15/12/09 (B529) Yémen Express (3 articles en Français)

___________________________ 3 – Le Monde (reportage)

Fièvre sudiste au Yémen

Regard martial, moustaches à l’avenant, le portrait du président Ali Abdallah Saleh trône à Aden comme planent sur l’ancienne capitale de la République démocratique et populaire les trois couleurs panarabes, rouge, blanche et noire, du drapeau du Yémen unifié, en 1990. Des symboles ordinaires qui ne doivent pas tromper. Car les provinces du Sud bouillonnent. Obstinément. Cette contestation qui compte chaque mois ses morts n’est pas encore une rébellion ouverte, mais elle n’en ravive pas moins le spectre de la tentative avortée de sécession de 1994, qui avait ébranlé une union négociée quatre ans plus tôt entre la république du Nord et celle, socialiste, du Sud.

Déjà affligé par la guerre civile qui ravage les provinces septentrionales, par la piraterie qui sévit au large de ses côtes et par les menées d’Al-Qaida, repliée dans des zones tribales où se dissout la notion d’Etat, le plus pauvre pays de la péninsule arabique a pourtant besoin comme de la peste d’une fièvre sudiste.

Le calme et l’ordre règnent à Aden. Mais, dans le quartier du Cratère, au pied des dantesques reliefs volcaniques pilonnés par le plomb du soleil qui dominent l’océan Indien, les presses du quotidien Al-Ayyam (Les jours) restent muettes. Elles sont réduites au silence depuis le mois de mai. Dans les locaux du journal, le patriarche Hicham Bachrahil et son frère Tammam, drapés dans la fouta traditionnelle, un long pagne de tissu coloré, bruissent d’une froide colère en énumérant les attaques subies depuis le début de l’année. Camions de livraison détournés, journaux volés, jusqu’à l’offensive en règle conduite contre le siège du quotidien, le 13 mai : tirs à balles réelles et grenades lacrymogènes.

Le directeur du quotidien montre les restes de munitions glanés, selon ses dires, sur le champ de bataille. Al-Ayyam paye, affirme-t-il, l’écho donné depuis des mois dans ses pages aux revendications sudistes, faisant de l’un des quotidiens les plus prestigieux du pays le porte-voix des protestataires. "On a contesté la propriété d’une maison à Sanaa que je possédais depuis trente ans, je ne peux pas me rendre à l’étranger pour soigner mes problèmes cardiaques, mais je ne céderai pas", promet Hicham Bachrahil.

Après la guerre de 1994, qui avait vu les troupes commandées par le président Saleh, homme fort du Nord depuis 1978, écraser les rebelles en moins de deux mois, les voix de la sécession avaient fui. Atomisés de par le monde, les chefs sudistes avaient perdu petit à petit légitimité et représentativité. La constitution d’une Assemblée démocratique du Sud, au Royaume-Uni, en 2004, n’avait pas brisé cet isolement. Tout se liguait donc pour que cette parenthèse soit définitivement refermée.

Créées en 1967, la République démocratique et populaire du Yémen et sa colonne vertébrale, le Parti socialiste yéménite (PSY), n’avaient pas laissé des souvenirs impérissables. En janvier 1986, les combats fratricides, habillés des oripeaux d’un conflit entre le dogme et une perestroïka arabique, avaient décimé ses rangs et ravagé Aden. Ils avaient envoyé par le fond les rêves d’un socialisme exotique, tempéré par un siècle et demi de domination britannique, sur une côte stratégique, morcelée en une ribambelle de sultanats et de "cheikats", selon le principe éprouvé du diviser pour mieux régner.

