19/06/10 (B557) L’ARD nous transmet une interview d’Ahmed Youssouf Houmed, Président de l’ARD, qui répond à Maki Houmed Gaba de Réalités

Interview d’Ahmed Youssouf Houmed
Président de l’A.R.D.

Nous avons profité pour l’interroger, de la récente arrivée en France du Président de l’A.R.D. Ahmed Youssouf Houmed, qui a accepté de répondre à nos questions pour tirer un bilan provisoire de la Mobilisation en cours, faire une analyse de la situation politique à Djibouti et dans la région …ainsi qu’à d’autres interrogations qui préoccupent les Djiboutiens. Cette longue interview du président sera diffusée en deux parties dont voici la première qui a trait à la Mobilisation Générale, ses enjeux, effets immédiats et résultats attendus.

« …c’est une marée humaine déjà prête qui sera alors en marche ! »

Réalité : Bienvenue en France Mr le Président et merci d’avoir accepté notre invitation car cela fait longtemps que vous ne vous êtes pas exprimé dans nos colonnes !

Ahmed Youssouf Houmed : C’est moi qui vous remercie ! Cela fait cinq ans si ma mémoire est bonne que je ne me suis pas exprimé dans Réalité bien que je me sois exprimé plusieurs fois dans d’autres media depuis cette date. Je risque donc d’être long cette fois-ci…

Réalité : ce n’est pas un risque Mr le président, c’est pour vous une obligation de l’être dans ce contexte et pour nos lecteurs une attente et un plaisir de vous lire…Commençons par la brûlante actualité, pouvez-vous brièvement présenter cette Mobilisation Générale avant de tirer un bilan provisoire des quatre batailles que vous venez de livrer ?

A.Y.H. : Vous avez raison ! C’est bien le terme approprié pour rendre compte de ce qui vient de se passer le mois écoulé à Djibouti et du courage physique nécessité ! En tant que vieil acteur et routier de la politique Djiboutienne, je suis bien placé pour affirmer que c’est sans précédent depuis l’Indépendance, la politique s’étant déplacée de fin 1991 à février 2000 sur le champ des combats armés ! Les manifestations que l’on vient de vivre ont réveillé les souvenirs de l’indépendantiste que j’étais ! J’ai vécu ces quatre batailles avec la même intensité que les combats menés contre le colonialisme.

Toutes proportions gardées, les batailles que l’on vient de livrer sont comparables à ces combats sauf qu’il s’agit cette fois de mettre fin aux agissements irresponsables non pas de colons mais d’une poignée de malfaiteurs autochtones de toutes ethnies contre l’ensemble du peuple ! Et s’il s’avère inamendable comme cela est prévisible, porter au R.P.P., ses dirigeants et ses alliés le coup de boutoir décisif car c’est la Paix et l’existence de Djibouti en tant qu’Etat qui sont en jeu !

Réalité : Excusez-moi de vous interrompre Mr le Président, mais puisque vous parlez de Paix, il y a eu des accrochages armés ces derniers temps dans le nord dont cette fois le gouvernement n’a pas fait état…

A.Y.H. : C’est exact et c’est la raison pour laquelle je dis et répète que la Paix est en jeu ! Les mêmes causes produisant les mêmes effets, il y a c’est évident une relation de cause à effet entre la violation unilatérale de l’Accord de Paix de 2001 par le gouvernement, la reconduction et l’aggravation par sa politique des causes qui ont déclenché le conflit armé et surtout la dénonciation par Nous en septembre 2005 dudit Accord d’une part, et les accrochages sporadiques dans le nord depuis quelques années d’autre part ; nous en tenons le gouvernement pour unique responsable, la légitime défense étant le fait d’acteurs ayant fait depuis, le choix compréhensible d’autres lieu et forme de lutte.

Nous restons pour notre part fermement attachés au combat démocratique légal parce que convaincus, comme le démontre l’unité et l’approbation populaire des combats menés dans la capitale, que c’est la meilleure façon d’en finir avec une dictature qui n’est pas plus puissante que le colonialisme d’hier et bien plus affaibli sur tous les plans que lors de la guerre civile !

Et si, vous avez raison de le soulever, le gouvernement n’en parle pas aujourd’hui comme il le faisait hier, c’est parce qu’engagé depuis peu dans un processus de réconciliation avec l’Erythrée, il cherche à faire croire que ces accrochages sont survenus avec la naissance du conflit frontalier…ce qui est, je viens de le rappeler, absolument faux !

Je voudrais ajouter à ce chapitre que le gouvernement prend prétexte de ces accrochages pour se livrer à des exactions sans précédent dans le nord, l’ouest et le sud-ouest de notre pays. Détentions et arrestations arbitraires de civils innocents brutalisés et pour certains torturés, plusieurs civils sont encore détenus dans des lieux tenus secrets, décasements de plusieurs dizaines de familles (suspectées de soutien aux maquisards) dont les habitations ont été détruites …

Je lance donc un dernier avertissement au gouvernement : Qu’il soit bien compris que les commanditaires gradés ou en col blanc ainsi que les exécutants s’exposent à des poursuites s’il n’est pas immédiatement mis fin à ces exactions et leurs auteurs punis !

