03/12/09 (B527) Yémen Express (2 articles en Français)

_________________________ 2 – Le Monde

Arabie: le roi Abdallah inspecte ses troupes à la frontière avec le Yémen

Le roi Abdallah d’Arabie saoudite, qui a inspecté mercredi à la frontière avec le Yémen les troupes engagées contre les rebelles chiites yéménites, a ordonné la construction de 10.000 logements pour les personnes déplacées par les combats, selon des sources officielles.

Le souverain saoudien a « inspecté dans l’après-midi les avants-postes des forces militaires déployées sur la frontière du royaume », dans la région de Jizane (sud-ouest), en sa qualité de commandant suprême de l’armée saoudienne, selon l’agence officielle SPA.

Les autorités saoudiennes ont évacué des milliers de personnes des zones frontalières pour mettre en place une zone tampon large de 10 km des deux côtés de la frontière et empêcher l’infiltration de rebelles et de trafiquants.

Cet ordre de construction semble confirmer des informations de presse selon lesquelles Ryad souhaite rendre durable cette zone tampon, au moins côté saoudien.

C’était la première visite du roi dans la région depuis le lancement par l’armée saoudienne de ses opérations contre les rebelles yéménites à la suite de la mort le 3 novembre d’un garde-frontière saoudien par des rebelles infiltrés dans le royaume.

Un conflit armé oppose ces rebelles zaïdites, issus d’une branche du chiisme, à l’armée yéménite depuis le 11 août dans des régions bordant la frontière.

Après l’incident du 3 novembre, les militaires saoudiens ont procédé à leur plus large mobilisation depuis la guerre du Golfe en 1991, engageant des avions de combat, l’artillerie lourde, des forces spéciales ainsi que des navires de guerre opérant en mer Rouge.

Neuf militaires saoudiens sont portés disparus à la frontière, avait récemment annoncé le ministère saoudien de la Défense.

Le quotidien saoudien Asharq Al-Awsat a fait état mercredi de la mort d’un autre soldat, tué lundi dans un accrochage à la frontière.

_________________________ 1 – JDD

Les damnés de Sa’adah – Victimes d’un conflit qui ne les concerne pas, 200 000 villageois du Nord ont dû quitter leurs terres, traumatisés et affamés.

De ses lèvres entrouvertes s’écoule un filet d’air. Son regard, tourné vers l’intérieur, reste irrémédiablement vide, noir comme une plaie béante. Salama a 20 ans. Sa famille a fui les bombardements qui ont emporté sa raison ainsi que le toit de leur maison : investie une nuit par des rebelles chiites de la tribu des Houtis, bombardée par l’armée au petit matin. Au milieu des hurlements de terreur et du tremblement des murs, Salama s’est écroulée, sans connaissance, écrasée par la peur. « Depuis, elle ne se comporte pas normalement », rapporte, embarrassé, son frère Abduh. Elle prononce de temps à autre un nom, bien souvent celui de sa mère, qu’elle ne reconnaît pas forcément.

Cette famille d’éleveurs de moutons, originaire de la province d’Al-Jawf, a laissé derrière elle jusqu’à son bétail. Dès la fin des bombardements, les quatre frères, avec leur mère, leurs sœurs, leurs femmes et leurs enfants, ont quitté leur village, entassés à l’arrière d’un pick-up en partance pour Al-Manzalah. Arrivés au crépuscule dans ce village du gouvernorat de Sa’adah, à la frontière de l’Arabie saoudite, ils ont, dès le lendemain, repris la route – à pied cette fois – pour rejoindre le camp de déplacés d’Al-Mazrak, au terme d’une journée de marche.

Ils se sont repliés sous quelques-unes de ces tentes blanches, brunies par le sable, où Salama repose désormais comme un secret bien gardé. Malgré ses hurlements et ses gesticulations, elle est restée plusieurs semaines enchaînée, à l’abri des regards, jusqu’à ce qu’un des médecins du camp lui prescrive des tranquillisants. « On n’avait pas le choix, soupire Abduh. A la moindre occasion, elle se sauvait, entrait dans les tentes des voisins, se mettait à hurler, tapait les enfants… » Parce qu’il lui est aussi arrivé de déchirer ses vêtements, sa robe verte, imprimée de roses violettes, est recousue par endroits de fil blanc. « Je n’ose plus me montrer, reprend son frère. J’ai honte. » Abduh est bien plus préoccupé par les frasques de sa sœur que par le conflit qui les a poussés à quitter leurs terres. Comme beaucoup d’autres, il ne comprend rien à cette guerre qui n’est pas la sienne.

