19/01/2013 (Brève 094) Extrait d’aujourdhui lAfrique / n°126 / décembre 2012, un article signé par Pierre Sidy qui nous a été signalé par un lecteur
Djibouti, de nouveau dans la tourmente !
La fuite en avant jusquà quand ?
La situation actuelle peut se résumer en trois constats :
- lexplosion stratégique du site de Djibouti ;
- la corruption endémique des dirigeants ;
- la faillite politique du régime.
Renforcement du rôle stratégique du site de Djibouti
Ce « confetti dempire » est devenu un des sites stratégiques les plus recherchés du globe, qualifié de porte-avions occidental
par un des leaders de lopposition. En effet, plusieurs puissances qui comptent aujourd’huihui dans le monde se bousculent pour y installer des équipements militaires et des soldats, sous prétexte de lutter contre la piraterie en Mer Rouge et dans lOcéan indien et contre le terrorisme. Djibouti, se trouve à proximité dune route maritime très fréquentée par laquelle transitent chaque année 20 000 navires.La présence française est de loin la plus ancienne : elle a certes réduit son effectif, mais dispose encore de 2 100 soldats.
Un nouveau traité a été signé entre la France et Djibouti le 21 décembre 2011 qui remplace laccord de défense conclu lors de lindépendance de Djibouti en 1977.Malgré la proclamation selon laquelle il sagit dune nouvelle
génération daccords fondés sur la transparence et la réciprocité, il nen reste pas moins ambiguë dans la mesure où ce traité comporte une clause de sécurité qui confirmeengagement de la France à contribuer à la défense de lintégrité territoriale de Djibouti.
Les Etats-Unis y ont installé depuis 2002 une base forte de 2 000 hommes.
La CIA lutiliserait pour lancer des drones contre des responsables islamistes dans la région,notamment en Somalie et au Yémen. Même le Japon, pour sa première « sortie » à létranger depuis 1945 a ouvert dans ce petit État une base militaire. La raison est toute simple :les neuf-dixièmes des exportations japonaises passent au large de ces côtes et plusieurs navires nippons ont subi des attaques de pirates.
La dernière demande dinstallation proviendrait des Russes. En contrepartie, Djibouti, ou tout au moins ses dirigeants bénéficient dune rente dite « stratégique » de 100 millions deuros.
Ascension vertigineuse de la corruption
Si les États occidentaux apprécient la valeur stratégique de Djibouti, les organisations internationales à vocation économique et financière, dhabitude au ton diplomatique, commencent à perdre patience face à la gabegie et à la corruption à ciel ouvert des dirigeants de ce pays.
La Banque africaine de développement (BAD) a tiré la sonnette dalarme en stigmatisant la gestion plus que défectueuse des dirigeants djiboutiens.
La BAD, qui est un des principaux bailleurs de fonds de ce pays, a pointé plusieurs faiblesses de ce régime :
- lindigence de lÉtat en termes institutionnels et de ressources humaines, avec comme conséquences linanité des interventions publiques contre la pauvreté malgré des sommes importantes englouties dans les secteurs sociaux (le« caractère massif et structurel de la pauvreté à Djibouti »touche jusquà 80% de la population) ;
- la concentration du pouvoir exécutif et le manque dindépendance
du pouvoir judiciaire par rapport à lexécutif qui permet le contrôle sur toutes les opérations économiques dans lopacité la plus totale, y compris dans la passation de nombreux marchés publics, et qui profite exclusivement aux proches du régime comme Indépendant Construction Company (ICC) appartenant au couple présidentiel.
Le Fonds Monétaire International (FMI) a, de son côté, critiqué sans détours le mauvais management des services,par un compte rendu de la mission à Djibouti du 10 au24 octobre 2011. Il a surtout dénoncé la confection de faux rapports du ministre des Finances et a mis en cause lachat de lavion présidentiel enregistré comme appareil dEntamais comptabilisé nulle part.
Plus grave est le niveau de détournement révélé par laudit
implacable du Fonds mondial contre le sida qui fait apparaître
le régime de Djibouti pour ce quil est réellement,c’est-à-dire de la mafia. Selon la Lettre de locéan Indien du21 novembre 2012 (1) le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, qui a mis en ligne laudit
interne, a révélé un trou de 8,6 millions de dollars sur lesdons alloués à Djibouti.
À ce jour, le gouvernement djiboutien na remboursé que 475 094 US Dollars ; le Fonds mondial lui réclame la différence et le jugement des parties ayant participé à ces malversations. Il est clair que les responsables de ces détournements ne seront pas inquiétés dans la mesure où le chef de lÉtat semble être le donneur dordre.
Il a en effet nommé comme ministre de la Santé son protégé Abdallah Abdillajhi Miguil (connu pour avoir détourné largent du HCR, Haut-commissariat aux réfugiés) en 2005,peu après le déblocage des premiers dons du Fonds mondial.
Le nouveau ministre a révoqué dès sa prise de fonction trois directeurs susceptibles de lui rendre plus difficile sa mission de razzia. Il aurait même menacé le chef de lÉtat de révéler tout si jamais il est inquiété, ce qui lui a permis de bénéficier dune retraite sécurisée comme ambassadeur à Pékin.
