice net.
Vous paraissez désolé lui glissent nos confrères.
Bien sûr, je suis un homme daffaires et jai essayé dagir dans ce domaine dans la légalité, sans jamais conclure quoi que ce soit, malheureusement, et même en y perdant de largent.
Cest quand même singulier quun homme daffaires de ce niveau se soit intéressé autant à un secteur économique si spécifique, celui de lécoulement des déchets toxiques, sans jamais arriver à concrétiser quoi que ce soit » sinterrogent les journalistes italiens
A partir du 25 novembre 1997 jusquau 25 juillet 1998, à la suite des déclarations du “repenti” Sebri, le magistrat milanais Romanelli a autorisé une opération dinfiltration. Et voici les résultats des différentes écoutes réalisées par les fonctionnaires de la police judiciaire italienne. Le 18 septembre 1997, par exemple, les fonctionnaires de la PJ italienne écrivent : « Bizzio, pendant le déjeuner au restaurant raconte son expérience dans le domaine de lécoulement des déchets toxiques en faisant référence à Haïti, à la Guinée et aux déchets toxiques provenant des bateaux ».
Enregistré à son insu, il dit textuellement « cinq cents mille tonnes, 100 dollars par tonne il y a sept ans ils envoyaient 10 navires de 50.000 tonnes » Quelques semaines plus tard (le 9 octobre 1997), Bizzio se fait une gloire de souligner : « Il y a quelque chose quil faut comprendre, moi dans ce secteur jy suis depuis plusieurs années, jai été lun des tous premiers, des tous premiers ».
La nature soccupe de tout recycler
Le 7 novembre 1997 une note de la PJ fait état que « dans le contexte de la typologie des déchets à envoyer à Maputo [au Mozambique, NDLR], Bizzio fait allusion à des matériaux nucléaires et lui-même affirme : « Sil arrive quelque chose, nous avons imaginé de couler le navire, dans le sens quil y aurait une tempête, comme par hasard » » Le 7 novembre 1997, Bizzio parle du continent africain : « Il y a des pays en Afrique où on pourrait envoyer tout ce quon veut , car cest la nature même qui soccupe de tout recycler cest la nature même, le degré dhumidité, la chaleur, les mouvements de la terre, des sables Cest la nature qui pense à les avaler [les déchets toxiques, NDLR], il ny a même pas besoin de construire des infrastructures [de recyclage, NDLR] ».
Mais quà cela ne tienne, Nickolas Bizzio, maintient sa position : il aurait bien voulu « conclure quelque chose » . Mais, malheureusement, le destin en a décidé autrement. Cest étrange, le destin.