Réalité : Revenons à présent à la Mobilisation. Puisque vous venez brièvement d’en définir les enjeux qui sont vitaux, pourquoi a-t-elle été aussi tardive ?

A.Y.H. : Parce que c’est l’ultime carte d’une opposition légale qui a épuisé en 2006 toutes les voies juridiques d’une compétition politique ordinaire ! Et si la décision prise par les congressistes de l’A.R.D. en décembre 2006 de ne plus participer dans ces conditions aux élections à venir et recourir à la désobéissance civique pour parvenir à nos fins a tardé à prendre forme c’est dû en partie, mais en partie seulement, à la répression violente qui s’est abattue contre l’Union pour une Alternance Démocratique lors de la campagne de boycott des législatives de 2008 qui n’a eu pour effet immédiat que de briser un élan, alors que le gouvernement pensait en avoir définitivement fini avec l’opposition légale.

Hors, les récents combats politiques le prouvent bien, elle en est sortie renforcée ! La fuite en avant permanente du gouvernement qui a conduit à un conflit armé évitable avec notre voisin a également retardé quelque peu cette mobilisation. Mais ce qui, vu d’ici, peut sembler être un retard s’explique par le fait qu’il n’est pas dans les mœurs politiques des Djiboutiens de se mobiliser en dehors des périodes électorales…

Et je tiens ici à renouveler mes félicitations au comité exécutif de l’A.R.D. et à la cellule de coordination de l’U.A.D. : ils ont fait preuve d’une combativité à toutes épreuves car il a fallu un long travail de terrain et de persuasion et de persévérance pour mobiliser des milliers de gens durant un mois sous la canicule…

J’en profite pour adresser mes félicitations et celles de tout le comité exécutif à Mahdi et Cassim pour le remarquable travail de communication politique qu’ils ont fait aux Etats-Unis et au Canada et j’encourage la délégation plénipotentiaire à poursuivre ce travail en Europe pour relayer le travail accompli à Djibouti par l’U.A.D. auprès de nos partenaires pour les informer de la situation actuelle et des combats à venir, afin qu’ils prennent leurs dispositions pour la rentrée…

Mais aussi à notre représentation en France et en Europe pour la création d’un site ARD sur facebook, ses actions d’éclat et médiatisation de la lutte dans la presse qui font de notre parti structuré et ramifié une référence dans le paysage politique djiboutien !

Réalité : Quel bilan en tirez-vous et pour quand la désobéissance civique ?

A.Y.H. : Il est encore trop tôt à mon avis pour en tirer un bilan même provisoire ! Mais les premiers résultats dépassent nos espérances ! Il s’est produit entre l’annonce en début d’année du recours à partir du printemps à cette forme de lutte et le lendemain de ces premières batailles des évènements encourageants et prometteurs qu’il ne faut pas sous-estimer ! De la peur qui a changé de camp à la renaissance du mouvement syndical en passant par les signaux positifs en provenance des chancelleries occidentales, le mouvement contestataire a pris une telle ampleur qu’il y a aujourd’hui à Djibouti une atmosphère palpable de fin de règne !

L’audit en cours au ministère de la santé pour identifier et punir les responsables de la disparition des centaines de millions de nos francs destinés à la lutte contre le sida et mené à la demande des donateurs est une première qui fait partie des revendications de l’opposition pour une transparence dans la gestion des deniers publics et la lutte contre l’impunité de la délinquance financière qui fait des ravages et qui accumulés constituent de véritables crimes économiques !

Dans n’importe quel pays du monde ce genre de scandale aurait provoqué la démission du ministre concerné ou sa révocation mais nous sommes à Djibouti dirigé par le R.P.P. présidé par I.O.G….

La grève du personnel de la santé fait également partie des ondes de choc de la Mobilisation Générale et ça ne fait que commencer…

Quant à la désobéissance civique, elle constituera le point d’orgue de cette Mobilisation Générale quand le mouvement aura gagné en intensité et aura alors pour objectif de déposer le R.P.P. La dynamique de contestation prenant chaque jour de la vitesse et de l’ampleur, c’est une marée humaine déjà prête qui sera alors en marche !

Nous n’en sommes pas encore là, il nous faudra auparavant, au courant du premier trimestre 2011, actualiser la plateforme de l’U.A.D et éventuellement l’élargir…

Réalité : Pour clore ce chapitre, qu’attendez-vous de la diaspora ?

A.Y.H. : Sa contribution financière sera la bienvenue mais sa plus grosse contribution sera le relais médiatique qu’elle apportera aux combats politiques menés dans la capitale et elle est invitée à y réfléchir lors de la table ronde de l’opposition du 26 juin à Bruxelles !
C’est surtout pour les jeunes, étudiants ou en exil, que nous nous battons, ils seront pour la plupart appelés à devenir des acteurs politiques ou opérateurs économiques et sociaux chez eux bientôt et il est donc important pour leur crédibilité future qu’ils soient en phase avec un mouvement politique contestataire pacifique et populaire et acteurs d’un changement qui se fera à leur bénéfice !!!

Propos recueillis
par Maki Houmed Gaba