La parenthèse de calme s’est achevée il y a deux ans. De nouvelles voix se sont fait entendre et un mouvement encore insaisissable s’est mis en branle qui revisite à sa manière le passé. Tout est parti du mécontentement d’anciens officiers et fonctionnaires sudistes, mis à la retraite d’office après la guerre de 1994. Ils réclamaient de meilleures conditions de vie et l’égalité de traitement avec les autres retraités. Une organisation s’est mise en place, déclinée localement en des dizaines de comités. Faute de réponse des autorités, des rassemblements ont commencé à être organisés dans les bastions sudistes.

A l’appel d’anciens généraux, dont Nasser Al-Nouba et Ali Moqbil, le 2 août 2007, une grande manifestation s’est tenue à Aden, suivie d’arrestations. Depuis, les trublions sudistes jouent avec le calendrier yéménite et les anniversaires pour mobiliser leurs forces : 7 juillet (1994), entrée des troupes unionistes (principalement nordistes) à Aden ; 14 octobre (1963), déclenchement de la lutte armée contre les Britanniques ; 30 novembre (1967), indépendance du Yémen du Sud ; 13 janvier (1986), bataille fratricide entre socialistes sudistes… Toutes les occasions sont bonnes pour se compter.

Au fil des rassemblements, ponctués d’arrestations ou d’échanges de coups de feu meurtriers, les revendications ont changé. De sociales, elles sont devenues politiques. L’autonomie, voire l’indépendance, voilà ce que clament désormais les manifestants qui laissent libre court aux rancoeurs accumulées au fil des années contre le Nord, accusé d’avoir fait main basse sur les terres, les fonctions et les positions lucratives du Sud. Une nouvelle "occupation" est dénoncée et l’ancien vice-président, sudiste, Ali Salem Al-Baid, en exil en Allemagne, tente de sortir de l’oubli en réclamant l’organisation d’un référendum sur l’autodétermination.

Dans ses vastes bureaux installés au centre de Sanaa, Ali Al-Anessi, le puissant directeur de cabinet du président Saleh, balaye d’un revers de main ces récriminations. "Nous avons redonné vie à Aden et aux régions du Sud. Le président est prêt à examiner une plus grande décentralisation mais le fédéralisme, ce serait la séparation du Yémen ! Il n’en est pas question !" Le vice-premier ministre chargé de la sécurité, Rachad Al-Aleimi, renchérit : "Le Nord a consacré plus d’argent et de moyens au Sud, proportionnellement, que l’Allemagne de l’Ouest à l’ex-RDA. Et puis les gouverneurs du Sud sont maintenant élus par leurs administrés, ce qui montre bien que les manifestants ne sont que des minoritaires qui ne reconnaissent pas les règles de la démocratie."

A Aden, ces affirmations soulèvent des bordées de sarcasmes, dans une assemblée de Sudistes radicaux. "Elus ? Les gouverneurs ? Pas par nous ! Hors Aden, on ne compte plus les endroits où l’armée n’ose même pas aller. Et là, c’est le drapeau de l’ancien Yémen du Sud que les gens affichent par défi, clame le fils d’un notable. Qu’on cesse de nous bassiner avec cette idée de réunification. Historiquement, il n’y a jamais eu un Yémen. En revanche, notre région avait un nom à elle : l’Arabie du Sud !"

La cassure entre deux cultures semble profonde, plus guerrière dans le Nord, marquée par l’héritage britannique dans le Sud. "Pour les Sudistes, les gens du Nord sont tous des "dihabicha", du nom d’un personnage plutôt frustre d’une série télévisée", raconte l’anthropologue Franck Mermier, bon connaisseur des sociétés yéménites. "Nous, dans le Sud, nous avons une éducation et une morale", affirment les plus virulents pour se distinguer des "bouffeurs de qat" nordistes, qu’ils jugent fascinés par les armes.

