02/10/09 (B518) L’Express / Chez Arjowiggins, enquête sur l’affaire du papier-monnaie (Cf aussi notre article précédent)

Par François Koch,

Un des leaders mondiaux, Arjowiggins, poursuit un ex-cadre de sa sécurité. Vol de feuilles de billets ou règlement de comptes ? Récit d’un imbroglio judiciaire.< Voleur ! Mythomane ! Paranoïaque ! » Le 22 septembre, dans l’étrange salle d’audience cylindrique du tribunal correctionnel de Meaux résonnent de fielleux noms d’oiseaux. La cible : Bruno Mercier, accusé de vol et d’abus de confiance. Malgré les apparences, l’histoire n’est pas banale. Mercier, responsable sûreté de l’usine de Crèvecoeur d’Arjowiggins Security, à Jouy-sur-Morin (Seine-et-Marne), est accusé d’avoir subtilisé trois feuilles de papier fiduciaire prêtes pour l’impression de 60 billets de 20 euros chacune. Pour les secrets qu’il contient, le butin représenterait une énorme valeur pour des faussaires !< « Mercier a disjoncté, trop flatté de fréquenter les cadres dirigeants du n° 2 mondial du papier, fort de 8 000 salariés, déclare Me Bruno Mathieu, pour Arjowiggins Security. Cet ancien militaire vaut mieux que son scénario rocambolesque et fantasque, digne d’un roman d’espionnage. » L’adjudant-chef Mercier, qui s’est reconverti dans le privé après vingt-quatre années comme sous-officier parachutiste, a lui-même porté plainte contre X : ce responsable habilité « sécurité confidentiel défense » affirme avoir trouvé une feuille de billets de 20 euros sous le tapis de sol de son automobile. Une manoeuvre, soutient-il, destinée à l’évincer de l’entreprise. Il est d’ailleurs licencié quelques semaines plus tard, en mai 2007, pour faute grave, donc sans indemnités, et il a saisi les prud’hommes.< « Arjowiggins a voulu se débarrasser à peu de frais d’un responsable sécurité jugé un peu trop scrupuleux, accuse son avocat, Jean-Marc Fédida. Mercier reprochait à sa direction notamment de ne pas incinérer les chutes de papier-monnaie, mais de les jeter dans une benne à ordures, en violation des règles de la Banque centrale européenne. »

Réplique du papetier : Mercier voit des complots partout. Il avait même chargé un privé de faire des recherches sur un salarié soupçonné de recevoir des pots-de-vin de la part de clients. En vain. « J’ai fait faire cette enquête à la demande du directeur général », se défend l’intéressé. « L’adjudant-chef Mercier est payé pour ça, explose Fédida. Il est même habilité par la DST ! »< L’ancien para a-t-il donc volé les trois feuilles de billets de 20 euros ? Il en avait dans son bureau et a été vu quittant l’entreprise avec un carton, accuse Arjowiggins. « C’est vrai, mais j’ai détruit ces papiers au sein de l’entreprise », rétorque Mercier.< Le parquet critique… le parquet< « Je ne requiers pas sur la culpabilité, il faudrait un complément d’information, déclare la représentante du procureur de la République, à la surprise générale. Je bats ma coulpe : il faudrait vérifier la traçabilité des feuilles de papier-monnaie, leur destruction, auditionner des salariés d’Arjowiggins et organiser des confrontations. » Un véritable coup de théâtre judiciaire !

Le ministère public critique l’enquête préliminaire dirigée par… le ministère public, puisque, dans cette affaire, le parquet n’a pas confié l’affaire à un juge d’instruction. Un vrai cas d’école pour les opposants à la suppression des magistrats instructeurs, chère à Nicolas Sarkozy.< Cette autocritique du parquet offre en tout cas un boulevard à Jean-Marc Fédida pour étriller l’enquête, qualifiée de fiasco. La feuille de papier-monnaie découverte dans le véhicule de Mercier n’a, par exemple, singulièrement pas été conservée par la justice ! « Je demande un supplément d’information ou une relaxe », conclut Fédida. Décision du tribunal correctionnel de Meaux le 20 octobre 2009.