22/04/2013 (Brève 136) Contribution d’Aïnaché à la Conférence sur la situation à Djibouti qui s’est tenue à Paris le 20 avril 2013


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Par Aïnaché

CONFÉRENCE SUR LA SITUATION A DJIBOUTI

PARIS, Samedi 20 avril 2013

Mesdames et Messieurs,
Chers amis,
Chers compatriotes,

Avec l’introduction de ce fameux 20 % à la proportionnelle, lors de l’élection législative du 22 février dernier, certains d’entre nous avaient espéré.

Ils ont voulu croire qu’il y avait là, une avancée, minime, certes, très minime, mais une amorce de démocratisation  à Djibouti.

Nous savons hélas, aujourd’hui, que c’était un leurre.

Cette manœuvre du gouvernement en place avait pour objectif de mettre  fin aux critiques persistantes qui pleuvaient sur la pratique antidémocratique de la non représentation des opposants à l’Assemblée Nationale.

Cette fausse ouverture assouvissait également  les appétits de quelques assoiffés d’un mandat.

Ce piège grossier a été tendu par les tenants du pouvoir  pour sortir de dix ans de boycottage des élections dont la population djiboutienne avide de s’exprimer, commençait à se lasser.

L’opposition ne s’était pas remise du détournement des résultats des élections de 2003 et avait décidé de ne plus participer à aucune autre élection tant que le pouvoir ne lui donnerait pas satisfaction sur les garanties d’une élection véritablement démocratique.

A cette occasion, comme  un de mes amis a eu la gentillesse de me le rappeler, j’avais pris la liberté de m’exprimer dans un article consultable sur le site ARDHD, du 27/11/02 – LA VOIX AU CHAPITRE : Échéance Électorale.

 Je n’ai rien à retirer de ce que j’ai écrit il y a presque 11 ans.

En effet, rien n’a changé.  Nos dirigeants sont restés des experts en tripatouillage électorale.

Le 9 octobre 2004, l’Opposition unie avait interpellé le Président de la République. Nos exigences portaient, outre l’indispensable refonte du Conseil Constitutionnel, prévu par l’accord de paix du 12 mai 2001 sur :

  1. La refonte et la réactualisation des listes électorales 
  2. L’établissement de ces listes par bureaux de vote dans les régions de l’Intérieur
  3. La publication des listes et leur mise à disposition de  tous les partis politiques 
  4. La mise en place d’une véritable Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI), composée à parité égale de représentants de l’opposition et de représentants des partis au pouvoir, sous la présidence d’une personnalité indépendante acceptée par les deux parties ;
  5. L’élaboration conjointe (Opposition/Gouvernement) d’un Statut Spécial pour  la ville Capitale ;
  6. La modification de la Loi relative aux élections dans ses articles 27 et 54, portant sur la proclamation des résultats et la remise des Procès-verbaux, consécutive au dépouillement du résultat des scrutins. Désormais, pour une réelle transparence des élections, nous demandions que chaque partie dispose d’un exemplaire du PV et des résultats proclamés par la CENI ;
  7. L’abandon pur et simple des pratiques de l’ancien système du parti unique dans la désignation des assesseurs. Ces assesseurs devront représenter les parties en compétition ;
  8. L’accès libre et équitable des partis politiques aux médias publics ;
  9. L’amendement et l’application effective de la loi de 1992 sur la communication qui autorise l’ouverture de radios et de télévision libres.
Neuf revendications guidées par le souci d’instaurer enfin une démocratie digne de ce nom en République de Djibouti.
 
Pas d’accusé de réception, pas de réponse .

Sans l’assurance d’un changement de pratique de la part du pouvoir, nous avons cherché des garanties auprès de nos partenaires et amis avant de nous lancer dans cette campagne.

Avant les élections, les démarches effectuées auprès de la représentation à Djibouti par l’opposition, comme celles entreprises ici à Paris se sont conclues invariablement par :

 ‘‘Allez aux élections, nous serons vigilants sur leur déroulement ».

