26/02/11 (B593) Le Monde (Article proposé par un lecteur) publié dans l’édition du 25.02.11

Jean-Philippe Rémy

Cela va sans dire, mais mieux en le disant et, si besoin, en le répétant : la Tunisie, l’Egypte et la Libye sont situées au nord d’un continent nommé Afrique. La preuve en est que ces trois pays traversés par des « révolutions » sont membres de l’Union africaine (UA), organisation continentale actuellement désorientée au point qu’oubliant peut-être ces évidences géographiques, elle ne semble concernée que de loin par les mouvements en cours.

Le panafricanisme tomberait-il en panne aux premiers signes d’orage ?

L’Union africaine aurait-elle oublié que Mouammar Kadhafi a assuré sa présidence tournante jusqu’à l’an passé, charmé à un point tel par cette fonction qu’il a pratiquement fallu la lui faire lâcher de force ? Celui qui s’était fait sacrer « Roi des rois africains » et nourrissait l’espoir fou de jouer de son influence sur 1 milliard d’Africains à coups de pétrodollars n’en est plus à ces considérations, il est vrai.

Mais en quarante et une années de règne à Tripoli, combien de responsables africains, de chefs de guérillas diverses et variées a-t-il reçu sous la tente pour entendre leurs multiples demandes ?

Ce lourd silence aujourd’hui ne s’explique donc peut-être pas seulement par l’irritation suscitée par cette manie qu’a la jeunesse d’aimer les mêmes choses au même moment, à commencer par la contestation des pouvoirs. Il est vrai que l’Afrique a du souci à se faire de ce point de vue, car la mode va finir par prendre sous le Sahara. La première révolution avait eu lieu en Tunisie, pays du jasmin chéri des responsables politiques français à la mémoire sélective, et n’avait pas exacerbé les passions au sud de ce grand désert qui barre le continent. Mais l’Egypte et l’élan magnifique de la place Tahrir ont eu raison de la barrière de sable.

Les premiers à avoir tenté de se mettre dans le vent des révolutions auront été les opposants de Djibouti.

Djibouti, où le président, Ismaël Omar Guelleh, vient de changer l’article de la Constitution limitant à deux le nombre des mandats présidentiels, ce qui lui permet de se présenter à l’élection d’avril. Djibouti, où dès le premier jour de manifestations, le 18 février, une vague d’arrestations a eu lieu au sein de l’opposition, dont les responsables ont été placés depuis en liberté provisoire mais n’en appellent pas moins à une nouvelle journée pour demander « un changement pacifique et démocratique » du pouvoir, « à l’instar de la Tunisie ».

D’autres mouvements similaires tentent de s’allumer ailleurs. On annonçait pour le 21 février le lancement d’une « méga-révolution populaire non violente » dans deux autres pays où les processus électoraux ont rarement été considérés comme des modèles : le Gabon et le Cameroun. Le message avait été diffusé sur Facebook, les mots des révolutions du Maghreb-Machrek avaient été soigneusement recopiés. Dans les deux cas, il y a eu du retard à l’allumage.

Au Gabon, pour l’instant, circulent des « messages spontanés » émanant de plusieurs sources, et relayés sur Facebook, Twitter ou sur des sites Web (Alibendegage.com). « Les gens nous disent : « Nous en avons assez », mais quand il s’agit de passer à l’action, ils ne viennent pas, ils ont peur. Il faut juste qu’on trouve le déclic… », explique un responsable politique impliqué dans la contestation en cours, et qui redoute de se faire arrêter.

Le Gabon a aussi un point de résonance avec l’Egypte : le 25 janvier, date de la première manifestation au Caire place Tahrir, un ex-ministre de l’intérieur devenu opposant, André Mba Obame (« AMO »), annonçait la constitution de son propre gouvernement, affirmant avoir été lésé de sa victoire lors de l’élection présidentielle remportée par Ali Ben Bongo, son « ex-meilleur ami », fils du défunt président Bongo.

Depuis, AMO vit réfugié dans l’enceinte du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) avec vingt-deux autres personnes (le bureau politique de son mouvement et son gouvernement) à Libreville, où sa situation devient de plus en plus difficile. Les responsables des Nations unies, cédant aux pressions du gouvernement gabonais, tentent de couper les moyens de communication de leurs hôtes, d’empêcher l’arrivée du linge de rechange.

En vain. Parallèlement, des procédures judiciaires sont engagées contre les principaux responsables du parti de M. Mba Obame, l’Union nationale. Sans le « déclic » précipitant tout le monde dans la rue, la réponse policière a des chances de fonctionner.

C’est au Zimbabwe que la répression anticipative a été menée le plus loin.

Quarante-six personnes qui participaient à une réflexion sur le thème des « révolutions » en cours en Egypte et en Libye ont été arrêtées par la police et placées en détention dimanche. Parmi ces dernières se trouve un ex-député, Munyaradi Gwisai, dont la couleur politique n’est pas celle du président Robert Mugabe.

Il aura été surpris d’apprendre qu’en rejoignant cette causerie, il participait à une tentative de « déstabilisation » du Zimbabwe, ainsi décrite par le porte-parole de la police, muet en revanche sur les exactions commises dans ses commissariats.

Peut-être le choix de la date de cette réunion de conspirateurs manquait-elle de tact, tombant la veille de l’anniversaire de Robert Mugabe, qui fêtait dimanche ses 87 ans, dont trente, tout rond, au pouvoir. 2011, l’année des révolutions au nord du Sahara, sera-t-elle l’année du triomphe des dinosaures au sud ? Pour le savoir, il faut attendre les déclics.