04/11/10 (B576) Point de vue / La nécessaire action collective du peuple (Par Abdillahi Abdi Ahmed Diplomé de l’Institut d’Études Politiques d’Ottawa)

Depuis quelques années, le peuple dans sa très grande majorité ne vote plus parce qu’il est en conflit avec le pouvoir. Dans ce conflit, comme une vraie guerre, chacune des parties a mis en place sa propre stratégie. Pour le peuple, l’abstinence a été jusqu’à date son moyen de lutter contre une politique qui l’isole. Elle a été voulue et programmée par ses leaders politiques en vue de le mobiliser d’abord, contre un pouvoir qui l’exclut de la formulation des décisions, et ensuite, pour mettre le régime devant ses responsabilités et le forcer à songer à une réforme du code électoral actuel de notre pays.

Cette abstinence a été et reste toujours la stratégie du peuple, tournée vers lui-même, de rallier le maximum de Djiboutiens en faveur d’une seule cause : la fin de la monopolisation et l’appropriation du pouvoir.

Dans une vraie démocratie, l’abstinence est sans doute l’action politique la moins privilégiée mais dans pareille circonstance où le peuple est mis à l’écart, elle est nécessaire car les principes d’unité, d’égalité et de paix de notre nation demeurent plus un symbole qu’une réalité.

Cette action politique et solidaire du peuple a longtemps été sous estimée par le pouvoir qui l’a toujours considérée comme un désengagement du peuple, voire l’occasion aux débordements. Bien au contraire, aujourd’hui, elle est l’événement heureux qui conduit, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays, à la formation de coalitions de groupes et d’individus ayant pour seul intérêt commun à s’opposer à cette confiscation du pouvoir. Elle est observée par la très grande majorité de la population, surtout jeune et moins jeune, et l’effet désiré de marginaliser le pouvoir s’est produit. Devant cette prise de conscience du peuple, les manipulations du pouvoir visant à faire croire à une solidarité de conviction semblent ne plus porter leurs fruits.

Le peuple n’a pas tort de se grouper et d’intervenir collectivement car les effets de cette politique d’isolement sont ressentis dans les quartiers de la capitale comme dans les régions de l’intérieur. Ses répercussions sont encore plus douloureuses pour les communautés minoritaires et les groupes à faible revenu. Cette frange de la population étant déjà sous représentée et/ou négligée, elle perd progressivement tous les repères de sa citoyenneté et presque tout lui devient inaccessible. S’est-on déjà demandé combien de diplômés de cette population sombrent dans la misère et la dépression ou prennent chaque année le chemin de l’exil parce que sous cette confiscation elle n’a plus personne vers qui se tourner pour faire valoir ses droits?

L’asymétrie entre ce que le peuple, de plus en plus informé et éduqué, demande et ce que le pouvoir peut lui offrir dans ce refus de partage du pouvoir, constitue l’autre cause du rejet total du pouvoir par le peuple.

A l’heure actuelle, tout le monde s’accorde que la réalité politique de notre pays ne suit pas les attentes des Djiboutiens. Le peuple a besoin d’un parlement où a lieu de vrais débats de fond sur les questions politiques, économiques et sociales. Il a également besoin d’un tribunal indépendant et impartial surtout quand il s’agit des droits et libertés des représentants des intérêts du peuple peu importe leurs tendances, de médias pouvant lui offrir l’occasion de prendre connaissance d’opinions divergentes, d’une organisation juste et transparente des élections, d’une fonction publique moderne et qui n’est pas exclusivement réservée aux militants et enfants des militants du parti au pouvoir.

Malheureusement, après plus de trente années d’indépendance et surtout ces dix dernières années où les changements tant espérés n’ont pas vu le jour, ces revendications sont toujours à l’ordre du jour et le pouvoir peine à instaurer et à préserver un État de droit.

Cette vision oligarchique du pouvoir d’un côté, et l’écart grandissant dans le sentiment de privation du peuple de l’autre, ont été à l’origine du retrait du PND d’une coalition qu’il a rejointe pour mieux représenter les intérêts des Djiboutiens. N’est-il pas normal, pour reprendre le raisonnement d’Albert O. Hirshmann dans son classique Exit, Voice, Loyalty (1970), (qu)’à défaut d’être entendu, les amis peuvent quitter?
Dans quelques mois, aura lieu l’élection présidentielle et le peuple est plus que jamais enclin à vouloir mettre un terme à son exclusion. Le seul substitut apte à atténuer son besoin n’est pas l’abstention cette fois-ci, mais le vote de sanction.

Si sa stratégie a été jusqu’à date l’abstinence pour se distancer de députés qui ne sont plus les dépositaires de sa confiance, lors de l’élection qui s’en vient, sa tactique va être le vote et l’appui massif à tout leader opposé aux auteurs de cette confiscation. Donc, le moment est venu pour tous les leaders politiques du peuple, sans exception, de conjuguer leurs efforts pour faire aboutir le désir du peuple de retrouver sa pleine souveraineté.

Au peuple, je lui dirais que depuis quelques années, l’opposition à cette politique nocive est notre projet de société. Sa visée est la recherche du bien dans le respect des principes de notre Nation. Comme durée, il s’inscrit dans le temps et la prochaine élection présidentielle n’est qu’une échéance parmi d’autres. Il ne peut donc se permettre de free riders (voyageurs au ticket gratuit) qui refusent l’action collective sous prétexte que si l’entreprise réussit, ils en profiteront, de toute manière, comme les autres.

Aux individualités qui s’attachent à des bénéfices matériels que leur procure cet isolement du peuple, je leur rappelerais qu’il y a un impératif moral de s’engager dans cette cause juste car sa dimension éthique est un facteur de taille auquel aucun citoyen et citoyenne ne peut se soustraire.