29/12/2011 (B636) Point de vue / Les vertus de lalternance politique : une recommandation salutaire pour la vie politique djiboutienne
Dans une véritable démocratie, on se serait passé volontiers daborder un tel sujet de société, mais lactualité politique brulante et des enjeux économiques et sociaux posés par les soulèvements des peuples du monde entier contre les dictatures nous amène à examiner et à analyser de près le bien fondé de lalternance politique, notamment chez nous en République de Djibouti.
La République de Djibouti est officiellement reconnue dans le concert des Nations comme un “pays démocratique” ayant ratifié les principaux Traités et conventions internationaux qui énoncent des valeurs universelles tels que les libertés fondamentales et les principes généraux du droit. Parmi ces valeurs, il ya linterdiction de torturer, la liberté dopinion, dassociation, de pensée, de culte, la liberté syndicale, le droit de grève, linterdiction de discriminer à lembauche en raison de sa tribu, son ethnie, sa race, sa couleur de peau et sa religion.
Du moins, le président de la République, Ismail Omar Guelleh, narrête pas de nous le répéter au micro chaque fois que loccasion se présente à lui (réf. Jeune Afrique, France24). Un conseil supérieur de laudiovisuel nexistant pas à Djibouti, les discours du président de la République ne sont pas décomptés du temps de parole alloué à la majorité présidentielle (RPP, QAGABA, PSD, PND-cloné). Il faut dire quà Djibouti, lopposition (FRUD, UGUTA-TOOSA, MRS, MRD, PDD, ARD, PND, UDJ, PRIDE) nest pas représentée à lAssemblée nationale et na pas accès aux médias nationaux.
Limpact du pouvoir des médias sur lopinion publique est énorme.
Lauteur américain Morrison écrivait : “Celui qui contrôle les médias contrôle les esprits.” Cest dans cette logique daliénation mentale que le régime gave les esprits des djiboutiens avec une propagande de désinformation infecte servit en filigrane. La presse du pays réduite à une seule chaine de télévision et de radio nationales déverse au quotidien un flot des nouvelles qui fait léloge du seul président de la République au mépris de la déontologie journalistique, toujours affublé dun titre suranné datant du temps de la monarchie française « Son Excellence Monsieur le président de la République ».
La presse nationale est mise au pas.
Elle est au service exclusif du régime dictatorial. Au plus fort de laffaire Borrel, le président secoué par les médias étrangers, notamment français, avait lâché au détour dune phrase : « nous avons une seule radio, une seule télévision, ils en ont des milliers, prenons-en soin et tachant den faire bon usage » (sic).
Il va de soi que le régime politique djiboutien soit égal en droit des grandes démocraties de ce monde comme la Malaisie, la Turquie, les Etats-Unis, la France, mais pas en dignité. Ce sont là des régimes politiques qui ont fait preuve de respectabilité en matière de démocratie : séparation des pouvoirs, transparence électorale, etc.
Quels sont les indicateurs politiques qui attestent de lexistence et de la pratique dune véritable démocratie saine et sans équivoque dans un pays ?
Si les valeurs précitées sont intrinsèques à la nature démocratique dun régime politique au pouvoir pour préjuger de lexistence dune véritable démocratie, il est une caractéristique fondamentale qui établit une présomption irréfragable des pratiques démocratiques par un régime politique : cest lalternance politique qui découle naturellement de la transparence électorale et du respect rigoureux de la séparation des pouvoirs.
Les vertus de lalternance politique sont nombreuses. La passation du pouvoir politique entre une majorité présidentielle et lopposition témoigne de la bonne santé politique dun pays. Paradoxalement, on a connu lalternance politique à Djibouti que dans la seule période coloniale.
Certes, la démocratie française était à géométrie variable, mais le jeu politique local était largement influencé par les pratiques démocratiques de la Métropole, avec un climat politique favorable à lalternance politique entre les partis politiques en compétition pour le pouvoir. On a connu des renversements de gouvernement, une vie politique pétillante, très animée, avec des rebondissements, du suspens, le vote des motions de censure contre le gouvernement poussant des ministres et des députés de la majorité à la démission.
Même le puissant président du Conseil de gouvernement dalors, Monsieur Ali Aref a été poussé à la sortie par une opposition réelle et soudée, représentant laspiration immédiate du peuple djiboutien à lindépendance et défendant ses intérêts sans distinction ethnique ou tribale, et non les seuls intérêts de leurs tribus comme cest le cas du gouvernement actuel.
Avant, les ministres démissionnaient parce quil yavait une solidarité gouvernementale. Ils avaient une légitimité à exercer la fonction ministérielle, tirée de leur mandat électoral. Ils étaient censés représenter les intérêts de leurs régions et de leurs tribus respectives dans un gouvernement dunion nationale.
