19/02/10 (B538) Témoignage par un lecteur / Djibouti/Tadjourah. Chefferie traditionnelle : vacances de pouvoir ou usurpation de celui-ci.

Le 6 septembre 1983, Feu le Sultan de Tadjourah, Habib Ahmed Houmed, s’est éteint sur une table d’opération au centre hospitalier des armées, Bouffard, à Djibouti, au cours d’une banale intervention chirurgicale, dans le bloc du service de chirurgie viscérale.

Les djiboutiens, aujourd’hui quadragénaires, se souviennent encore de ce chef charismatique des Afars, à la forte personnalité, descendant directe de la lignée Haralmahis.

Le Sultan Habib, intronisé comme Sultan en 1964, alors qu’il n’avait que 30 ans à peine a toujours su prendre la mesure de l’immense responsabilité qui a pesé sur ses épaules durant les 19 années de son règne à la tête du Sultanat de Tajourah. Il a su gérer au mieux ses relations souvent tumultueuses avec l’administration coloniale et parvenait fréquemment à imposer son orientation politique pour la région – qui illustrait forcément la volonté de son peuple. Ses réactions n’étaient pas nécessairement du goût du représentant de l’État, pour une région qui n’était pas la mieux lotie des régions intérieurs du Territoire français des Afars et des Issas.

Contrairement à son Vizir, (l’actuel Sultan Abdoulkader Houmed), le Sultan Habib qui a incarné la force tranquille et le dialogue, quand besoin se faisait sentir, affichait ouvertement son attachement à l’indépendance du territoire. Ce qui lui valait l’inimité du président Aref, qui n’hésitait pas à récompenser en revanche le Vizir pour sa loyauté et son allégeance à l‘administration coloniale, en faisant de celui-ci, un heureux propriétaire immobilier au Héron, nouveau quartier résidentiel de Djibouti. Pour ce faire, il lui avait facilité bien des démarches auprès des banques de la place. Ainsi, le Vizir fut mis très tôt à l’abri des besoins. Du moins, il lui appartenait après coup de tirer profit durablement de cet investissement …

Le Sultan Habib quant à lui a opté pour un choix diamétralement opposé à son second : il refusait de brader sa dignité et son indépendance intellectuelle

Pour ce qui est de ses rapports avec les nouvelles autorités de la jeune République de Djibouti, indépendante depuis le 27 juin 1977, ils ont été dans un premier temps cordiaux et, furent basés sur la reconnaissance et le respect mutuels, jusqu’au jour où un certain Osman Robleh Daach fut nommé Commissaire de la République, chef du district de Tadjourah (préfet).

La cohabitation entre le commissaire Daach et le Sultan Habib a été très éphémère. En l’espace d’une année, désaccords et autres accrochages se multiplièrent entre les deux interlocuteurs. Loin de se laisser faire, le chef suprême des Afar de Tadjoura n’hésitait pas à redessiner pour ce «parachuté» éthnico-politique, le contour des prérogatives de l’un et de l’autre, en matière de gestion des affaires concernant le district de Tadjourah, qui a toujours été une poudrière politique, et foyer de tensions tout au long de l’histoire de ce petit pays.

Le Sultan Habib menait matériellement une existence modeste, mais politiquement et intellectuellement mûr, contrairement à son successeur qui était toujours en quête d’un «tuteur» depuis la disparition de son oncle protecteur, Ibrahim Mohamed Sultan, ministre des finances de différents gouvernements de Hassan Gouled. Ce dernier fut à l’origine de l’intronisation de Abdoulkader Houmed Sultan, en avril 1985.

Un quart de siècle ne suffit manifestement pas au Sultan Abdoulkader pour voler de ses propres ailes, car son défunt oncle Ibrahim Sultan, n’avait pas eu assez de temps (à peine 18 mois), pour le «couver» et le guider et conseiller du mieux qu’il le pouvait, dans la gestion des affaires concernant ses sujets. Ibrahim Sultan mourut le 26 septembre 1986.

«Orphelin» spirituel et politique, Abdoulkader Houmed fut livré à lui-même, pour le plus grand bonheur du régime djiboutien. D’ailleurs, il n’est jamais ou presque jamais consulté par les autorités djiboutiennes pour les décisions concernant son district.

Contrairement à son courageux prédécesseur, Abdoulkader Houmed a perdu toute crédibilité auprès de ces mêmes autorités, car son égoïsme et son désir flagrant de vouloir constamment se servir d’abord, ensuite ses enfants, suivi de ses neveux et nièces, au détriment des intérêts du peuple afar dont il est l’autorité suprême ternissent son image de chef … et le respect qui lui est dû l’on en a pris un coup.

Sa capacité de trancher les litiges tribaux est d’une inimaginable médiocrité.

Loin d’être impartial pour départager les protagonistes éventuels qui se présentent à son miglis (Conseil), le Sultan Abdoulkader fait appel aux sentiments d’une ou deux personnes, sans scrupule, ni état d’âme, qui ne sont à ses cotés que pour tirer profit des affaires en tous genres qui atterrissent dans ses bras.

Ou plutôt dans les leurs… Si bien qu’on peut dire sans exagérer que ce sont ces individus sans scrupule qui font fonctionner le système à leur goût, donc aux antipodes des agissements qu’on attend d’un sultan et de son miglis.

Pour ce qui est du Vizir actuel, Chehem Ahmed Houmed, qui est le petit frère du Sultan Habib, il a tout bonnement déménagé en France. Ancien militaire français, le franco-djiboutien a décidé de s’installer dans le Finistère (Bretagne), où il perçoit sa pension militaire.

Il s’affranchit totalement des affaires du miglis.

Envisage t-il…. ou plutôt médite-t-il sur la remise en place d’un duché de Bretagne ? Tâche qui risque de lui être on ne peut plus lourde que celle que lui ont confiée les Afars.

Dans ces conditions, peut-on évoquer, vacances du pouvoir ou usurpation de celui-ci ?

Aux lecteurs d’en juger.

Témoignage de Djibouti