Fort de ces encouragements et de ces promesses, et compte tenu des forces d’opposition formelles et informelles grandissantes au sein d’une population opprimée qui attendait ces élections, nous,  l’opposition intérieure et extérieure, avons décidé de participer à l’élection législative du 22 février dernier.

Des nouveaux partis tels que le MoDel et RADD  s’étaient  créés et avaient demandé leur agrément afin de concourir aux élections législatives.

L’élection locale de l’année dernière a montré la lassitude des Djiboutiens, à l’égard du tenant du pouvoir et a donné la victoire à la liste indépendante  »RADD » encore tolérée. Ce qui a créé un réel espoir de changement.

Cette fois, le gouvernement en place n’a pas eu le temps de manipuler ces partis émergeants. Pourtant, la méthode était rodée : il suffisait de cloner ces nouveaux partis, ces syndicats ou ces associations. On en crée d’autres, on leur donne les mêmes appellations et bien sûr, on met à leur tête, des marionnettes dociles et soumises…

Des méthodes de ce genre, le pouvoir en invente régulièrement et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il est sans vergogne. C’est ainsi que, suite à la dernière élection législative, il a licencié comme de simples employés les Elus du Conseil Municipal de Djibouti Ville : le Maire et ses adjoints !

Cette fois, le MoDeL et le RADD ont échappé au clonage et ont rejoint l’opposition. Ces renforts ont permis la création de l’Union de Salut National (USN).

Une dynamique était née.  Cette nouvelle opposition a galvanisé les foules, comme en témoignent les réunions et les manifestations tenues durant les 12 jours de cette campagne électorale.

On connaît la suite :

  • panique au plus haut sommet de l’État au vu du succès grandissant et de l’engouement suscité lors des différents meetings de l’opposition à Djibouti-ville comme dans toutes les villes et les villages à travers le pays
  • intervention télévisée menaçante  du chef de l’État, après la clôture de la campagne électorale transformant l’élection législative en un référendum : Pour ou contre le Président.
  • fraude massive  qui a abouti purement et simplement à l’inversion des résultats du scrutin, après un conciliabule de nos dirigeants durant neuf longues heures. 

L’ Ambassadeur de France a alors ouvertement cautionné cette élection frauduleuse constatée par tous les observateurs en place en félicitant le parti du Président et les Elus.

Cette sortie ridicule a bien sûr été exploitée par le gouvernement en place qui a largement diffusé son intervention dans les médias.

Silences gênés de nos amis français qui contrastaient avec leurs encouragements appuyés qu’ils nous avaient prodigués avant les élections…

Ce manque de clarté de la France, ces attitudes ambiguës, ce double langage entre  pouvoir en place et opposition sont déstabilisants.

Nous avons apprécié l’attitude de la représentation des États-Unis d’Amérique présente à Djibouti qui est resté fidèle à la politique prônée par Le Président Barack OBAMA vis à vis des dictateurs africains dans la ligne qu’il  avait fixée lors de son discours à Accra du 11 juillet 2009 affirmant  :

 L’AFRIQUE N’A PAS BESOIN D’UN HOMME FORT, MAIS D’UNE INSTITUTION FORTE-  .

C’est ainsi que le Président OBAMA

  • s’est bien gardé de féliciter notre Président à l’issue de la reconduite de son troisième mandat anticonstitutionnel.
  • ne l’a jamais invité à la Maison Blanche comme il l’a fait pour les différents Présidents africains démocratiquement élus. Ces rencontres, comme celles du 31 juillet 2011 et récemment du 28 mars 2013 sont qualifiées de « rencontres de solidarité démocratique qui visent à saluer des démocraties solides et émergentes. »

Notre Président, vexé de cet affront, s’est agité avec frénésie pour s’inviter  -sans y être convié- à la réception  donnée par le Président OBAMA à New-York en septembre 2011.