Le représentant à Aden d’une grande marque internationale, sous le couvert de l’anonymat, ne se fait pas prier pour raconter combien il a dû batailler pour empêcher que le concessionnaire de la même marque à Sanaa, grâce à des appuis du gouvernement, puisse obtenir l’exclusivité pour le pays. "Il y a une inégalité aux dépens du Sud, c’est sûr", affirme un jeune homme d’Aden, qui tient également à garder l’anonymat. "Si on prend la question des bourses universitaires, les Sudistes sont clairement défavorisés. Quand je suis à Sanaa, on me fait sentir mon origine. Pour tout vous dire, je n’aime pas cette ville."

Faute de sondages ou d’élections significatives, il est bien difficile de se faire une idée du rapport de forces dans les provinces sudistes. Le ralliement en mai 2009 au camp des séparatistes de Tareq Al-Fadhli, ancien volontaire islamiste en Afghanistan, qui avait fait le coup de feu contre les sécessionnistes de 1994, a pris de court le président Saleh, qui avait coopté ce chef tribal, lié par alliance avec Ali Muhsen Al-Ahmar, l’un des principaux cadres militaires du régime. Sollicité pour son charisme et son assise locale à Zinjibar, à l’est d’Aden, ancienne capitale du sultanat de Fadhli, il a rejoint le Mouvement du Sud en mai après des affrontements entre ses partisans et l’armée.

Les fidèles du président ont beau jeu aujourd’hui de dénoncer l’instrumentalisation de la question du Sud par Al-Qaida pour la péninsule arabique (AQPA), nouveau label apparu en janvier 2009 et qui, sans craindre le paradoxe, assure de son soutien les anciens socialistes. Un groupe djihadiste, l’Armée d’Aden Abyan, a bien sévi dans la région il y a quelques années et les séides de l’AQMA misent naturellement sur tout ce qui pourra contribuer à affaiblir le pouvoir central, mais on ne saurait décidément réduire le phénomène aux épigones d’Oussama Ben Laden.

Les Sudistes plus modérés tentent de canaliser l’exaspération. "Le Sud ne pourrait pas tenir sans le Nord. Il n’est pas question de séparation, mais les choses ne peuvent plus rester en l’état", assure un économiste à Aden, qui tient à la discrétion. "Les gens défilent avec des photos de (l’ancien vice-président) Al-Baid parce qu’ils savent que ça rend le pouvoir hystérique", ajoute un ancien fonctionnaire du Sud, qui avait rejoint avec enthousiasme le gouvernement unifié de Sanaa avant de passer au secteur privé, frustré par l’expérience. "Quand les Sudistes dénoncent l’unification, ce n’est pas son principe, c’est cette unification-là, avec toutes ses tares, c’est ce système, dont ils ne veulent plus."

Gilles Paris

___________________________ 2 – AFP

Yémen: six militaires et un civil tués par les tirs d’un soldat

Un soldat yéménite a ouvert le feu sur un groupe de militaires, tuant six d’entre eux ainsi qu’un civil dans un quartier de Taëz, dans le sud du Yémen, a rapporté lundi l’agence officielle Saba.

Outre les sept tués, six militaires ont été blessés dans la fusillade survenue dimanche soir près du musée national à Taëz, a ajouté l’agence.

Le meurtrier, qui a été maîtrisé par les forces de sécurité et remis à la police militaire, souffrait de troubles mentaux, a indiqué le chef de la police de Taëz, le général Yahia al-Hissami.

Selon lui, il avait blessé 14 personnes dans une attaque à la bombe en décembre 2008 et il avait été ensuite emprisonné jusqu’au mois de juillet.

Le Yémen est un pays à structure tribale où la population est fortement armée. Ce pays pauvre de la Péninsule arabique est meurtri par une guerre en cours depuis août entre l’armée et des rebelles chiites dans le nord du pays. Il est également confronté à un mouvement séparatiste dans le sud.

___________________________ 1 – Easybourse avec AFP

Au moins 70 personnes ont été tuées dimanche dans un raid de l’aviation saoudienne contre un village yéménite frontalier de l’Arabie saoudite, a accusé la rébellion dans le nord du Yémen.