Aujourdhui, ce nest plus le cas !
Ils ne sont ministres que de nom, sans pouvoir de décision, mais tout au plus des simples attachés commerciaux alimentaires, garbah xiina ou calool u seexdo, littéralement « ceux qui dorment uniquement pour leur panse » (dormir dans le sens de travailler) ; qui essaient tant bien que mal de tenir la barre dune entreprise en faillite depuis 1977, qui les rémunère indument avec les biens et largent du peuple.
Or, depuis lindépendance, pas une seule fois le régime au pouvoir, le RPP, na pas passé le témoin à ses adversaires politiques, et pour cause :
La nouvelle République de Djibouti commence avec le système politique du parti unique comme la plupart des pays africains colonisés par la France. Dès le début, le jeu démocratique était faussé. La raison principale réside dans la mise en place par le Général De Gaulle dun réseau dinfluence politique, économique et militaire « naturellement hostile à la démocratie » selon François-Xavier Verschave, un système criminel ayant vidé lAfrique de ses matières premières et freiné son développement économique appelé la françafrique.
Dans les coulisses de grandes institutions internationales, à linstar de lONU, et dans les encyclopédies universelles, on définit la République de Djibouti comme une démocratie à part entière. Cependant, quand on scrute de près les pratiques du régime djiboutien en matière du respect des droits de lHomme et des libertés fondamentales, lexercice réel du pouvoir est tout, sauf démocratique.
Mais, alors pourquoi le gouvernement djiboutien, et en premier lieu le président djiboutien ânonne-t-il dans ses nombreuses interventions ubuesques que son régime est une démocratie dans son sens noble, et cest alors même quil ny a jamais eu dalternance politique à Djibouti ?
Le président de la République nest pas à une contradiction près. Il ya peu, il bafouillait sur un plateau de télévision quil ny avait pas des prisonniers politiques à Djibouti. Les appels à laide lancés par les associations locales (LDDH), et même internationales (Survie, ARDHD) ne sont pour lui quune pure compagne de « désinformation » orchestrée par des individus malintentionnés.
Encore plus grave sur le plan politique, il a affirmé récemment dans une magasine très complaisante avec les dictatures africaines quil « allait choisir lui-même son successeur » (sic) pour le remplacer à la tête du pays. Cette phrase nest pas une caricature mais sortie de la bouche même du président Guelleh.
Cette affirmation trahit sa volonté qui est celle de rester au pouvoir ad vitam æternam à travers un dauphin alibi.
En même temps, les choses sont claires dans son esprit : il est parvenu au pouvoir par le même canal de cooptation, il va donc renvoyer lascenseur verticalement du haut vers le bas à celui qui aura la charge de veiller sur les intérêts non pas du peuple mais de la famille « royale ».
Le peuple naura pas son mot à dire dans cette négociation et cette combine. Ainsi, en agissant de la sorte IOG a dévoilé jusquà quel point il fait fi de la misère et de la souffrance morale et physique du peuple djiboutien qui croule littéralement sous un soleil implacable de Djibouti, quand ce nest pas lui-même qui le martyrise.
Une telle annonce ne nous aurait pas choqué si telle était la volonté de la Reine Elizabeth II du Royaume Uni, mais émanant dun homme censé être « élu » par le Peuple, dun président de la « République » sorti vainqueur des urnes, il ya de quoi remettre en cause sérieusement le dogme républicain et émousser tout syllogisme politique.
La République ne peut pas saccommoder des petits arrangements claniques, ou elle nen est pas “Une”.
Entendre dire pareille énormité de la part dun homme complètement déconnecté de la réalité du pays et qui feint ou ne connait rien au fonctionnement dune République est irresponsable, indigne, immoral et indécent. Un personnage tragique et comique, en fin de règne ! Cest limage que donne cet homme aigri par le pouvoir, loin de celle dun homme soucieux de lintérêt suprême de la Nation que brossent ses obligés alimentaires.
Les services secrets français ne se sont pas trompés à son sujet : IOG est un homme « affairiste », mêlé dans des dossiers criminels, mais arrivé opportunément au sommet de lEtat suite à la convalescence de son oncle Hassan Gouled, paix à son âme. En même temps, le peuple djiboutien nest pas étonné par une telle brimade de celui-là même qui hier avait juré sur le Saint-Coran ne plus vouloir se représenter une troisième fois à lélection présidentielle comme le lui oblige la Constitution, même si on lui forçait la main. Ce ne sont plus les opposants politiques et les jeunes qui subissent la torture à Djibouti, les juges ne sont plus en reste. Accusé dêtre lauteur dun tract appelant à linsurrection populaire, le juge Mohamed SOULEIMAN CHEIK MOUSSA a été jeté en prison comme un vulgaire délinquant, pour un mobile qui reste tout aussi fallacieux quinexpliqué. Cette méthode digne de la Gestapo rappelle la condamnation par contumace du président du MRD, Daf, jugé davoir comploter contre le pays avec lennemi érythréen.