Il y a comme une soif inextinguible de ces dirigeants et,dès quil sagit damasser largent, rien ne semble les arrêter.
Plusieurs sources accréditent lidée selon laquelle, le président
Ismaël Omar Guelleh (IOG) aurait déclenché la guerre en 2008 contre lErythrée, uniquement pour percevoir
la somme de 40 millions de dollars dun pays du Golfe, nhésitant pas à sacrifier 145 soldats, dont un colonel.
Cest encore cette propension qui explique que les commerçants de la place subissent des guérillas ininterrompues de lentourage du président : certains ont préféré partir, comme lhomme daffaire Abdourahman Boreh en 2008, qui fut spolié de tous ses biens, sous prétexte quil avait des ambitions politiques.
La faillite politique du régime
Le pouvoir a mal à son parti unique et à sa coalition.
Allez savoir pourquoi le chef de lÉtat a demandé un audit de son propre parti ?
Un rapport dévaluation dressé par un comité interne et rendu le 11 juillet 2012 est accablant pour le Rassemblement Populaire pour le Progrès (RPP) qui dirige le pays depuis 1979. Ce parti unique de fait est comparé à une coquille vide, ses locaux entièrement délabrés et la plupart des annexes fermées aux activités.
Ses organes sont qualifiés de « structures fantômes »et le rapport conclut quil sagit dune panne sèche qui affecte tout lappareil politique. Faut-il cependant sen étonner lorsque lon sait que lactuel président a méthodiquement démantelé les structures du parti, en privilégiant lémergence des petites associations quil contrôle étroitement avec le soutien de son épouse Kadra Mahmoud.
Cest ainsi quil a éliminé progressivement les dirigeants les plus en vue du parti, comme lancien secrétaire général Mohamed Ali Sahel. Il a appliqué une méthode encore plus radicale à légard de ses partenaires de la coalition.
Les dissidents du FRUD qui est le parti le plus important de ses alliés, a été complètement laminé et marginalisé. Ses dirigeants Ali Daoud et Ougouré Kiflé ont été débarqués dune manière cavalière,ils ont appris leur éviction du gouvernement par les médias.
À croire quIOG a la rancune tenace.
Cest dans ce contexte que les Djiboutiens vont aborder les élections législatives fin février 2013. Pour parachever le vernis démocratique, le gouvernement djiboutien a approuvé le 20 novembre dernier le remplacement du scrutin de liste majoritaire par un scrutin de liste mixte à un tour avec une représentation proportionnelle à hauteur de 20% pour les prochaines élections législatives.
Lopposition estime quil sagit de la poudre aux yeux et exige une commission
nationale électorale indépendante et des refontes des listes électorales. Une partie de lopposition est tentée par la participation au scrutin législatif.
Mais les listes électorales sont un véritable casse-tête pour les opposants. Elles ont été manipulées dune manière très grossière depuis 1977 :
- Dès les années 80, plus de la moitié des électeurs dObock et de Tadjourah ont été purement et simplement radiés et on a refusé dinscrire la majorité délecteurs dArhiba ;
- Lélectorat de la capitale a subi plusieurs modifications : le premier maire de Djibouti, Idriss Doudoub, a été révoqué en 1981 parce quil sest refusé à tripatouiller les listes en faveur des Mamassans (sous-clan de lancien et de lactuel président). En 2005 et 2011, plusieurs
milliers de cartes électorales ont été distribuées
aux Issak à Hargeissa et aux alentours. Depuis un an, des milliers de réfugiés somaliens hawiyé ont été inscrits sur les liste s élect orales à Ali On, village situé à cinq km de la frontière avec le Somaliland. Dernier avatar
de cette manipulation, la mairie et la préfecture
de Djibouti, le 30 août 2012, ont été brûlées avec les listes électorales.
La faillite politique actée par les caciques mêmes du parti unique, se double des dégradations économiques et sociales causées, selon le FMI, par la mauvaise gestion. La situation est encore plus dramatique pour les quelques 250 000 personnes
menacées par la famine, exclues des rentes dites « stratégiques ».
Cette crise interne se déroule au plus mauvais moment pour Guelleh qui est affaibli sur le plan extérieur par trois événements importants :
- le décès, le 21 août 2012, du premier ministre éthiopienMeles Zenawi, allié de taille sur lequel il pouvait compter en toute circonstance ;
- léchec, à lélection présidentielle de la Somalie en septembre, du président sortant Sharif Sheikh Ahmed quil a soutenu jusquau bout ;
- le changement de président et de majorité en France avec lesquels il nest pas aussi à laise quavec Sarkozy.
La balle est dans le camp de lopposition qui a du mal à la saisir à cause de ses divisions souvent basées sur des querelles
de personnes. Certains fondent lespoir que les nouvelles
actions militaires du FRUD, qui ont créé la panique au sein de larmée au Nord (2), et dont la plus spectaculaire a été lattaque contre la résidence du président de la République au Day le 9 novembre, vont créer les conditions pour un large rassemblement des forces de lopposition et pour une alternance crédible.
(1)
La Lettre de l’Océan Indien :
http://www.LaLettredelOceanIndien.fr
(2)
Al Wihda : http://www.alwihdainfo.com/Djbouti-Le-FRUD-cree-lapanique- au-sein-de-l-armee-au-Nord_a5997.html