13/10/09 (B520) Le Temps (Ch) «L’aide humanitairene fait que nourrir la guerre»

Stéphanie Braquehais

L’assistance humanitaire du Programme alimentaire mondial (PAM), sous-traitée à une poignée d’entrepreneurs locaux à cause du grand danger que courent les travailleurs étrangers, serait détournée par les milices islamistes du groupe Al-Shebab

«Ici, l’aide humanitaire, on l’appelle le robinet. Le problème, c’est qu’il est rempli de trous, et ce qui arrive à la population n’est plus qu’un mince filet d’eau!» Ce constat cynique dressé par Mohammed, un habitant de Mogadiscio, ancien employé d’une ONG internationale, commence à se répandre au plus haut niveau, parmi les bailleurs de fonds, de plus en plus préoccupés par des allégations de détournement de l’aide alimentaire, dont pourraient bénéficier les milices islamistes extrémistes Al-Shebab. Ceux-ci mènent une guérilla acharnée contre le gouvernement de transition soutenu à bout de bras par la communauté internationale.

Affiliation à Al-Qaida

Renforcé par des centaines de combattants étrangers, Al-Shebab, revendique désormais clairement son affiliation à Al-Qaida. Les milices radicales contrôlent près des trois quarts du pays et les deux tiers des 3,5 millions de personnes qui, selon l’ONU, ont besoin d’une aide alimentaire d’urgence, se situent dans leur zone d’influence.

Les Etats-Unis, qui ont inscrit Al-Shebab sur la liste des groupes terroristes en février 2008, sont également les principaux financiers de l’aide en Somalie (environ 160 millions d’euros l’an dernier), et fournissent les deux tiers des fonds du Programme alimentaire mondial (PAM). Mais, depuis quelques mois, sans le clamer haut et fort, ils ont suspendu leur aide à la Somalie de peur de contribuer indirectement au financement… du terrorisme islamiste. Et tout aussi discrètement, Washington a chargé l’OFAC, un organisme de contrôle des avoirs étrangers qui dépend du Trésor américain, pour identifier les voies de financement du terrorisme et, le cas échéant, de sanctionner. Confrontée à ce coup dur, l’ONU multiplie les appels à l’aide internationale car le manque à gagner cette année (57% de dons reçus sur un milliard de dollars demandés), dû également à la crise financière, pourrait conduire à une «catastrophe humanitaire», selon les termes du PAM début septembre.

«Je ne suis pas certain du niveau de détournement et pour le moment il n’y a aucune preuve que les Shebab en bénéficient directement, mais c’est un problème majeur auquel nous sommes actuellement confrontés», reconnaît Mark Bowden, le coordonnateur permanent des Nations unies pour la Somalie. Depuis juin, une enquête est en cours au sein du PAM pour déterminer le niveau de détournement de l’aide alimentaire. Visiblement peu à l’aise, Peter Smerdon, porte-parole du PAM à Nairobi, refuse de commenter ces allégations.