09/02/11 (B590) La suisse attaque les dictateurs au portefeuille (Article conseillé par un lecteur – TSR Info) – (IOG va-t-il retirer ses avoirs de la Suisse ??? – Note ARDHD)

La Suisse et l’argent des dictatures

Jérôme Zimmerman

La Suisse a restitué davantage que n’importe quelle autre place financière de taille comparable.

La Suisse, qui a ordonné mercredi le gel des avoirs des chefs d’Etat tunisien Ben Ali et ivoirien Laurent Gbagbo, a restitué un total de 1,7 milliard de francs à divers pays au cours des quinze dernières années. Une nouvelle loi – qui facilitera les procédures – entrera en vigueur dès le premier février.

Dès le mois prochain, la "loi fédérale sur la restitution des valeurs patrimoniales d’origine illicite de personnes politiquement exposées" (LRAI) permettra à la Suisse de remettre aux populations spoliées des fonds illicites bloqués, et ce même si l’entraide judiciaire avec l’Etat concerné ne peut aboutir, ce qui n’était pas possible jusqu’à présent.

Cette loi a d’ailleurs été surnommée "Lex Duvalier", puisqu’elle a été initiée pour palier aux manques apparus dans la longue bataille judiciaire sur la restitution au peuple haïtien de quelque 5,7 millions de dollars déposés par la famille Duvalier sur des comptes helvétiques.

Nombreux précédents
Malgré cette carence qui prévalait jusqu’ici, la Suisse a tout de même pu restituer près de 1,7 milliard de francs au cours des 15 dernières années, soit davantage que n’importe quelle autre place financière de taille comparable, indique le Département fédéral des affaires étrangères. Certains de ces cas ont d’ailleurs suscité un énorme intérêt médiatique en raison de la notoriété des personnes concernées et de l’importance des montants en cause, qui se chiffraient en millions.

PHILIPPINES: une première

En 2003, 683 millions de dollars américains bloqués depuis 1998 ont été restitués à l’Etat philippin, ce qui n’avait jamais été fait jusqu’alors. Le Tribunal fédéral avait établi que les valeurs patrimoniales des fondations Marcos étaient de toute évidence d’origine délictueuse. Le gouvernement philippin avait demandé à confisquer ces fonds, en affirmant que pendant ses 20 ans de pouvoir jusqu’à son renversement en 1986, Ferdinand Marcos avait volé des milliards de dollars de fonds publics.

PÉROU: l’argent des services secrets
Dès 2002, le Pérou a récupéré 77,5 millions de dollars de la Suisse sur la base du jugement rendu par le Ministère public du canton de Zurich au terme de la procédure pour blanchiment contre Vladimiro Montesinos Torres, l’ancien chef des services secrets péruviens et conseiller du président. En octobre 2006, le Ministère public a de plus restitué au Pérou environ 11,5 millions de dollars américains provenant des comptes d’un comparse de Vladimiro Montesinos.

ANGOLA: le déblocage de fonds au service de l’humanitaire
Une procédure pénale initiée à Genève en avril 2002 a permis de saisir des fonds détournés destinés au remboursement de la dette de l’Angola à la Russie. L’enquête, bouclée en 2004, n’a pas permis d’établir que des irrégularités avaient été commises. Toutefois le blocage des fonds se trouvant sur des comptes ouverts au nom de quatre hauts fonctionnaires angolais a été maintenu car ces derniers n’ont pas contesté que les fonds appartiennent à l’Etat africain. Ainsi, le 1er novembre 2005, les délégations suisse et angolaise ont signé un accord qui a pour but d’affecter ces fonds à des fins sociales et humanitaires.

NIGÉRIA: 700 millions d’origine "manifestement criminelle"
En 2005, le Tribunal fédéral a décidé que la majeure partie des fonds Abacha (chef d’Etat nigérian de 1993 à 1998) bloqués en Suisse, soit quelque 460 millions de dollars américains, était manifestement d’origine criminelle et qu’elle pouvait par conséquent être restituée au Nigeria sans qu’aucune décision de confiscation de l’Etat requérant ne soit nécessaire. Au total, l’accord pour le principe du monitoring a porté sur 700 millions de dollars américains.

KAZAKHSTAN: un cas résolu, un en cours
Une enquête genevoise avait abouti à la saisie d’environ 84 millions de dollars, liés à des contrats d’exploitation pétrolière, et amassés sur les comptes des plus hauts dirigeants de l’Etat kazakh (notamment le président Noursoultan Nazarbaïev et sa famille). Un accord a été conclu en 2007 pour que ces sommes puissent être restituées au Kazakhstan tout en servant à des programmes d’utilité publique et le Ministère public de la confédération a ouvert en automne 2010 une enquête portant sur la blanchiment d’environ 600 millions de dollars.

MEXIQUE: une enquête longue mais fructueuse
En 2008, La Suisse a décidé de restituer au Mexique 74 millions de dollars détournés par Raul Salinas, le frère de l’ancien président mexicain Carlos Salinas (au pouvoir de 1988 à 1994). La procédure judiciaire aura duré près de 13 ans. Les enquêtes suisse et mexicaine ont permis d’établir l’origine manifestement criminelle de ces fonds.

RDC: douze ans d’efforts pour rien
Certains gels d’avoirs n’ont toutefois pas permis de retourner les fonds au pays d’origine, c’est par exemple ce qui s’est produit avec les avoirs de feu Mobutu malgré douze ans d’efforts. En 1997, après une demande d’entraide judiciaire de la République démocratique du Congo (RDC), la Suisse a ordonné le blocage des avoirs de Mobutu, à la tête du pays de 1965 à 1996.

La RDC n’ayant pas précisé sa demande, la procédure d’entraide est passée à la trappe 6 ans plus tard, mais le gouvernement suisse a quand même maintenu le blocage et proposé son assistance administrative au pays africain. La justice a toutefois enterré la procédure en 2009, puisque les faits dénoncés étaient prescrits. Le gouvernement a donc levé la mesure de blocage après douze ans d’efforts.

HAÏTI: le cas d’école des fonds Duvalier
En 1986, les autorités d’Haïti ont transmis à la Suisse une demande d’entraide judiciaire, dans laquelle étaient requis le blocage et la saisie des fonds déposés par Jean-Claude Duvalier et son entourage, soit 5,7 millions de dollars. En 24 ans, cette affaire a connu moult rebondissements. Le dernier en date remonte à mars 2010, quand l’ex-dictateur haïtien a déposé un nouveau recours devant la justice suisse pour récupérer l’argent gelé.

Un mois plus tôt, le Tribunal fédéral avait annulé la restitution prévue à Haïti d’une partie des avoirs en raison de l’absence d’un traité d’entraide judiciaire entre Haïti et la Suisse et de crimes prescrits depuis 2001. La nouvelle loi, sujette au référendum jusqu’au 20 février, devrait donc permettre une révision de ce jugement et le retour des fonds en Haïti.