En 1991, lentrée en scène du Frud dans le jeu politique a peu ou prou modifié la donne politique nationale. Le discours de Mitterrand à la Baule en 1990 annonce la fin du parti unique et son autoritarisme politique. En 1994, pour la première de son histoire Djibouti se dote dune Constitution sous la férule de laile armée du Frud. En 2001, le gouvernement central djiboutien paraphe avec Ahmad Dini, paix à son âme, un accord mettant fin à lescalade militaire mais dont les termes ne seront jamais respectés par la partie gouvernementale, en loccurrence IOG.
Toutes les élections (législative, présidentielle ) qui se sont déroulées jusquà aujourdhui ont été entachées des fraudes massives. Jai été témoin personnellement du bourrage des urnes. Puisquil ny a jamais eu de culture démocratique, ni dincitation ou dencouragement dans ce sens de la part de lancienne puissance coloniale, les tenants du pouvoirs depuis lindépendance ont, pour ainsi dire, développé une technique de prédation politique qui élimine de facto toute forme dopposition susceptible de nuire à leurs intérêts politiques, et donc financiers, le but étant darriver au pouvoir pour senrichir le plus rapidement possible. Cest la voie royale à tout enrichissement sans cause auquel tous les dictateurs ont eu recours. Le siège de député ou de ministre se monnaye dans une logique alimentaire et de clientélisme politique. Ces « emplois » apportent aux heureux « élus » une garantie financière intéressante. Celui qui aura marqué de son empreinte son ministère de tutelle nest pas celui qui aura apporté une valeur ajoutée aux domaines de son champ professionnel, mais celui qui aura eu le bras le plus long en réalisant lopération de détournement de fonds la plus spectaculaire par rapport aux autres membres du gouvernement. La notoriété du ministre se mesure à laune de ses hold-up financiers et des coups répétitifs portés aux caisses de lEtat (réf. lancien ministre de la santé, Abdillah Miguil pour avoir saigné à blanc le budget de la santé et les aides internationales était le chouchou du président de la République, sans doute était-il admiratif des actes « héroïques » de son poulain). Aussi, un ministre gagne en notoriété lorsquil aura placé dans son fief le plus grand nombre de sa famille proche, et les membres de sa tribu dans la fonction publique en général. Plus un ministre vole, assène des coups, plus il remonte en estime auprès du chef de lEtat. Cest un milieu qui marche sur la tête faisant fi de toutes les lois de la République.
Dans une démocratie, de tels agissements auraient été lourdement sanctionnés tant sur le plan civil que pénal. A partir du moment où vous avez à la tête de lEtat un personnage politique dont les attributs du pouvoir démocratique ne sont réunis que dans le seul titre de la fonction présidentielle, le président de la République, mais dont les comportements sont aux antipodes des pratiques démocratiques, le régime djiboutien ne peut pas être qualifié de régime démocratique mais dune dictature. Cest un constat évident !
Le mérite de lalternance politique sapprécie dans le rejet de toute forme de pratiques antidémocratiques. La tentation de lassertion « cest moi ou le chaos » qui a été le leitmotiv de IOG et de ses partisans lors de lélection présidentielle de 2011 que lopposition a encore une fois boycotté ou encore le caractère indispensable et irremplaçable de la personne de IOG se nourrissent essentiellement de lattitude à fort relent tribaliste du régime et explique en partie le refus de toute alternance politique.
Ainsi, dans des telles conditions dexercice du pouvoir conjuguées avec la mauvaise foi politique du régime, usant des manuvres et des subterfuges pour se maintenir au pouvoir, il ny aura jamais dalternance politique à Djibouti. Lopposition doit donc prendre conscience de cette réalité si elle veut être associée aux décisions de lEtat et espérer concourir activement à lavènement dune véritable démocratie.
En fin de compte, sil ya une leçon à tirer de la réussite des démocraties occidentales, turque, malaisienne, et même chinoise sur le plan économique, et sur lesquelles se calque actuellement le printemps arabe, cest celle de la dimension importante que revêt lalternance politique entre la majorité et lopposition qui se disputent le pouvoir dans un état desprit sain, loyal et dans le respect total des lois de la République. Lexistence de lalternance politique est indispensable à lévolution des idées et aux progrès social et économique dun pays. Quon se le dise une bonne fois pour toute : sans alternance politique, point de démocratie !
Ainsi, on arrive à la conclusion définitive que lalternance politique nexistant pas dans les murs politiques djiboutiennes, la République de Djibouti nest pas une démocratie, mais une dictature abjecte, maudite et vomie par sa population.
Yanna-Culba