200 000 déplacés

Dans le nord du Yémen, embrasé par les combats entre les rebelles chiites houtis et l’armée, des milliers de personnes quittent chaque jour leur village dans le dénuement le plus total. Dans l’indifférence, aussi, faute d’informations: qu’il s’agisse du nombre de victimes ou des mouvements des cohortes de déplacés, jetés sur les routes par la peur et la faim. L’Unicef estime que ces derniers sont plus de 200 000, dont la moitié serait éparpillée dans le gouvernorat de Sa’adah. Dans le camp d’Al-Mazrak, qui fait face chaque jour à des arrivées massives, ils sont plus de 13 000.

« On subissait les bombardements des avions d’un côté, les coups de canon de l’autre, et comme les routes étaient coupées, on n’avait plus rien à manger », raconte Hassan, un vieil homme dont la barbe grise mange un visage déjà bien maigre. Dans son village, les locaux gouvernementaux avaient été investis par les rebelles avant même la reprise du conflit. Lui les croisait simplement à la prière du vendredi. Il marmonne: « On n’a jamais été leur chercher des histoires, ils nous laissaient tranquilles. »

Le qat pompe 80% des ressources en eau du pays

Hassan s’est installé au camp avec sa famille et quatre autres branches de son arbre généalogique. Certains sont agriculteurs, d’autres trafiquent le qat, cette plante hallucinogène qu’ils revendent jusqu’à 25 dollars la botte en Arabie saoudite. Dans le pays le plus pauvre du Moyen-Orient, près de 60 % du monde rural s’est reconverti dans la production de ce psychotrope, un secteur économique plus profitable mais qui pompe 80% des ressources en eau du pays.

« On n’a pas le choix, on n’a rien », martèle Brahim, 15 ans, qui assure la survie de sa famille en passant des sacs en Arabie saoudite depuis qu’il est en âge de courir: deux jours de marche pour 15 dollars avec pour ordre de ne jamais abandonner son chargement. « Même poursuivi par la police des frontières. » Et même s’il risque cinq ans de prison ou une balle dans le dos.

Brahim n’a jamais été scolarisé. Le Dr Kamel Ben Abdallah, un des responsables de l’Unicef au Yémen, insiste auprès de son père pour l’inscrire dans l’école que la mission a installée à proximité du camp afin qu’il puisse au moins apprendre à lire et à écrire: « Ce gamin est très intelligent, c’est du gâchis. » Mais pour ces familles en exode, d’une extrême pauvreté, le savoir n’est pas un produit de première nécessité.

La recrudescence de la piraterie en mer Rouge et dans le golfe d’Aden a fait flamber le prix des assurances du transport et, par conséquent, des denrées alimentaires, importées à hauteur de 85% au Yémen. L’aggravation de la pauvreté touche en premier lieu les populations les plus fragilisées. Le sort des femmes et des enfants préoccupe tout particulièrement l’Unicef. « La situation sanitaire est extrêmement préoccupante, la situation nutritionnelle critique », martèle le Dr Ben Abdallah.

Dans le dispensaire du camp, de 100 à 150 femmes se présentent chaque jour avec leurs enfants, parmi lesquels certains cas de dénutrition sont sévères. Dans le centre d’hospitalisation de jour, qui prend en charge les complications graves, des petits corps reposent dans les bras de leurs mères: de longues ombres fendues d’un regard pareil à celui des statues. Sur les matelas qui jonchent le sol, ici et là, la douleur est en noir, drapée d’un niqab. Derrière ce voile qui ne laisse rien voir de son visage, la mère de Brahim dissimule aussi un sourire immensément triste.

Sa fille Ilhem poussait son petit frère de 2 ans sur la balançoire suspendue au figuier qui jouxte leur maison lorsque le souffle d’une explosion l’a couchée brusquement. Le petit, ne comprenant pas pourquoi elle ne se relevait pas, est allé chercher ses parents. Ils ont ramené le corps inerte entre leurs murs. Ilhem est restée presque toute une journée inanimée. Lorsqu’elle a enfin ouvert ses paupières, elle était devenue muette. Depuis, elle tourne en rond en tapant dans ses mains, inlassablement. Petite victime silencieuse d’une guerre sourde.