Et, aujourd’hui, ici, à Paris, nous voulons dire haut et fort à la France, le pays des droits de l’homme qu’elle nous a déçus :

Elle nous avait assuré de son soutien,

Elle s’était porté garante du bon déroulement des élections.
…. pour se taire, une fois de plus, à la proclamation de résultats honteusement manipulés
…et pour, par la voix de son ambassadeur, féliciter les artisans de cet outrage à la démocratie…

Quant à nous, les membres de l’opposition à ce régime indigne,
Si, nous avons été meurtris par ce nouvel épisode douloureux dans notre combat, nous continuerons à œuvrer, nous continuerons à nous faire entendre, nous continuerons notre marche pour une nation libre et digne.

Pour finir, et toujours, pour plaider pour cette nation libre et digne, permettez-moi, en tant qu’ancien directeur de la RTD, Radio et Télévision de Djibouti, de dresser un portrait de l’univers médiatique de notre pays.

Ce ne sera pas long !

C’est un désert unique en son genre. Aucun pluralisme: Un journal unique, une radio et une télévision étatique. point final. Manifestement, il est admis que les médias gouvernementaux suffisent aux besoins de la population.

A Djibouti, on n’aime pas les journalistes, aucun n’obtient de visa pour entrer. Plusieurs journalistes se sont vu refuser leurs demandes de visa, d’autres se sont vu refoulés à l’aéroport.

 Ce fut la mésaventure du correspondant de la chaîne Qatari  »AL JAZIRA » dans la région qui avait essayé sur plusieurs frontières de rentrer à Djibouti lors des manifestions unitaires de l’opposition de février 2011.

C’est simple, dans nos représentations et notamment à Paris, la première question que les agents d’accueil posent aux demandeurs de visa est  celle-ci  »êtes-vous journaliste ? ». Ce qui désarçonne les simples touristes et finalement en décourage certains.

Il y a quand même une exception à ces refus, les journalistes du Magazine Jeune-Afrique. Ces derniers n’ont pas besoin de faire de démarches pour obtenir des visas. Ils ne risquent aucun refus comme leurs collègues car ils sont régulièrement invités par le pouvoir à chaque fois que celui-ci a besoin de faire passer un message.

Il n’est pas étonnant que notre pays se loge au 167ème rang  du classement mondial de « Reporters Sans Frontière ». Ce classement est amplement justifié car, outre l’interdiction de créer un média indépendant, l’opposition n’a pas accès aux médias étatiques.

Le pouvoir s’est fait violence durant la campagne électorale en couvrant partiellement les réunions de l’opposition. La couverture obligatoire se transformait régulièrement en un sabotage. En effet,  les trois minutes octroyées généreusement à l’opposition, dans  »l’Édition Spéciale élection » se résumait à un plan large de la réunion et quelques phrases hachées des différents orateurs donc forcément dénaturées. Cela frisait le ridicule.

La plupart du temps, pour ne pas dire quotidiennement, le journal télévisé se limite intégralement à l’activité présidentielle. Il n’est pas surprenant pour ceux qui subissent le déroulement du journal télévisé, de voir de longues minutes, des images du chef de l’Etat sans commentaires, comme au temps des films muets…

En effet, les journalistes de différentes rédactions, journal écrit, agence de presse,  radio et télévision ne produisent rien sur les informations locales : ils reçoivent  du cabinet présidentiel les textes à lire et à imprimer.

Il n’est pas étonnant que les Djiboutiens suivent les radios et télévisions étrangères.  Cela agace prodigieusement le pouvoir. Il fait régulièrement des tentatives auprès des médias étrangers et particulièrement des chaînes qui diffusent des informations en langue somalie : BBC de Londres et VOA de Washington. Il se murmure que les  journalistes de ces différentes radios seraient approchés régulièrement par des émissaires  gouvernementaux afin de  monnayer un contenu bienveillant pour le pouvoir en place…

Quant à RFI, Radio France International … Le pouvoir ne s’est pas gêné pour fermer purement et simplement son relais pour la région de la corne d’Afrique.

Vous avez dit démocratie ?

AÏNACHÉ